De plus en plus d’outils de puissance venant du milieu de cyclisme semblent progressivement être adaptés afin d’être utilisés dans le milieu de la course à pied (voir le récapitulatif en fin d’article). Il reste cependant un outil très cher au cyclisme qui peut poser problème si on essaie d’en dériver une version pédestre : la puissance normalisée. Le but de cet article est de comprendre pourquoi et de voir à quoi ressemblerait une « allure normalisée » en course à pied.
La formule magique de la puissance normalisée
En cyclisme, la puissance normalisée (PN) est une formule magique pour exprimer la dépense réelle d’un cycliste lorsqu’il n’a pas eu un effort régulier. Par exemple, un cycliste qui roule une heure à 300 watts exactement sans écarts aura une puissance moyenne et une PN de 300 watts, mais un cycliste qui fait une demi-heure à 200 watts et une demi-heure à 400 watts, bien que sa puissance moyenne soit aussi de 300 watts, aura une PN plus élevé (341.5 watts, si on fait le calcul) car la dépense énergétique n’est pas linéaire mais exponentielle avec la puissance, et le temps passé à 400 watts est beaucoup plus taxant énergétiquement que le temps passé à 200 watts n’est reposant.
Ainsi notre cycliste, même s’il a roulé à 300 watts de moyenne, est autant fatigué que s’il avait roulé de manière constante à 341.5 watts. La PN est donc un formidable outil pour se rendre compte de la difficulté réelle d’une séance ou d’une mauvaise gestion de l’effort lors d’une course.
La formule de la PN est la suivante : . Au lieu de faire la moyenne de la puissance, on fait la moyenne de la puissance élevée à la puissance 4. On prend ensuite la 4ème racine. La puissance 4, c’est comme mettre au carré deux fois, ainsi les pics de puissance comptent beaucoup plus dans le calcul de moyenne, ce qui est un meilleur reflet de la réalité puisque les pics de puissance sont beaucoup plus taxant en énergie.
Cependant la PN est un calcul d’une puissance qui reste fictive, un outil avant d’être ce que « vaut » le cycliste. On peut faire une analogie avec la course à pied pour comprendre. En reprenant le calcul de la PN sur les allures et la vitesse en course à pied, un coureur qui fait son marathon de manière constante à 4:15/km fera son marathon en 2h59, et aura une « vitesse normalisé » de même valeur. Mais un coureur qui démarre trop fort à 3:45/km (16km/h) pour ralentir jusqu’à 4:45/km (12.63km/h) à l’arrivée, aura couru à la même allure et fait un temps identique. Mais la formule plus haut appliquée à sa vitesse, donne une vitesse normalisée de 14,3km/h (4:10/km). En admettant que la formule de la PN marche pour la vitesse en course à pied, notre deuxième de coureur ayant couru 2h59 aura fourni l’effort d’un marathon en 2h56. Pourtant, il ne peut pas dire qu’il vaut 2h56 au marathon, car compte tenu de sa mauvaise gestion de course, il n’a pu courir que 2h59.
La valeur d’une performance tenant compte à la fois des capacités physiques de l’athlète, mais aussi de l’intelligence du coureur qui est capable de trouver son allure et la garder, elle ne se mesure qu’à la moyenne (allure ou puissance). La NP ou la vitesse normalisée ne sont que des indicateurs fictifs sur l’effort et la gestion.
En course à pied, ça donnerait quoi ?
