Texte de S. Séhel.
Une rumeur frémit sur les blogs consacrés au minimalisme : 2013 sonnerait la fin du minimalisme ! (*)
Il faut dire qu’à la veille du 21 décembre 2012, il est de bon ton d’annoncer la fin de tout, et même du Monde, calendrier maya oblige.
Plus sérieusement, il faut replacer cette interrogation dans son contexte: les équipementiers ont constaté que les ventes de chaussures minimalistes (et surtout en particulier du précurseur en la matière qu’est Vibram) n’explosent pas, voire même sont en déclin. Une petite étude de marché « maison », qui consiste à simplement observer la manière dont sont chaussés tous les coureurs que l’on peut croiser dans nos compétitions, nos villes, nos parcs et nos montagnes tend à confirmer cela: on est loin d’une vague minimaliste qui viendrait envahir le marché du running. Et il est encore extrêmement rare de voir courir des personnes pieds nus ou équipés de Vibram Five Fingers, et ceci en dépit d’une indéniable médiatisation du phénomène « barefoot » en 2012 (via la blogosphère, les journaux spécialisés et les télés).
Maintenant faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain ?
Il est utile de rappeler d’où vient cette mode minimaliste et ses tenants et ses aboutissants. Pour simplifier, je dirai qu’elle a principalement deux sources:
– la première vient de certains coureurs amateurs qui rencontraient des blessures récurrentes et qui ont découvert que le fait de ne plus porter de chaussures ou quasiment résolvaient leurs problèmes de blessures: on peut citer le plus célèbre d’entre eux, Christopher McDougall, auteur du best-seller « Born to Run » qui est venu surfer la vague naissante qui existait déjà du minimalisme outre-atlantique vers une diffusion beaucoup plus grand public; cette vogue a eu le bonheur de pouvoir s’appuyer sur les travaux scientifiques du Prof Lieberman dont les recherches ont montré que courir pieds nus aboutissait à considérablement limiter l’onde de choc du coureur au sol (ce qui est – bien que cela ne soit pas absolument scientifiquement établi – l’une des racines de beaucoup de blessures que peut rencontrer le coureur à pied).
– la seconde vient de certains coureurs professionnels qui ont constaté que leur foulée s’adaptait beaucoup mieux aux chaussures souples et légères sans quasiment d’amorti qu’aux chaussures les plus sophistiquées conçues par les équipementiers, et ceci même sur des surfaces rugueuses et pentues comme on peut les rencontrer en trail. On peut citer le coureur de trail Anton Krupicka qui en est le meilleur exemple et qui a conçu avec son sponsor New Balance des chaussures spécifiques dans cet esprit.
Le fait de vouloir courir vite avec des chaussures légères n’a strictement rien de révolutionnaire ou de nouveau, bien au contraire et il suffit de regarder une paire de pointes d’athlétisme pour s’en convaincre. A la base, la chaussure de course était plutôt minimaliste ! Ce n’est que lorsqu’un marché de masse s’est développé que les manufacturiers ont commencé à développer des modèles non minimalistes. On peut citer en premier l’exemple de Nike qui fut l’inventeur de cette semelle « gaufre » (waffle). Ensuite, les équipementiers n’ont fait que développer des chaussures de plus en plus sophistiquées pour répondre aux besoins plus ou moins réels de tous ces joggeurs qui se lançaient dans la course à pied sans avoir préalablement acquis une bonne technique de course. Il y avait donc en fait deux communautés tout à fait distinctes: d’un côté, les joggeurs, non formés en clubs, qui se lançaient dans la course à pied et à qui les équipementiers proposaient des chaussures de plus en plus sophistiquées pour répondre dans une certaine mesure à leur manque de technique et de l’autre côté, les coureurs de clubs, qui eux avec plus ou moins de bonne fortune, couraient avec des chaussures légères en se blessant plus ou moins d’ailleurs.
