Trimes s’est entretenu avec Fred Belaubre, gagnant de plusieurs coupes du monde, trois fois champion d’Europe, six fois champion de France et olympien (5e à Athènes), depuis sa saison blanche de 2012, il s’était fait discret sur ces nouveaux objectifs. Trimes a souhaité en savoir plus sur la récente résurrection et ces futurs objectifs.
Comment se passe ta saison 2014 jusqu’à maintenant? Tu sembles prendre beaucoup de plaisir sur les « Grand Prix « et la « Bundesligua », est-ce que je me trompe?
Ma saison 2014 se passe très bien. Elle est à l’image de mon entraînement actuel, et de ce que j’aime faire dans ma pratique du sport (que ce soit pour du haut niveaux ou pas). C’est à dire partager, prendre du plaisir, se donner à 100%, et « faire le job » sans pression superflue.
As-tu l’impression de courir sans pression? Je veux dire que comparativement aux exigences de la WTS, de l’extérieur, cela ressemble à une libération de pouvoir courir en FGP avec ses amis de clubs.
Les « Grand Prix « sont un bon condensé de tout ce que j’évoque dans la question précédente en effet. C’est un pur bonheur. Malgré tout, je suis perfectionniste et je me mets la pression quand il le faut. Je suis toujours à fond dans ce que je fais, donc même sur les « Grand Prix » l’enjeu est toujours présent. Dès qu’un élément dépasse de sa case, je suis parfois même un peu trop stressé.
En début de saison, tu as participé au triathlon international de Cannes où tu as d’ailleurs prouvé que même en étant un ITUiens, tu étais en mesure de suivre les spécialistes. Est-ce que cela a allumé en toi la flamme de la longue distance?
Le triathlon de Cannes a été une bonne et une mauvaise expérience, je n’étais pas vraiment préparé en vélo pour 80km de course vraiment très vallonnés (reprise du vélo 1 février à cause d’une fracture à la clavicule) donc j’ai beaucoup souffert à vélo, et j’ai couru avec les jambes lourdes, c’est à dire avec de mauvaises sensations. Néanmoins, je ne me suis jamais senti « en dehors du coup », le bilan était positif. Je me suis dit qu’avec une préparation un peu plus conséquente en kilométrage vélo, les bonnes performances en longue distance n’étaient peut être pas si loin. Sans appeler ça un « coup de foudre » j’ai quand même pris du plaisir, et cela m’a donné envie de ré-éditer l’expérience.
Est-ce que tu ressens une certaine pression du public à t’engager sur le long? Ce n’est pas forcément là où tu y prends le plus de plaisir non?
Certaines personnes me voient depuis 2012 sur le long plus que sur le court. C’est vrai que mon profil d’athlète « complet » se marie bien avec le non-drafting, et comme je le disais, j’aime bien ce genre d’effort solitaire « en course ». Mais à l’entraînement c’est une autre histoire, l’Ironman semble encore trop loin de ce j’aime faire en terme de préparation. Je ne me vois pas encore passer toutes mes journées seul sur le vélo. Le Half-Ironman m’attire déjà beaucoup plus, mais je tarde vraiment à « divorcer » de la distance que je trouve la plus excitante… Ca va venir…
Revenons sur un passage difficile dans ta carrière. 2012 est pour toi une saison blanche (tendinite au fessier). Sur le moment, est-ce que tu réalisais que tu avais probablement perdu ta place en série mondiale? Comment as tu vécu tout cela?
