Gregory Rouault a fait les manchettes dans le milieu de l’ITU puisqu’il a annoncé publiquement son intention de changer de nationalité afin de devenir Américain. Cet athlète qui a d’ailleurs gagné une coupe du monde en 2013 (Edmonton) à des qualités de coureur qui lui permettent d’aspirer encore à mieux. Trimes a donc voulu faire le point avec lui afin d’exposer ses dernières décisions.
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2013 a été une année importante pour toi, à moins que je me trompe mais c’était ta meilleure saison avec une victoire en coupe du monde à Edmonton, deux top 5 en WC et une 24e place en WTS. Quelles sont tes conclusions sur cette saison ?
C’était une très belle saison mais je reste sur ma faim. J’ai progressé, j’ai gagné en maturité et j’ai gagné en régularité. Je manque un peu d’expérience au plus haut niveau et il faut que je gagne quelques secondes en natation en WTS. Le niveau est tel que tu n’as pas le droit à l’erreur quand tu es un nageur de mon niveau. Ce n’est pas nécessairement nager plus vite, mais il faut que je sois plus efficace et que j’ai une meilleure lecture de la course dans l’eau.
J’imagine que lorsque Darren Smith souhaite investir en toi, cela dû être très motivant… Et vu son CV, tu dois te dire que le rêve olympique est possible, non ?
Darren est quelqu’un de spécial. Il y a des relations fortes entre lui et ses athlètes car il s’investit au maximum. Et on l’adore pour ça. On ne parle pas des Jeux. L’objectif est de tirer le maximum de mon potentiel. Cela ne sera peut-être jamais mieux qu’une victoire en Coupe du Monde mais en tous cas je vais tout mettre toutes les chances de mon côté pour en être certain et ne pas avoir de regrets. Darren est quelqu’un de passionné qui prend un plaisir énorme à développer des athlètes et les aider à s’épanouir.
Peux-tu nous parler un peu de ton expérience dans le D-squad ?
C’est une l’expérience d’une vie. Je suis entouré au quotidien de personnes qui font tout leur possible pour atteindre le plus haut niveau. On se comprend, on se pousse et on se respecte. C’est un investissement colossal à tous les niveaux, mais je ne le regrette pas une seconde !!
As-tu l’impression que le fonctionnement du squad est très différent des autres structures ? Dans le sens où les athlètes ne sont pas en compétition directe et cela implique un certain état d’esprit ou il n’y a pas de demi-sacrifice.
Je ne pense pas que cela change beaucoup de choses. L’important est d’avoir un entraineur d’un niveau tel qu’on a 100% confiance dans ce que l’on fait !! Si Darren, Sutton ou autres géraient une fédération, les résultats seraient là aussi, mais ils ne le font pas car ils ne veulent pas perdre de temps avec le côté politique des choses. Entrainer, c’est leur business… Ils ne sont pas là pour faire plaisir à telle ou telle personne et respecter telle ou telle règle. S’ils ne sont pas bons, nous ne sommes pas bons et ils n’existent plus. Ils font donc tout pour créer le meilleur environnement afin de performer. Ils ne peuvent pas se cacher et ils ne peuvent pas accepter certaines choses qui pourraient être acceptées ailleurs. Ils ont donc plus de liberté dans leur manière de diriger un groupe mais leur position est aussi plus risquée.
Tu as clairement la vitesse nécessaire en course à pied pour rivaliser en WTS, j’imagine que la natation doit t’obséder. Quels sont les moyens que vous avez pris pour franchir ce palier?
C’est complexe mais d’autres athlètes vivent la même chose pour progresser à pied par exemple. On travaille méthodologiquement afin de gagner les quelques secondes qui me permettraient de m’exprimer à 100%. Le moteur je l’ai. Il faut donc travailler la technique, la technique en eau libre et l’endurance musculaire. Darren est la personne la plus exigeante que je connaisse à ce niveau là… Et c’est vrai pour tout ce que l’on fait… Il cherche toujours à bien faire les choses bien pour éviter de gaspiller de l’énergie inutilement.
Tu as récemment fait le choix d’abandonner ta nationalité française pour représenter les Etats-Unis en 2014. Peux-tu nous parler comment cela est arrivé ? J’imagine que l’USAT a fait des démarches ?
C’est un choix que j’aurais pu faire en 2007. Alors que je venais juste de rentrer en France, l’USAT était entrée en contact avec moi. J’ai toujours gardé des contacts avec eux car j’avais passé deux années en groupe d’âge là-bas et que je m’entendais bien avec plusieurs personnes. L’opportunité s’est à nouveau présentée et le timing était bon cette fois-ci.
Sans rentrer dans un débat philosophique sur la notion de la nationalité et étant moi aussi un Pisciacais exilé depuis 15 ans au Canada, je comprends totalement la notion de double nationalité. Peux tu nous parler de ton attachement avec les États-Unis ?
