Il serait facile de se concentrer uniquement sur la performance et de continuer à valoriser nos champions, mais chez Trimes, c’est le processus qui nous intéresse.
On doit avouer que notre implication avec de jeunes athlètes alimente notre questionnement sur le développement de l’individu à travers le sport.
Dans cette recherche, il nous parait pertinent de faire l’entrevue de Joël Hauss, père du triathlète David Hauss (4e place aux JO de Londres).
C’est un sujet qui est rarement évoqué, mais la réussite d’un athlète n’est jamais due à des raisons purement athlétiques. Il doit trouver un milieu serein qui le supportera afin de ne pas déjà partir avec un handicap. On a cette impression que les enfants d’athlètes n’ont pas ce fameux avantage génétique mais avant tout un amour pour le sport et la recherche du dépassement qui est contagieux pour les enfants. À vous de juger.
À quel moment avez vous eu le sentiment que David était spécial et qu’il pouvait réussir en tant qu’élite?
Deux choses. La première, lorsqu’avec les jeunes (10-12 ans) de la section triathlon dont je m’occupais, j’avais organisé une course contre la montre sur 1000m. Il n’avait pas encore 12 ans et il a littéralement atomisé ses camarades … en faisant 2’58.
La deuxième lorsqu’il a décidé de partir vivre seul en métropole à 15 ans, (section sportive de Montluçon) quitter sa cellule familiale, sans connaître rien ni personne sur place, pour y faire du triathlon … motivation.
La vie de sportif élite est tragique puisque beaucoup voudraient l’être mais peu sont élus. On entend souvent des histoires de parents qui font tout pour dissuader les enfants de poursuivre des carrières plus incertaines. Sachant que David devait déménager pour la métropole, on imagine que le support de ses parents était encore plus important, non?
Je pars du principe qu’on ne peut rien empêcher lorsque c’est décidé. On peut retarder les choses mais on ne peut pas les empêcher. Il vaut mieux être avec les gens que contre. À partir du moment où il avait décidé de partir, j’ai tout fait pour que tout aille pour le mieux.
Pour moi le sport est un vrai métier au même titre que la comptabilité ou la maçonnerie. Alors autant être bon dans le sport que moyen en comptabilité ou être un mauvais maçon.
On parle très peu des parents des athlètes, ils ont pourtant un rôle très important dans le développement de leurs enfants. D’ailleurs les athlètes qui ont déjà des parents qui étaient élites semblent être avantagés parce qu’ils connaissent déjà le milieu et savent mieux intervenir dans les bons et les mauvais moments. Es-tu en accord avec cela?
A mon époque, j’étais en préparation Olympique (L.A ’84) en lutte. Ce n’est qu’à ce « titre » que j’ai connu le haut niveau. Mais c’était une autre époque et surtout un autre sport. Je n’ai eu qu’un petit niveau régional en triathlon.
Mais c’est vrai que d’être là dans les moments difficiles (je pense à sa Mononucléose en 2005-2006 deux ans avant Pékin) a été un réel avantage (là c’est l’entraîneur qui parle et non le père). Le fait d’être passé moi aussi à coté de quelque chose d’important dans la carrière d’un sportif, a été un réel avantage. Notamment pour se recentrer sur l’essentiel et se motiver de nouveau.
Il est normal de se questionner à savoir si le parent ne désire pas le succès plus que son enfant. Est-ce que cela t’a croisé l’esprit que tu te projetais dans le succès de David?
On ne peut pas à proprement parler d’une telle projection dans le succès de David.
Quand on est à l’entraînement, c’est l’entraînement qui compte et les sensations qui vont avec. C’est l’entraîneur qui parle, qui pense au présent ou à l’avenir. Si on bosse c’est pour y arriver.
Alors à chaque étape ou palier franchis on ne peut que forcément se projeter dans l’avenir … ou en tout cas comment parvenir à progresser encore.
Alors se projeter dans l’avenir oui mais pas forcément dans le succès. A ce niveau de performance et de perfection, dans notre fonctionnement et dans notre façon de voir les choses, l’entraîneur n’a pas besoin d’être plus motivé que son athlète.
Comme je l’ai dit une ligne est tracée. Pour aller de l’autre côté de la ligne, on va certainement devoir adapter des choses mais le but est là, il ne bouge pas. Nous la suivons le mieux possible. Après on y arrive ou pas. C’est une autre histoire.