2012… Une année difficile, mais riche en expérience. Le Kenya, ma collaboration avec Jean-François Pontier, commentateur sur France2, ma présence à Londres pendant les JO en tant que spectateur, mais niveau résultats sportifs personnels, pas grand chose… blessures graves et moins graves, j’ai beaucoup souffert psychologiquement de ces enchaînements de coupure/reprise. Mon corps me rejetait. Je me suis dit, ah bon, c’est comme ça qu’on met fin à sa carrière… Alors j’ai lâché dans la tête, j’ai coupé pendant les 3 mois d’hiver, et je me suis donné beaucoup de temps/progressivité dans la reprise début 2013. Je m’entraînais au plaisir, sans pression superflue, sans jugement de moi-même (celui des autres ne me touchait plus, même si je trouve les gens qui jugent gratuitement toujours autant méprisables. Avec comme objectif les « Grand Prix « ainsi que des essais sur Half-Ironman, et soutenu par le club de Saint Quentin en Yvelines, j’ai gardé une bonne motivation. J’ai retrouvé petit à petit un niveau correct, en juin sur les « Grand Prix », puis j’ai passé le mois de juillet à argumenter mon envie de re-courir à l’international en Coupe du Monde, je fais 3ème à celle de Tiszaujvaros début août, enfin je réalise de belles courses à pied sur le triathlon de La Baule, et sur le Grand Prix de Nice / Championnat de France au mois de septembre… Pour répondre à ta question, je n’avais pas conscience que je perdais ma place en série mondiale, et surtout que les portes derrière moi se fermaient à double tour. Mais c’était normal, je n’avais plus le niveau. Maintenant il faut reprendre le chemin laborieux des points ITU, et prouver son niveau au sélectionneur. Je ne crache pas dans la soupe non plus, quand j’étais au top, la fédération m’a ouvert toutes ces portes. Après coup, je réalise que j’aurai dû faire cette longue coupure régénératrice en 2008, après Pékin. Je serai reparti sur une Olympiade reposé. Depuis 2009 je courrai un peu en manque de « fraicheur ».
Tu as d’ailleurs quitté cette année Boulouris après plus de 10 ans la-bas. Tu évoques d’ailleurs qu’on n’a pas souhaité retenir tes services pour faire partager ton expérience. Comment s’est passé ce retrait, as tu eu l’impression que c’était le temps de laisser la place à une nouvelle génération?
Oui, j’ai quitté le CREPS de Boulouris après 18 ans environ d’entraînement sur cette structure. Les choses ont beaucoup changé. Je suis rentré avec Patrick Dréano en 1996, il m’a formé, il m’a appris les valeurs que j’ai aujourd’hui. Il m’a enseigné la rigueur du sport de haut-niveau, le respect, et surtout à fermer ma gue..e!!! (rire) Ce qui était important pour moi, c’était la cohésion de groupe. Carl Blasco dès le début, et parfois Olivier Marceau étaient des modèles et partenaires parfaits pour moi. Stephane Valenti, coureur et duathlète international, nous a rejoint en apportant une grande valeur sportive. Les athlètes de Pierre Houseaux, le 2ème entraîneur du pôle faisaient également partie intégrante de l’équation. Suivant les années, des triathlètes que tout le monde connait encore aujourd’hui se sont succédé (Gaël Mainard, Yohan Vincent, Charly Loisel, Sylvain Sudrie, Nicolas Becker, etc…). Nous formions le Pôle de Boulouris. Pierre et Patrick aux commandes d’un groupe de travail solidaire et solide. Les anecdotes (surtout en natation dans le bassin tournesol) sont nombreuses. Mais pendant la saison 2006, et à partir de début 2009, j’ai rejoint intégralement le groupe de Pierre Houzeaux. Patrick avait été écarté du pôle depuis quelques années (il m’a entraîné à distance jusqu’aux JO de Pékin), Carl a arrêté sa carrière, Steph a monté un restaurant. Bref, depuis 2009 nous étions moins nombreux, avec une méthode de travail différente, et surtout la volonté de fédérer avait disparu. Le plaisir de s’entraîner a petit à petit laissé la place à la pression (mauvaise) de réussir ou non une séance. Cela ne me convennait plus. Aujourd’hui il n’y a plus qu’un seul athlète sur le Pôle France de Boulouris. Le groupe que j’ai rejoint à Saint Raphaël m’a redonné le plaisir!!!
As tu l’impression que l’ITU a tendance à oublier rapidement son passé et semble tellement porté à vouloir connaître les nouvelles tendances ? Je veux dire que l’on semble obnibulé par les Brownlees, Gomez et qu’on a l’impression que les athlètes sont enfin complets alors que ce n’est pas totalement le cas.
