Avec les JO à nos portes, c’est avec un grand plaisir que nous continuons notre série « se fait trimer » avec un autre athlète que nous admirons beaucoup. Cette fois-ci, c’est le skieur de ski de fond Alex Harvey qui y passe. Il est selon moi, un des meilleurs athlètes Québécois dans un des sports les durs.
Les Jeux Olympiques arrivent à grand pas, comment vis-tu ces derniers moments? Comment juges-tu ta saison pour le moment?
Je suis très fébrile à l’idée de mes premiers Jeux. Jusqu’à date, ma saison à été très bien. Chaque fin de semaine je m’améliorais et je me rapprochais de la forme que je veux obtenir pour les Jeux.
Aimes-tu ta nouvelle vie d’athlète d’élite qui voyage constamment pendant toute l’année, je pense que c’est vraiment ta première année?
C’est ma première année complète sur la Coupe du Monde mais je voyage autant que ça depuis 4 ans.
A quel endroit dans le monde as tu préféré skier jusqu’à maintenant?
Ça reste au Mont-Sainte-Anne.
As-tu été étonné par les conditions de neige sur la coupe du monde?
Non, le pire c’est chez nous, à Whistler!
On dit que ta force est dans le fait que tu as une grande confiance en toi et que tu veux tout gagner. Comment tu expliques ça? Les coachs disent que c’est en faisant excellents entrainements que l’on construit sa confiance, est-ce ton cas?
Non, pas du tout, même durant la période d’entraînement, l’été, je ne gagne presque jamais. Ça me prend beaucoup de compétitions avant d’être au top. Je ne me soucie pas de ne pas gagner avant février! Ça prend beaucoup de confiance par contre. J’ai confiance en mon entraînement et au plan, confiance que ça va marcher pour le bon moment.
À quelles courses comptes tu participer aux Olympiques et sur quelles distances?
5 sur 6 soit 15km patin, 30km duathlon, relais sprint, relais traditionnel et le 50km classique.
Sur laquelle penses-tu être en mesure de mieux performer?
Individuellement sur le 50km, mais je pense que le meilleur résultat sera au relais sprint.
C’est assez naïf comme question, mais il y a un truc qui me fascine en ski, c’est votre ambivalence et le fait que vous pouvez faire plusieurs compétitions avec très peu de temps de pause entre… Lorsque tu vois que tu es capable d’être performant sur un sprint en skate et le jour d’après sur un 50km en classique, cela parait un peu étrange quand on se fait dire qu’il y a des athlètes pour la longue ou courte distance et que seulement avec un entrainement spécifique tu peux être performant que sur une distance. Pourquoi cela est diffèrent dans le ski de fond? Même dans votre discipline, est-ce que cela ne casse pas un peu le mythe de l’ultra spécificité?
Un peu, mais il reste qu’il y a des gars qui sont capable de bien faire que dans un style – classique ou patin – ou encore que dans une des disciplines, sprint ou distance. Ou encore même, il y en a qui peuvent gagner en départ individuel dans les distances mais jamais dans les départs de masses, simplement parce qu’ils n’ont pas la vitesse requise dans le dernier kilomètre.
Pour moi, bien faire dans les deux styles est assez simple, je passe autant de temps à perfectionner le classique que le patin, je veux être égal dans les deux. Pour ce qui est du sprint, c’est mon côté faible, je n’ai pas assez de vitesse dans ma fibre musculaire mais je peux m’en sortir avec ma puissance. Cette puissance me sert lors d’arrivée groupée dans les départs de masses, je suis capable d’avoir un bon dernier 100m comparé aux autres skieurs de distances.
Dans mon entraînement, je fais beaucoup de capacité aérobic mais aussi beaucoup de musculation et de travail en anaérobie ainsi qu’avec des hauts niveaux de lactates.
Il y a un autre mythe dans le sport endurance c’est que tu peak avec l’âge, l’accumulation des années te permet de progresser (on parle de peak entre 28 et 35 ans)! Puisque tu as 21 ans, tu dois avoir une petite idée là dessus…Penses tu que cela va prendre encore plusieurs années à atteindre ton peak, ou tu ne crois pas en cette théorie.