On parle très souvent des mauvais exemples d’encouragement parental. Ceux qui mettent trop de pressions sur leurs enfants et qui ne semblent pas comprendre l’excellence. Étais-tu attentif aux interventions des autres parents? Des conseils à donner à ce sujet?
Chacun voit les choses différemment et chaque personne est unique. Je n’ai jamais tenté de copier un tel ou un tel. Pour moi ce qui marche pour l’un ou l’autre n’aurait probablement pas fonctionné avec David. Le contraire et aussi vrai.
La chose qui m’importait (et qui m’importe le plus encore maintenant), c’est que David trouve son équilibre dans ce qu’il fait. Pour arriver au niveau qu’il a actuellement nous sommes parti de ce qu’il avait (ou n’avait pas) et ou il devait aller pour être le meilleur. Une fois la ligne de conduite tracée, c’était plus facile.
J’ai 5 enfants (avec David) et je fonctionne comme ça avec tous. Du moins je fais en sorte qu’il en soit ainsi car parfois il faut quand même composer différemment.
D’ailleurs, chez Trimes, on remarque que les jeunes qui ont rapidement du succès dans le sport, perdent souvent de vue les vraies valeurs du sport, soit le sentiment d’accomplissement et de dépassement. Est-ce que c’est quelque chose qui vous préoccupait en le voyant évoluer?
A vrai dire, non. David est un besogneux. Il n’avait pas vraiment de qualité « innée » (mise à part en course à pied) et il a dû bosser beaucoup et dur pour y arriver. Il a le goût de l’effort et il sait que c’est un passage obligé. Mais il a d’abord fait du sport pour ce que c’est. Une façon de se sentir bien, de se surpasser et de s’accomplir.
Tu n’avais pas donc la crainte avec David qu’il attrape la grosse tête et qu’il oublie le dévouement nécessaire pour réussir?
Non même pas peur! Je le connais bien et la grosse tête ou les chevilles qui gonflent ce n’est vraiment pas son truc. Il n’est pas comme ça. Probablement l’éducation qu’il a eu. Et puis la grosse tête pourquoi? Parce qu’il est triathlète professionnel ? Il sait pourquoi il s’entraîne. Il veut être le meilleur. Tant qu’il y aura du monde devant lui ça veut dire qu’il doit encore travailler. Il sait qu’il ne peut pas s’éloigner de son parcours.
Avais-tu cette peur que David doive voir autre chose que le sport?
Non, car en comprenant la direction qui allait être la sienne ça m’a quelque part rassuré.
Le fait de faire du haut niveau et donc de voyager, de voir des gens différents, des cultures dans des pays différents, de vivre et de composer avec des gens venus eux aussi de cultures et de mondes différents lui a offert cette opportunité inouïe d’avoir une grande ouverture d’esprit. Chose qui ne serait peut-être pas arrivé en restant ici à la Réunion en suivant le cursus « normal » de M. Tout-le-monde.
Tu es d’ailleurs l’entraîneur de David. Les relations entraineurs-parents n’ont généralement pas bonne presse. Comment l’expliques-tu?
Je pense que les problèmes arrivent avec les parents qui veulent se servir de leurs enfants pour terminer ce que eux n’ont pas terminé en étant plus jeunes. Alors un jour les enfants grandissent d’un seul coup.
Moi je n’ai rien à prouver. Avec les moyens que j’avais, j’ai été au plus haut que je pouvais dans le(s) sport(s) que je pratiquais et je ne pouvais pas faire mieux. Personne ne me l’a dit. Je le sais. Je n’ai donc rien à assouvir ni à prouver à moi ou a quelqu’un d’autre.
En ce qui nous concerne, nous n’avons jamais eu de problèmes de relation. Heureusement, il nous arrive de discuter et de n’être pas d’accord mais lui ou moi arrivons toujours à un consensus qui va dans le sens de l’objectif.
Comment décris tu ta relation avec David?
(C’est la question qui m’a demandée le plus de réflexion)
Le premier mot qui m’est venu à l’esprit c’est chanceux. J’ai eu la chance. Pas de la chance. Mais LA chance.