L’analogie avec la course à pied est loin d’être anodine, car il existe déjà des indicateurs communs dans ces deux disciplines, comme par exemple la VMA (vitesse maximale aérobie) et la PAM (puissance aérobie maximale) qui sont mesurées lorsque l’athlète est au maximum de ses capacités respiratoires. Il existe même un équivalent en course à pied pour le functional threshold power (FTP, voir la fin de cet article). Ce qu’il manque à la course à pied, c’est une allure normalisée. Le but ici est de faire une tentative de réponse. Si on voulait cependant créer une « allure normalisée », rien n’indique que la formule de la puissance pourrait être utilisée. Le cas de la course à pied est en effet particulier, car des études ont montré que la majorité des performances des élites en course à pied ont été réalisé en allure constante ou en « negative split », c’est-à-dire avec une seconde moitié plus rapide que la première. Parmi elles, on a le record du monde de Kimetto sur le marathon de Berlin (1h01:45 / 1h01:12), ou celui de Gebrselassie quelques années auparavant (1h02:05 / 1h01:54), celui de Paula Radcliffe (1h08:02 / 1h07:23), le record du monde de 10 000m de Békélé (13:09 / 13:08) ou le record américain du 5000m de Galen Rupp. Ainsi, il semble probable qu’un coureur qui commence sa course à une allure de 4:20/km pour finir à 4:00/km réalise une performance équivalente à celle où il aurait couru à 4:10/km tout le long. Par contre, un coureur qui part trop vite à 4:00/km et finit à 4 :20/km a une moyenne de 4:10/km mais une dépense physiologique équivalente à une course constante un peu plus rapide, peut être 4:06, 4:08/km.
La raison derrière cela est qu’il faut jusqu’à 3km pour s’échauffer correctement, et encore plus pour que les articulations se lubrifient, les muscles commencent à travailler à leur pleine capacité, et que les hormones qui améliorent la performance soient dans leur pic. Il est beaucoup plus optimal de tenter une accélération à mi-course quand la « machine » fonctionne de manière optimale, qu’au départ. Inversement, vouloir courir trop vite au début sans avoir l’avantage de tous ces phénomènes présente une dépense physiologique plus importante, qui sera payée tôt ou tard. On rejoint un adage d’entraineur qui dit qu’une minute de perdue au début sera une minute de gagnée à la fin. Suivant les capacités d’endurance de chacun, une minute de gagnée au début se payera par 2 à 4 minutes de perdue à la fin.
Un peu de calcul
J’aurais aimé trouver une étude scientifique qui chiffre exactement à combien se solde en temps un départ trop rapide, mais je suis resté bredouille. J’ai seulement trouvé à plusieurs rapide cette règle des minutes gagnées/perdues de la part de grand coaches de course à pied, qui se basent sur des observations empiriques de leurs athlètes. Afin d’essayer de trouver une formule pour calculer l’équivalent de la puissance normalisée en course à pied, faisons deux hypothèses :
- Partir lentement pour finir vite (split négatif) est une stratégie équivalente à avoir une allure constante. Dans ces deux cas, l’allure normalisée serait la même que l’allure moyenne.
- Dans le cas de l’athlète qui démarre trop fort, chaque seconde gagné sur la première moitié sera deux secondes de perdues tôt ou tard sur la seconde moitié.
Un peu de calcul maintenant. Soient A1m l’allure moyenne de la 1ère moitié de la course, A2m l’allure moyenne de la 2ème moitié de la course. L’allure moyenne Am est Am=(A1m + A2m)/2. Compte tenu de cette mauvaise stratégie d’allure, l’athlète aurait pu avoir une allure plus rapide en courant de manière constante sa course. C’est notre allure normalisée Anorm. Anorm < Am. Même en ayant une allure moyenne Am, l’athlète s’est dépensé physiologiquement comme s’il avait couru constamment à Anorm. Selon la seconde hypothèse, le coureur a démarré sa course en courant x secondes trop vite du kilomètre : A1m=Anorm-x. Il l’a payé par 2x secondes de perdu à chaque kilomètre sur la deuxième moitié : A2m=Anorm+2x
A1m=Anorm-x
A2m=Anorm+2x
En faisant la ligne du bas moins celle du haut, on a : A2m – A1m = 3x, c’est-à-dire : x=( A2m – A1m)/3.