Je crois à cette théorie. La façon de la déjouer c’est de s’entraîner beaucoup, jeune! C’est mon cas, j’ai toujours adoré l’entraînement et j’en faisais beaucoup déjà jeune. Je crois qu’il me reste encore 5 ans de progression naturelle, juste parce que je vais être capable de digérer l’entraînement de plus en plu facilement.
On assiste justement à une nouvelle vague avec Peter Northug et Dario Cologna qui ont 23 ans et qui dominent déjà les classements de la coupe du monde dans un sport ou le peak est habituellement entre 28 et 35 ans), comment expliques-tu ce phénomène? Cela peut-il s’expliquer par les nouvelles méthodes d’entraînements?
Northug à maintenant 24 ans et Dario l’aura en mars. Ils sont les deux meilleurs au monde parce qu’ils sont capables de gagner les distances et les sprints. C’est la première saison que Northug gagne dans des départs individuels. Avant il n’était pas capable, parce qu’il n’était simplement pas encore assez fort aérobiquement. Il pouvait battre n’importe qui sur le dernier kilomètre d’un départ de masse et même parfois dans des sprints en raison de sa puissance. Selon moi, la théorie qu’on peak à 28 35 ans n’est donc pas trop erronée. On peut devancer ça de 2-3 ans en commençant à faire beaucoup d’entraînement jeune mais ça reste un sport aérobic. La différence aujourd’hui serait dans la plus grande présence de la musculation et de travail en vitesse dans l’entraînement.
Tu dois être conscient que tu risques de batailler contre eux longtemps? Quels sont tes rapports avec les autres athlètes en général?
Je n’ai jamais parlé à Northug de ma vie, il n’est pas très »social ». Dario est un ami, je suis allé en ski alpin avec lui cet hiver à Davos.
Je sais que tu étais très fort en vélo de montagne, A quel moment as tu fais ton choix et qu’est ce qui a fait pencher la balance vers le ski de fond?
Déjà à 16 ans je savais que j’allais être meilleur en ski. J’ai continué le vélo jusqu’à 17 ans, avec mon dernier championnat du monde junior dans ce sport. Après, ça été 100% ski. Les résultats étaient meilleurs en ski et l’encadrement était plus qu’idéal à Québec avec le Centre National d’entraînement.
Ton père a fait les jeux olympiques d’été et d’hiver la même année, ski de fond et vélo… Y songes-tu des fois? Je suppose que cela n’a jamais été fait. Que père et fils participent à deux sports aux JO. Carl Swenson semble montrer que c’est encore possible.
Oui, Carl Swenson l’a montré. Cependant, je suis un peu perfectionniste et je ne veux rien faire à moitié, ou à 99%. Selon moi, ça reste possible de faire les deux mais pour être le meilleur au monde dans l’un des sports, il est un peu difficile de sacrifier quelconque détails. On peut par contre me contredire en parlant de Clara Hugues, mais je pense que c’est une exception majeure.
Il y a une étude qui dit que 70% de tes performances viennent de ta génétique…
Qu’en gros si la génétique n’est pas de ton coté, est il impossible de devenir un athlète de haute performance? Est-ce que tu remercies souvent ton père? :-p
Je remercie mon père mais j’ai aussi entendu dire que le V02MAX vient de la mère…donc je remercie aussi ma mère! Je pense que la génétique à un gros impact, pour différencier les athlètes hautes performance des athlètes normaux. Après ça, quand vient le temps de différencier le 30e au monde du meilleur, c’est l’entraînement et tout ce qu’il y a autour. On le voit très bien l’hiver, quand un gars est sur le podium un weekend et 45e la semaine suivante.
Tu as eu un différent avec ta fédération parce que tu voulais t’entraîner différemment et les médias ont suivis pour te défendre et certains ont encore fait du sensationnalisme en invoquant le racisme du Canada envers les Québécois. Avec le recul, quelles sont tes pensées la dessus? Avais-tu peur que cela change tes liens avec tes co-équipiers canadiens?
Je n’ai jamais eu peur en ce qui à trais aux relations avec mes co-équipiers. Ils ont toujours été très confortables avec le fait que je ne suis pas à Canmore autant qu’eux et que je m’entraîne avec un autre groupe d’entraînement à Québec. Les différents étaient avec la fédération en tant que tel, mais c’est maintenant chose du passé.