Oui c’est sûrement vrai, mais c’est la vie. Les champions et autres triathlètes passent, puis on les oublie, tout comme les chanteurs, les acteurs, etc… Le spectateur consomme et jette, c’est normal, je fais pareil avec ma bibliothèque itunes!!! C’est la règle du jeu, quand tu veux devenir le meilleur du monde, tu le fais pour toi, tu le partages avec le public, mais ce partage est hélas éphémère. Personnellement je ne me plains pas à ce niveau là, je suis certes assez dépendant du soutien du public, mais il a toujours été présent pour m’aider. Le haut de l’affiche est maintenant pour les jeunes devenus plus forts, c’est la suite logique, je suis bien content pour eux.
Est-ce que tu repenses souvent à ta transition (T2) à Athènes qui te prive probablement d’une médaille olympique?
Honnêtement, non. Je regarde toujours devant, sans trop repenser au passé. Je me sers de mes erreurs, mais je ne vis pas trop dans mes souvenirs. En plus j’ai une très mauvaise mémoire!
En parlant d’expérience, ton père était un ancien triathlète et pourtant ton choix de passer au sport triple a été assez tardif (14 ans) puisque tu avais un passé de nageur. As-tu l’impression que cela a joué en ta faveur dans ton développement?
Oui c’est évident, la natation pratiquée très jeune m’a énormément aidé. D’une part pour être bon nageur en triathlon, et d’autre part pour l’aspect physiologique, et le développement musculaire, et neuro-musculaire. Par contre, je pense qu’il n’aurait pas fallu que je passe au triathlon plus tard, car j’aurai peut être trop pris les « défaults » du nageur (hyperlaxité, tendons et mollets fragiles en course à pied). Peut être que l’âge idéal serait 12 ans… mais je faisais déjà un peu de VTT le dimanche, et des promenades en courant de temps en temps.
D’ailleurs, ta relation de ton père qui connaissait justement le haut niveau a sûrement été une force pour toi puisqu’il était plus en mesure de te comprendre dans ta carrière. Et j’imagine que tu souhaites aussi partager et redonner?
Mon père m’a beaucoup apporté, et ne m’a jamais forcé. Déjà par la culture du sport, pour moi faire du sport dans la journée c’était comme manger ou dormir. Il m’a toujours soutenu dans tout ce que je faisais. J’ai donc testé un peu tout sans me dire qu’il fallait que je trouve un sport qui me plaise. En parallèle j’ai tout de même toujours continué la natation en compétition. J’aimais beaucoup nager, mais c’est la diversité du triathlon, l’ambiance des entraînements, mes premières victoires, et mon adhésion au CREPS de Boulouris qui m’ont fait franchir le cap définitivement. Ensuite mes parents m’ont aussi aidé dans mon organisation, ma relation avec mes partenaires, et mes déplacements sur les courses.
Tu t’es récemment aligné à une course ITU (Holten), est-ce que cela signifie qu’on va te revoir plus souvent à l’international?
J’ai retrouvé du plaisir à l’entraînement, je refais des séances que je faisais à mon meilleur niveau, alors pourquoi pas retenter encore une dernière fois une prépa aux JO, dans les nouvelles conditions de travail que j’affectionne depuis février. Je sais bien que la concurrence est rude, les jeunes français sont forts et nombreux. J’ai aussi testé cette année le long qui m’a bien plus et j’adore l’ambiance des « Grand Prix, » si ça ne marche pas pour Rio, je ne serai pas malheureux. Je me donne quelques courses pour faire le point.
Est-ce que le récent changement de politique de la fédération qui ne bloquera plus l’inscription d’un français en WTS si son classement le permet t’a fait reconsidérer ton avenir?
Oui un peu. Je vois que le chemin sur lequel je m’aventure est moins obscur que l’an passé. Si j’obtiens suffisamment de points, je pourrai m’exprimer face aux meilleurs mondiaux, pour savoir ce que je vaux. Mais pour moi, ce choix fédéral est une évidence depuis longtemps. Sélectionneur, arbitre, juge, sont des métiers qui suscitent la critique c’est sûr, mais je trouve certains choix… bizarres. Il faut s’adapter. Tu sais, 35 ans c’est jeune en comparaison à Hunter Kemper qui souhaite tenter ses 5e jeux…, non? C’est clair, seul le résultat compte! Et c’est déjà pas mal!
Comme toujours, un champion reste un champion ! Très belle interview
Belle interview pour un beau champion. Bien content que Fred soit de retour avec une belle perf à Genève aujourd’hui.Bravo!