Opinion > La formation des jeunes en France, une jeunesse triomphante suffit elle?

La France vient de prouver une nouvelle fois en ce début de saison que ses jeunes font partie des meilleurs de leur génération. Audrey Merle, Cassandre Beaugrand, Raphael Montoya, Maxime Hueber sont les chefs de file d’une génération dorée qui semble promise à un bel avenir.

Ce phénomène n’est pas nouveau en France où la formation des jeunes semble être un exemple à suivre au vu des résultats trustés par les tricolores sur les différents championnats d’Europe et du monde junior depuis pas mal d’années maintenant. Sebastien Berlier, Marion Lorblanchet, Juliette Bennedicto, Frédéric Belaubre, Emmie Charayron et Dorian Coninx ont tous atteint le titre très convoité de champion du monde chez les jeunes. Pourtant, seul Frédéric Belaubre peut s’enorgueillir d’un palmarès élite à la hauteur des ses prédispositions en junior. Doit on s’en inquiéter ?

Le class tri, quelle légitimité ?

Le système de détection de la fédération, le « class tri » permet de proposer une hiérarchie des pratiquants dès leur plus jeune âge. Il consiste en une grille de points attribuée en fonction de sa performance sur une épreuve chronométrée de natation en piscine et sur une épreuve de course à pieds sur piste dont les distances varient selon les âges.

Cet outil, simple et opérationnel, est très pratique afin de détecter les potentiels et de se faire une idée des qualités de base des uns et des autres. Malheureusement, il n’intègre pas au moins deux données essentielles à notre beau sport : le vélo et la notion d’enchainement. Si l’on rajoute à cela qu’en triathlon, on nage en eau libre, que la course à pieds ne se court jamais sur une piste, et enfin, que lors d’un triathlon, il y a des stratégies, circonstances de course etc… cela fait beaucoup d’incertitudes.

Loin de moi l’idée de dire qu’il faut supprimer le class tri. Malgré tout, on remarque que, depuis quelques années, cet outil devient parfois aussi un véritable critère de sélection de nos jeunes et même de nos élites par la fédération française. Celle ci peut ainsi établie des sélections pour des épreuves internationales sur la base de performances sur des courses… d’athlétisme !

A ce niveau, il semble qu’il y ai comme une confusion qui amène nos jeunes et parfois nos éducateurs à considérer le nombre de points au class tri comme paramètre essentiel voir dominant. Ce qui doit être un simple indicateur, devient l’objectif à atteindre et l’entraînement s’articule autour de cette idée.

Le Vélo, points faibles de nos tricolores ?

Pourtant, il est évident si on analyse les courses modernes, que le vélo y prend une part prépondérante dans le résultat final. Tant sur le plan technique, que stratégique et aussi, bien évidemment au niveau des qualités à développer dans cette discipline. Tout le monde sera d’accord pour reconnaître que Les Brownlee, Gomez… sont certes très forts en courses à pieds, mais aussi et peut être surtout en vélo. Ils utilisent d’ailleurs cette partie cycliste pour peser stratégiquement sur la course et affaiblir les « pur » coureurs à pieds.

Sur toutes les courses de haut niveau du début de saison, on a assisté à des parties cyclistes très nerveuses où les groupes ne restaient pas figés comme on pouvait le voir parfois ces dernières années. Les circuits ont aussi évolués, difficiles du fait de leur déclivités comme à Aukland ou du fait des relances incessantes comme dimanche dernier à Chicago. L’arrivée, ou plus exactement le retour de « super cyclistes » type Tom Davidson sur ces courses, a encore accentué ce phénomène.

Bref, la partie cycliste n’est plus une simple « longue transition » entre le vélo et la course à pieds, elle peut devenir un enfer pour certain.

Hormis Vincent Luis, dont les qualités cyclistes ne sont plus à vanter, tous nos tricolores ont eu l’air de souffrir sur les WTS en vélo avant de quasiment sombrer pour la plupart en course à pieds.

Les « jeunes british » roulent beaucoup !

Dans nos écoles de triathlon, les cultures « multi enchaînements rapides » et Natation/course à pieds sont très présentes. Très performants très tôt sur des compétitions où tout se joue essentiellement en course à pieds, on peut légitimement s’interroger si on fait acquérir à nos jeunes cette base cycliste très importante dans leur développement futur.

J’avais été marqué l’an dernier en voyant que nos meilleurs juniors français surclassaient la concurrence sur les épreuves juniors mais soufraient par rapport aux juniors anglais par exemple lorsqu’ils étaient alignés sur grand prix.

Le passage chez les élites est tout de suite plus compliqué dans des courses où la moindre faiblesse « physique » se paye cash… A Londres il y a trois semaines, on a pu voir Dorian Coninx souffrir même sur un format sprint alors que dans le même moment, Gordon Benson étirait le peloton dans le dernier kilomètre de la partie cycliste. On sait que les anglais roulent beaucoup dès leur plus jeune âge, les Brownlee roulaient énormément étant jeune, tout le groupe du Yorkshire roule beaucoup et cela donne des athlètes complet et capable de véritablement peser sur la course sans jamais la subir.

Chez les filles, cela est peut être un peu moins flagrant, pourtant, regardons les meilleurs mondiales. Ce n’est pas par hasard si la victoire aux J.O de Londres s’est jouée en course à pieds entre Spirig et Norden, deux monstres sur deux roues. Aujourd’hui Seul Gwen Jorgensen peut se payer le luxe d’une relative faiblesse et d’erreur tactiques dans cette discipline du fait de son incroyable supériorité en course à pieds… Pour combien de temps ?