En fait, le minimalisme est venu remplir ce vide (car la nature a horreur du vide!) entre ses deux communautés. Il a permis de faire prendre conscience aux joggeurs que la chaussure ne pouvait pas résoudre tous les problèmes et palier l’absence d’un minimum de technique de la foulée et aux coureurs de clubs qu’il existait réellement certaines règles qui permettaient d’encore mieux courir (et de moins se blesser ou de courir plus efficacement). C’est ainsi qu’on a pu observer, d’une part, chez toute une tranche de très bons coureurs un gros travail de remise en cause technique qui prend indubitablement en compte certaines des constatations faites sous l’impulsion du minimalisme, et, d’autre part, une vague de joggeurs qui se sont mis à courir pieds nus et à revendiquer l’absence de blessures (ou quasiment) (ex: Christopher McDougall).
En 2012, les équipementiers ont commencé à élargir considérablement leur offre de chaussures légères qui répondent à la demande de coureurs qui ne désirent pas courir pieds nus mais qui pourtant ne souhaitent pas revenir vers des chaussures trop sophistiquées, lourdes et à fort amorti. Ces chaussures se caractérisent par leur légèreté, une semelle avant plutôt large laissant de la place aux orteils, un faible
drop (voire pas de drop), la souplesse de leur semelle et l’absence (ou quasiment) d’amorti. Suivant les marques, on y trouve des modèles qui répondent plus ou moins à toutes ces caractéristiques. On en reviendrait presque aux chaussures de course de nos aïeux avant les années 80 mais ce serait caricaturer la chose car ces nouveaux modèles de chaussures sont tout de même plus élaborés et mieux conçus.
Il est indéniable que cette mode minimalisme a eu au moins les deux bienfaits suivants :- elle a permis une vaste prise de conscience qu’il existait un lien très direct entre les blessures et la technique de course et le choix de la chaussure et que le fameux « dogme » selon lequel on ne pouvait pas changer sa foulée était absurde ;
– elle a permis un élargissement considérable de l’offre de chaussures avec un bon nombre d’améliorations techniques, dans la catégorie des chaussures légères, en allant au delà de ce qu’on appelle couramment les « racing flats ».
Toutefois, au total, on en revient dans une large mesure à la situation initiale et c’est peut être bien ce qui risque de sonner le glas du minimalisme : en l’absence de technique de course, les équipementiers avaient développé des modèles à amorti pour répondre à l’engouement des joggeurs. Maintenant, si les joggeurs se mettent à acheter des chaussures sans amorti, que va-t-il se passer? Le taux de blessures ne va-t-il pas s’accroître encore plus? Car, en effet, autant on pouvait soutenir dans une certaine mesure que le fait de courir pieds nus ou quasiment obligeait le coureur à changer sa foulée pour à la fois la raccourcir et ne plus attaquer le sol avec le talon, autant cet argument semble tomber quand on passe aux chaussures légères dont je viens de parler. Il devient donc à mon avis encore plus nécessaire d’acquérir une bonne technique de course pour profiter au mieux du gain qu’offrent ces chaussures légères. De là à dire, que de telles chaussures devraient être vendues avec un mode d’emploi, il n’y a qu’un pas ! Bien sûr, c’est le consommateur qui décidera en dernier ressort !
Il serait tout de même triste et regrettable que la mode du minimalisme aboutisse au final à accroître les blessures alors que son but premier était évidemment le contraire et que, surtout, si bien pratiqué, courir avec des chaussures légères est réellement une pratique en course à pied extrêmement agréable et très intéressante d’un point de vue biomécanique (cf. La clinique du coureur). Il n’y a qu’à interroger ceux qui s’y sont convertis avec succès en appliquant les bons principes de course: jamais ils n’accepteraient de recourir en chaussures lourdes et à fort amorti même si on les payait pour le faire !
Le minimalisme a montré une voie qu’il ne faut surtout pas refermer. Je concluerai donc par un clin d’oeil : »Le minimalisme est mort ! Vive le minimalisme ! »
(*) Run Blogger: The future of minimalist running shoes
Runners.fr : Le minimalisme c’est fini
Le plaisir de courir
Bonjour Tout a fait d’accord avec l’article.