J’ai vécu presque neuf années aux Etats Unis et j’y possède toujours une maison à Tulsa, des amis très proches et une part importante de ma vie. Les gens qui me connaissent savent ô combien je suis partagé dans ma culture entre mes deux vies. Ce n’est pas pour rien qu’on m’appelle « Walker » de temps à autres !! J’y ai passé des années très importantes de mon existence et je m’y suis construit. Je ne pars pas au Qatar ou ailleurs !! Je vais courir pour un pays que j’aime, que je respecte et pour lequel j’ai déjà couru dans le passé. Venir aux US, c’est aussi assurer mon avenir professionnel. En 2007, quand j’ai pris la décision de rentrer en France, j’étais Business Analyst. Je gagnais bien ma vie et j’ai décidé de tout mettre entre parenthèses afin de poursuivre un rêve et un projet personnel et fédéral. Pendant deux ans, j’ai vécu de mes économies. Le fait est que j’ai 33 ans et que j’ai reculé socialement durant ces 5 dernières années car la vie d’un triathlète n’est pas celle d’un footballeur. J’ai très peu de chances d’aller aux JO un jour et je dois assurer mon avenir professionnel. En rentrant aux US, je vais pouvoir recommencer à travailler pour mon ancien patron afin de financer la fin de ma carrière sportive dans un premier temps, puis assurer mon avenir personnel et professionnel dans un deuxième temps.
T’es sûr que tu nous fais pas ton Depardieu et que tu ne voulais plus payer tes impôts en France ?
C’est ça aussi… J’ai gagné des millions ces dernières années et il fallait que je parte lol
La question qui tue, certains amateurs doivent se dire que si tu n’es pas assez bon pour te faire une place dans l’équipe de France, tu n’as pas ta place aux Jeux. Qu’est-ce que tu leur répondrais ?
Pour faire une analogie : avez-vous déjà été attiré par une autre personne sans que cette personne ait le même sentiment ? Que faites-vous alors ? Je me suis battu pendant 6 années pour être riche et sexy mais il m’a manqué le petit truc pour conclure lol
Selon certains, mon choix a été décidé par l’appât du gain ou parce que je ne suis pas assez bon pour l’EDF. Premièrement, si j’étais attiré par l’argent, je n’aurais pas abandonner ma carrière professionnelle… Parlez en à ma mère lol
Décider de venir courir pour la fédération américaine implique que je réduis encore plus mes chances de participer aux JO car je n’ai pas la nationalité américaine (je procède actuellement aux démarches nécessaires mais cela est très compliqué et je ne pense pas aux JO).
J’ai perdu un partenaire et je dois subventionner ma saison sans l’aide d’aucune fédération. Je le fais car je veux m’épanouir pour la fin de ma carrière et aller au bout de mon projet. Je veux voir ce que je peux faire au maximum de mon potentiel. L’an passé, j’étais l’athlète avec le plus haut classement à ne pas participer aux WTS. Sur ces dernières années, j’ai gagné 7 ou 8 coupes continentales, fait 5 Top 5 sur Coupe du Monde (dont une victoire) sur mes cinq dernières Coupes du monde. Cependant, la densité du triathlon français ainsi que la stratégie et la politique de la DTN font qu’il n’y a pas beaucoup de place pour un triathlète d’un certain âge avec une natation aléatoire (mais qui peut courir vite :D).
Je respecte ce choix de la FFTri et je le comprends. Les dirigeants sont des hommes qui ont une ligne de conduite à suivre, des objectifs à remplir et qui doivent rendre compte à des élus. Ils ont des choix à faire. Nous devons tous prendre des décisions !!
Cependant, après avoir sacrifié 6 années de ma vie et mis entre parenthèses mon avenir, j’estime avoir le droit de continuer de me battre afin d’atteindre le maximum de mon potentiel. Nous sommes plusieurs triathlètes dans ce cas et ce n’est pas facile à vivre tous les jours.
C’est beaucoup de frustration et beaucoup de pression quand on nous donne un semblant de chances. L’an passé, j’ai dû batailler dur pour avoir accès à la WTS d’Hambourg. Quand j’ai finalement eu le droit de courir, on m’a dit qu’il fallait que je remercie un autre athlète qui avait décidé de ne pas prendre le départ.
A ce moment-là, je crois que j’étais 27ème au ranking ITU et 4è ou 5è français. Ensuite, je suis mal placé sur le ponton, je fais une erreur de direction en natation et ma course se termine par une 24è place. Le lendemain, je reçois un email pour me dire que j’avais le droit de courir à Stockholm mais qu’il fallait que je fasse un Top 6 et je que je sorte à moins de 40 secondes de la tête si je voulais en refaire une.
Je ne suis pas certain que tous les athlètes aient la même pression et qu’on ait tous la même sérénité en arrivant sur la ligne de départ… Le plus frustrant je pense, c’est de ne pas pouvoir m’inscrire sur certaines courses malgré que je possédais les points nécessaires et qu’il restait des places au niveau du quota français.