Ensuite, ce qu’on veut, c’est trouver Anorm. Prenons le cas d’un marathon. Le coureur gagne x secondes sur les 21 premiers kilomètres, soit un total de 21x, mais perds 2x sur les 21 suivant, soit une perte de 42x. 21x – 42x=-21x, il est donc déficitaire de 21x secondes dans l’opération. En moyenne sur les 42 kilomètres, c’est comme s’il avait été déficitaire de 21x/42 = 0.5x. D’où : Anorm=Am-0.5x. Et comme x=( A2m – A1m)/3 et Am=(A1m + A2m)/2, on obtient finalement :
Exemple : Un coureur fait sa première moitié à 4:00/km (A1m) en moyenne, mais explose et finit sa seconde moitié à 4:20/km de moyenne (A2m). Il a donc couru son marathon à une allure moyenne de 4:10/km, soit 2h56, mais aurait bien pu faire mieux avec une meilleure stratégie (allure constante), car le calcul de son allure normalisé donne :
Son effort correspond donc à une allure de 4:06.7/km soit un marathon en 2h53.
Une analogie complète entre le vélo et la course à pied
Les analogies course à pied-vélo ne s’arrêtent pas là. La plupart des cyclistes basent leur entrainement sur un pourcentage de leur functional threshold power (FTP), c’est-à-dire la puissance critique qu’ils peuvent tenir sur une heure. L’équivalent en course à pied est le rFTP (running-FTP), l’allure qu’on puisse tenir sur une heure, qui peut facilement être approché par l’allure 10km, 15km ou demi-marathon (l’allure correspondant au temps le plus proche d’une heure parmi ces trois distances). Il existe même une table pour connaitre son rFTP (VDOT est la VO2max correspondante en mL/kg/min):
Dans les deux cas, FTP ou rFTP, la signification physiologique est la suivante : C’est la puissance ou l’allure maximale sans accumulation de lactate (déchets musculaires) dans le sang.
Ainsi, pour la course à pied, on peut aussi définir d’autres outils comme l’intensity factor (IF) qui mesure à quel pourcentage du FTP la course a été effectuée, ou le variability index (VI) qui mesure la régularité dans l’effort. Voici une table récapitulative :
Outil | Cyclisme | Course à pied | Remarque |
Valeur à VO2 maximale | PAM | VMA | Puissance ou vitesse lorsque l’athlète est au maximum de ses capacités respiratoires. |
Seuil critique de lactate | FTP | rFTP | Puissance ou allure maximale sans accumulation de lactate (typiquement, sur une durée d’une heure). |
Valeur moyenne | Puissance moyenne | Allure moyenne | |
Valeur normalisée | Puissance normalisée PN | Allure normalisée AN | |
Intensity factor IF | IF=PN/FTP | IF=AN/rFTP | Le pourcentage du seuil critique auquel vous avez fait votre course. Sur Ironman, par exemple, les meilleurs ont un IF de 80-82%. |
Variability index VI | VI=PN/Puissance moyenne | VI=AN/Allure moyenne | Plus le VI est proche de 1, plus l’effort a été régulier. |
Training stress score TSS | TSS = (sec x PN x IF)/(FTP x 3600) x 100 | rTSS = (sec x AN x IF)/(rFTP x 3600) x 100 | Sec est la durée de la séance en secondes. Le TSS permet d’exprimer la charge totale d’un entrainement en prenant compte son intensité et sa durée. |
Quelle utilité finalement ?
L’entrainement en course à pied a toujours très bien fonctionné en utilisant les allures 5km, 10km, 21km, etc… d’un athlète, ou des pourcentages de sa VMA, car sur une piste, peu de facteurs influencent l’allure de l’athlète. En vélo, le terrain et la météo ont nécessité de se munir de capteurs de puissance pour mesurer l’effort réel, la vitesse étant un très mauvais indicateur de l’effort. Se sont alors amenés tous les outils d’analyse qui vont avec (FTP, VI, etc…).
A présent, en transposant ces outils en course à pied, un coureur possède de nouveaux outils d’analyse de sa performance. Cela est d’autant plus utile dans le triathlon, où les parcours ne sont pas toujours plats, et cela permet aussi de faire ses séances hors des pistes d’athlétisme, sur des terrains variés.
Sources
- http://le-triple-effort.fr/puissance-en-velo/
- http://running.competitor.com/2016/06/training/why-negative-splits-are-ideal-on-race-day_152209
- http://home.trainingpeaks.com/blog/article/determining-functional-threshold-pace-ftp
- http://home.trainingpeaks.com/blog/article/estimating-training-stress-score-tss