Depuis 15 ans je dis de courir avec nos muscles et non se laisser tomber sur nos articulations et squelettes … certains disent que le ski de fond est bon les coureurs … oui mais pas comme ils le pensent … le vo2 on peut l’entrainer partout mais la technique de course elle s’approche de celle du ski de fond … corps solide dans un seul axe … vers l’avant et non le twist qu’on voit 90% du temps, le pied allonge vers l’arriere et le 90 degres de celui de devant qui se posent au sol … renforcement des abdos et du dos, fini le dehanchement pour mettre son pied devant donc sur le talon … atterir sur la plante du pied demande un effort considerable par rapport au talon … trop mal aux muscles marches au lieu de revenir aux vielles habitudes … donc lorsque les gens commenceront a penser de lever le genou (pour atterir a 90 deg) et non de mettre le pied devant, le soulier minimalise aura sa raison d’etre
Et bien maintenant que le show commercial/médiatique va se calmer, il va être temps pour les entraîneurs d’optimiser l’utilisation de cet excellent outil d’entraînement, puis de transmettre leur expertise.
Tout à fait d’accord PY.
Une fois l’exaggération derrière nous, il sera plus facile d’atteindre le juste milieu.
Les entraîneurs ont un rôle crucial à jouer notamment au niveau de l’éducation d’autres importants des équipes de coaching, comme les médecins, physios, bref, tout le monde impliqué au niveau problème de genou.
J’ai eu le privilège d’assister à une rencontre de suivi post IRM avec une athlète et son chirurgien. Je l’ai trouvé immensément connaissant, mais en aucun temps dans la discussion avons-nous parlé de technique.
Pourtant je crois pas qu’on se trompe en 2012 en affirmant qu’il y a bel et bien moyen de courir d’une façon qui soit de moins en moins taxante pour les genoux.
C’est effectivement claire que la technique (moins du talon, pose plus près du centre de gravité), la cadence (plus élevée), et la chaussure (moins de drop et de stack) ont comme effet de réduire le stress au genou! (près de 20 articles sur ce sujet précis)
Bonjour Trimes,
Merci pour le très bon article.
Tel que vous mentionnez, la bonne chose que ce « questionnement » a amené et de changer le marché. Toutes les compagnies ont emboîté le pas de la tendance minimaliste. Les caractéristiques de leurs chaussures s’orientent clairement vers plus de légèreté, plus de flexibilité, moins de hauteur de talon et moins de technologie pour contrôler les mouvements du pied. Les gros noms de l’industrie ont maintenant, sans exception, une gamme de chaussures dites minimalistes et leurs ‘gros motion control’ disparaissent.
Je suis d’accord que les chiffres des five fingers ne sont pas en hausse comme dans le passé… mais le minimalisme en général (cote TRC > 65-70% pour lui donner une définition plus claire) est certainement en hausse!
Je pense que actuellement, les détaillants sont ceux qui ont le plus de pouvoir dans l’orientation du marché (freiner ou promouvoir cette tendance). Ce sont sont eux qui ont le plus d’influence et eux qui orientent le plus grand nombre de coureurs… eux qui font les commandes, eux qui orientent les coureurs vers ce qu’ils croient bons. Le seul hic, l’influence provenant des compagnies vers les détaillants.
On verra bien ce que 2013 nous réserve!
Blaise
Hey mon Dieu, Trimes attire du gros calibre!
Pas mal d’accord avec ce que tu écris, sauf peut-être sur le propriétaire du gros bout du bâton. Les détaillants tentent de tempérer en général les élans minimalistes inappropriés. En ce sens, bien qu’ils participent activement à la promotion du minimalisme, je crois que le courant en général les emporte eux aussi.
C’est un gros cours d’eau, alimenté par vous autres les gurus, les coachs, les revues spécialisées, les livres (Born to Run), les 3 nouveaux axes de technique de course (Chi, Pose, Newton), etc etc etc…. Les détaillants sont une branche importante, mais une branche quand même.
Bonne saison Blaise, et reviens nous voir souvent!
Charles