Peux-tu un nous en dire plus sur ta situation puisque les amateurs surévaluent souvent votre réalité (financement, soutient).
Je gère un business… Mon business. Le financement de ma saison n’est pas une raison. Je me débrouille comme je le peux pour financer ma saison et je tiens à remercier mes partenaires et ma famille.
Pour information, j’ai fait un prêt l’an passé pour pouvoir payer tous mes déplacements sur coupes continentales, coupes du monde et financer tous mes stages (qui se sont déroulés assez loin de chez moi, aux Etats-Unis et en Australie). Je me suis mis en danger financièrement et j’ai mis mon couple sous pression.
La décision, je l’ai prise quand j’ai compris que je ne faisais pas partie de la stratégie de la fédération. J’avais une opportunité de continuer à m’exprimer ainsi qu’une opportunité professionnelle et je l’ai saisie.
Est-ce que la fédération française a tout de même essayé de te retenir ?
Comme je l’ai dit au-dessus, je respecte la FFTRi et ses décisions et je pense qu’ils ont fait de même. Donc non, ils n’ont pas essayé de me retenir et je les en remercie. Je me suis battu pendant 6 années et j’ai tout donné pour être l’un des meilleurs triathlètes français.
Je n’ai aucun regret et je pense que la Fédération n’a pas de reproche à me faire… Je me suis impliqué à 100% et j’ai tout donné… Je pense qu’ ils auraient juste aimé que mes parents partagent les gènes de nageur un peu plus équitablement entre mon frère et moi !
Tu représente effectivement un nouveau problème pour les DTNs, entre investir dans la jeunesse ou dans quelqu’un qui ne lui manque pas grande chose, non ?
C’est tout à fait cela. La FFTri a un problème de riche et il faut qu’elle fasse des choix. Je le comprends et je le respecte mais ce n’est pas toujours facile à vivre.
Un mec avec mon profil n’a pas le droit à l’erreur et doit être bon tout de suite et tout le temps. Perso, je dois être un peu parieur dans l’âme car je préfère avoir mon profil et savoir que le jour où ça passe, j’ai une chance de jouer la gagne.
Est-ce que l’USAT s’est engagé à te permettre de prendre plus de départs en WTS ?
L’USAT, c’est la mentalité américaine. On ne regarde pas ton âge ou comment tu y arrives… On regarde ton classement. Je n’ai pas de garanties mais je n’ai pas de barrières supplémentaires non plus. C’est à moi de jouer.
Tu es très lié à Poissy, Comment ont-il réagit ?
Poissy, c’est plus que mon club… Les gens en rigolent mais c’est une famille. Ils sont là dans les hauts et dans les bas et ils représentent un soutien incroyable. Ils m’ont soutenu dès que je leur ai parlé de ce projet.
Je lance un débat mais pourquoi serait-il plus grave de changer de nationalité sportive plutôt que de changer de club ? Personnellement, il me serait beaucoup plus difficile voire impossible de partir du club de Poissy car l’implication de ce dernier et de ses partenaires dans mon projet a été beaucoup plus importante et régulière que toute autre. Et c’est une relation de coeur très forte pour moi. C’est le club qui a cru en moi depuis le tout début. Lui qui n’a pas attendu des résultats pour me soutenir et qui a toujours été là à mes côtés dans les bons et les mauvais jours.
C’est une structure dirigée par des bénévoles, des passionnés et des personnes avec qui j’ai pu tisser une vraie relation. Poissy Triathlon (et je pense que c’est le cas pour beaucoup d’autres clubs et pour d’autres triathlètes) joue un rôle primordial et souvent sous-estimé dans nos vies de sportif.
La relation entre un athlète et sa fédération est toute autre. C’est beaucoup plus politique et intéressé. Il n’y a pas de côté relationnel… Si tu peux contribuer au projet, tu es intéressant sinon… La fédération doit répartir ses ressources en fonction de son jugement de qui sera le plus capable de les aider à atteindre ses objectifs. C’est un business en fait.
Malheureusement, je ne faisais pas vraiment partie des plans.
Naturellement, La fédération a joué un rôle dans ma carrière, mais sans équivalent comparé à mon club. En bref, Je n’aurais jamais pu mener mon projet sans Poissy Triathlon et je leur suis reconnaissant à jamais. On te verra toujours en FGP? Bien entendu. RDV à Dunkerque fin mai.
Tu représenteras la nation olympique (ITU) l’année prochaine, comment se fait l’attribution de départ au WTS?
Je n’en suis pas certain, mais étant donné que je suis positionné correctement au niveau de l’ITU point list, les choses ont l’air de se faire assez facilement. Encore une fois, c’est à moi d’assurer.
Pour finir, quels sont tes objectifs pour 2015 ?
Tirer le meilleur de moi et rendre heureux et fiers mes proches et toutes les personnes qui me soutiennent !!