Retour aux sources ?

Notre sport à débuté avec des épreuves où la règle du « no drafting » rendait la partie vélo décisive… Les triathlètes s’entrainaient en conséquence.

L’évolution et le resserrement du niveau des athlètes, ainsi que quelques « parodie de triathlon » au début des année 90 ont conduit à l’autorisation du drafting sur les courses courtes distances… De fait, la partie vélo est devenue dans un premier temps moins intéressante, tout le monde cherchant juste à s’abriter pour attendre la course à pieds…

Et puis, quelques athlètes ont pris conscience que c’était une erreur de croire que le vélo n’avait plus le moindre poids dans le résultat final. Qu’il suffisait en somme, de nager vite, attendre et courir vite. Si on peut citer notre DTN Franck Bignet, auteur de quelques morceaux de bravoure cycliste dont une manche de coupe du monde mémorable à Nice, comme l’un des pionniers de ce changement, on peut considérer que les Brownlee ont donné ses lettres de noblesse à cette tendance qui cherche à impulser des courses à élimination, sans relâche, sans temps mort où seul les plus fort survivent. Aujourd’hui, il est donc impensable pour un athlète élite d’être faible sur deux roues…

Certes, les qualités à développer sont un peu différentes que sur des courses en solitaires mais le vélo est bel et bien revenu au cœur de la problématique stratégique et d’entraînement du triathlète moderne… Tant mieux, Cela rend les courses tellement plus dures… et tellement plus excitante à suivre !

A nous de savoir préparer notre jeunesse à cela. Ne jamais oublier que notre beau sport n’est pas simplement l’addition d’un chrono de natation avec un temps en course à pieds. Si l’on fait fi de ce principe fondamental, nos athlètes éprouveront les pires difficultés à performer au delà des catégories de jeune.

 

7 commentaires
  1. Le Class Tri est un outil de travail pour définir un potentiel. La communication n’est peut être pas adaptée car ce n’est pas ça le Triathlon, tout le monde s’accorde là dessus.
    En revanche, un jeune non performant en natation et course à pied ne peut pas être performant en Triathlon ce qui ne veut pas dire non plus qu’un jeune performant en natation et course à pied sera performant en Triathlon. Il ne faut pas faire l’amalgame et avoir conscience des limites de cet outil. Je pense qu’au niveau national, tout le monde en a conscience.
    La discussion s’articule donc davantage sur les moyens d’atteindre la performance en Triathlon et sur les notions de transfert inter moyens de locomotion.
    Le Class Tri ne peut être blâmé car il n’est que ce qu’on en fait. Les choix des entraîneurs sont en revanche essentiels dans la logique de performance. Il ne faut pas oublier l’essence de notre sport et rechercher l’adaptabilité par rapport aux contraintes du haut niveau, voire la proactivité quant à l’évolution de notre sport.

    1. Tu as raison, le class tri ne peut être blâmé dans le sens que cela permet de garantir un potentiel. La discussion est bien sur le fait que la méthode française a négligé le vélo alors que les autres nations comme l’Angleterre passe plus de 50% a deux roues. (https://www.trimes.org/2014/05/21/leeds-la-mecque-du-triathlon/). Dans le livre des Brownlees, tu comprends rapidement que leur volume à vélo ferait polémique en France.

      Après, ce n’est pas juste une question de puissance mais aussi d’endurance… (tu peux suivre les Brownlees mais si tu es incapables de courir derrière…)

  2. Ma question, y’a-t-il une méthode française???
    Je ne suis pas convaincu qu’à Valence, Metz, Poissy, Ste Geneviève des bois, St Raphaël, Montpellier, Grenoble on s’entraîne selon la même méthode, comme s’il y avait un style français.
    Je partage pour autant l’observation sur un niveau général à vélo moyen, même si des sportifs comme Dorian Coninx montrent bien qu’il faut se méfier de trop vite généraliser.

    P.S.: Pas certain que la photo corresponde au titre de l’article…

    1. Je confirme, non seulement il n’y a pas de méthode française mais il y a d’énormes différences entre les clubs évoqués.En fait le vélo n’est pas ou peu travaillé.Certains coachs pense ( à tors ) que cela ne sert à rien et qu’ il suffit de suivre le pack.Ceci explique en grande partie pourquoi de nombreux jeunes n’arrivent pas ( et n’arriveront pas ) à passer du sprint au CD et du niveau Junior au niveau supérieur.Les entraineurs sont dans l’immédiateté du résultat et ne prépare pas l’avenir mais malheureusement les médias se trompent systématiquement en ne faisant pas la différence entre une triathléte qui réussit en junior et qui a déjà compromis son avenir et une autre qui a mis toutes les bases pour réussir sur la distance et le niveau supérieur ( je parle effectivement des féminines en l’occurence ).J’en profite également pour confirmer que le class tri doit rester un outil et non un élément decomparaison

  3. Article et reflexion parfaite. Depuis le temps que je dis que les jeunes francais sont des buses en velo….
    et qu ils ne s en rendent compte qu en passant sur do !

    Par contre je pense qu il n y a pas de mathode francaise mais surtout un consensus global qui fait que le jeune ne doit pas faire trop de sport… dont exit les longues heures sur un velo qui comme on l entend dire « ne servent a rien »

    1. Encore une fois, c’est une vision parcellaire, certains éducateurs/entraîneurs ouvrent les yeux sur l’intérêt de développer un ensemble de qualités physiques dont l’endurance de base fait partie (sorties longues à vélo notamment).