Décrire une relation père/fils, ou entraîneur/entraîner, ou père/entraîner, ou encore entraîneur/fils comme chanceuse peut paraître hors du temps.
Mais j’ai eu la possibilité de l’accompagner dans son projet Olympique.
J’ai eu la possibilité de le voir grandir en étant épanoui,
J’ai eu la possibilité de progresser moi aussi à ses cotés
J’ai possibilité le voir progresser et de s’affirmer.
J’ai possibilité partager avec lui des moments forts et de tristesse qui n’arrivent que dans le sport.
Enfin, j’ai eu la chance qu’il me demande de partager tous ça avec lui.
David et toi, vous grandissez ensemble dans le sport. Penses-tu que votre succès vienne justement du fait que contrairement à un entraîneur, tu es plus porté à t’intéresser au développement de l’individu?
Je n’ai pas l’impression de faire différemment que les autres entraîneurs que j’ai vu travailler.
Lors de notre camp d’entraînement en altitude l’année dernière à Davos, il y avait un groupe qui préparait les jeux, et j’ai notamment assisté à plusieurs séances d’entraînements de Darren Smith et lui aussi passait aussi pas mal de temps pendant et après les entraînements pour discuter avec ses athlètes. Et si ce n’était pas pour faire grandir et avancer ses athlètes, je ne pense pas non plus que c’était pour se faire apprendre la recette de la mousse au chocolat.
Nous avons certainement à deux, plus de complicité qu’un entraîneur qui s’occupe d’un groupe et/ou qui fait ça uniquement pour de l’argent.
Je suis intimement persuadé que le développement de l’individu est indissociable du développement du sportif.
Sans un accomplissement de l’homme tu ne peux pas avoir de progression à long terme. Il faut que l’Être puisse se retrouver dans l’engagement qu’il fourni.
David a fait une course à la hauteur de son talent aux Jeux Olympiques de Londres. J’imagine que vous n’avez aucun regret?
Non vraiment aucun regret. D’ailleurs, comment avoir des regrets? Les 3 premiers ont juste nagé, roulé, et couru devant toute la course. Alors quel regret avoir? On peut bien sûr refaire la course devant un écran et se demander « si… ». Mais à quoi bon? Il faut avancer.
Sachant qu’un podium était pratiquement impossible à moins d’un accident avec les Brownlee et Gomez, as-tu l’impression que la performance de David est sous-estimée?
Sous-estimée? Non. Médiatiquement peut être. Mais on sait que les petits sports n’ont pas bonne presse.
Nous savons aussi qu’aux Jeux, 4 ème ça n’existe pas et ça ne sert à rien. Mais ça c’est pour M. Tout le monde. Moi, toi, les gens qui sont autour du triathlon et qui s’y intéressent et/ou qui aiment et connaissent du sport en général, eux savent ce que signifie d’être 4ème.
Tout le monde avait l’espoir d’améliorer son jeu et être capable de battre les Brownlees et ce n’est finalement pas arrivé. Avez-vous tiré des nouvelles lignes directrices après Londres?
Je pense que le niveau monte notamment en natation. Ça nage de plus ne plus vite. Il y a plus de densité devant.
Mais c’est vrai aussi que dans l’état actuel des choses, ça ne va pas être simple de les battre. Si c’était le cas, ce serait certainement déjà fait.
Je ne sais pas quand, ni par qui les Brownlee seront battus. Mais tout le monde travaille sur le sujet ou avec le même objectif.
Avec la stratégie qu’ils utilisent sur leurs courses (un exemple parmi d’autres : étouffer leurs adversaires dès le départ), nous progressons en essayant de nouvelles choses qui paraissaient incongrues ou incompatibles avec le type d’effort d’un triathlon il y a quelques années. Mais ça avance. Le temps peut paraître un peu long pour certains. Ils ont un coup d’avance c’est tout.
On ne peut pas s’aligner contre ces trois là en disant qu’ils sont imbattables sinon autant rester à la maison.
Autre chose à ajouter?
Merci pour tes questions pertinentes qui sortent un peu des questions traditionnelles. Cela m’a aussi permis de réfléchir sur le chemin parcouru et à parcourir et j’ai encore plus de force et de conviction pour aller à Rio en 2016.
Et j’espère d’ailleurs t’y retrouver dans ta cabine de commentateur du triathlon!