Et maintenant, suis tu intégralement le programme Canadien? Ou on te laisse encore une certaine liberté?
Non, j’ai une liberté. Je réside à Québec. À l’automne je suis allé en Autriche sur un glacier pendant que l’équipe nationale était à Mammoth Lakes en Californie.
Peux-tu nous donner une idée du nombre d’heures d’entraînement, de tes phases?
Dois-tu construire une base aérobic durant l’été?
La plus grosse semaine a été 30 heures, la plus petite 8. Le plus gros bloc a été 5 semaines de 18h, 21h, 19h, 26h et 25h. On faisait un trois semaines de yo-yo en altitude, en changeant d’élévation au deux jours, en passant de 1400m (Camore, à 1600m) et 2400m (Glacier Haig). Le dernier jour du bloc, j’ai fait un triathlon, mon premier à vie! Près de 800 heures au total. La base aérobic est le plus gros du travail pour l’été. Après, peu à peu, je transfère vers le travail en anaérobie.
Quels sont les sports que tu pratiques à coté? Penses tu que certains sports ont des effets positifs sur tes performances en ski de fond?
Je fais un peu de tout mais plus pour passer du temps avec mes amis et me changer les idées, je ne calcule pas ça dans mon entraînement. Je n’ai jamais été très talentueux dans les sports d’habilité ou de coordination. Tennis, soccer, hockey, mes amis me battent à plat de couture! Je fais un peu de ski alpin aussi, pour le plaisir. Je prenais des leçons quand j’étais plus jeune donc je me débrouille.
Les médias Canadiens parlent très peu de ski de fond, en fait il n’y a pratiquement aucune diffusion de courses… Malgré le grand nombre de pratiquant. Alors que le bobsleigh qui n’a pratiquement aucun licencié au Canada est diffusé à la télévision… Comment vis-tu cela? (Tu dois être conscient que tes résultats ont une influence sur la popularité de ce sport).
Je trouve cela dommage, premièrement parce que le ski de fond est un sport qui gagne à être connu. C’est plus qu’excellent pour la santé, relativement faible en impacts sur les articulations et surtout, surtout, un sport qu’on peut pratiquer pour le reste de sa vie. Il reste que, voir un skieur de fond, en collant, aller à 25km/h, ce n’est pas trop »extrême » et moins impressionnant que 4 gars qui descendent sur la glace dans un traîneau de course, à grande vitesse!
Penses tu que le ski de fond Canadien a maintenant suffisamment de relève pour pouvoir rivaliser avec les puissances Scandinaves et Européennes de façon permanente.
Pour l’instant, oui, mais il faudra voir ce qui arrive dans les années à venir. Voir si les »talents » se matérialisent.
Revenons au triathlon de Canmore que tu as fait l’été dernier, comment as-tu trouvé cette expérience?
Super le fun, extrêmement difficile. Premièrement je venais tout juste de terminer le plus gros bloc d’entraînement de ma vie! J’ai pris des cours de natation quand j’étais plus jeune donc ça été correct dans l’eau. Le vélo s’est passé sans problèmes, bien que j’ai tout de même perdu encore un peu de temps comparé aux »pros », qui avaient des vrais bike de triathlon, plus aérodynamique et en plus des casques de CLM. Là où j’ai vraiment rushé, ça été dans la course à pied. Je cours beaucoup dans mon entraînement mais jamais après 40km de vélo à bloc! Mes jambes étaient comme deux blocs de béton! Tout compte fait, je vais certainement en refaire un l’an prochain!
Vas-tu retenter l’expérience? Il y a de plus en plus d’athlètes internationaux en sport d’endurance, qui font du triathlon comme seconde carrière, cela te tente ?
Pas comme seconde carrière. Quand je vais mettre fin à ma carrière de skieur, ce sera la fin de ma carrière d’athlète d’élite! Je vais tout de même faire d’autres triathlons dans ma carrière de skieur, plus pour l’entraînement que pour la performance.
Pour terminer, où te vois tu dans 5 ans?
………skieur de fond………