Après Cyril Viennot, c’est au tour de Romain Guillaume de répondre à nos questions avant de s’envoler pour Kona.
Tu viens de vivre une saison 2014 assez tourmentée entre le meilleur, ta victoire à Lanzarote et des moments plus difficiles ou tu es forcé de prendre du repos, peux tu nous en parler?
Être au top de ma forme à Lanzarote et au plus bas 6 semaines plus tard est un peu difficile à accepter en effet!! Deux semaines après Lanzarote soit au moment de la reprise des entraînements j’ai effectué un Bilan sanguin qui a révélé un taux de fer anormalement bas. Le médecin de l’équipe m’a alors conseillé de prendre des comprimés de fer, mais ne les supportant pas au niveau digestif, j’ai à tort tout stoppé 10jours plus tard. Mi-juin j’ai commencé à ressentir des moments de fatigue plutôt anormaux, que nous avons mis sur le compte d’un contre coup de l’Ironman du mois précédent. Je suis allé quand même faire le 70.3 du Luxembourg, mais la semaine suivante je n’arrivais plus à rien faire aux entraînements. Physiquement HS. Début juillet une nouvelle prise de sang et mon fer était au plus bas… Mi-juillet je me suis résolu à stopper les entraînements, manger correctement et prendre un complément en fer, ne pouvant même plus courir 1h sans finir en marchant. Jamais je n’aurais imaginé qu’une carence en fer était si difficile à gérer… Après du repos, visite chez un nutritionniste et une administration quotidienne en fer, j’ai repris le chemin des entraînements début aout.
On imagine que ta récente course (3e à Lanzarote 70.3) te rassure avant de te diriger vers Kona.
C’est vrai que je suis plutôt satisfait de cette 3e place. Même s’il est vrai que Will Clarke me dérouille en course à pied, j’étais dans le coup en natation et très bien en vélo. Et ce malgré une charge d’entraînement très importante. En course à pied, je n’ai plus travaillé sur des distances courtes depuis mi-juin, il paraît normal d’être un peu en manque de vitesse sur 70.3 du coup… Et puis par rapport aux meilleurs coureurs du monde, je ne peux pas faire grand-chose.
Durant 2014, tu as changé d’entraineur pour aller avec Yves Cordier qui est accessoirement l’organisateur d’Ironman Nice et aussi l’un des plus grands triathloniens français. Est-ce qu’en allant avec lui, cela a beaucoup changé ta façon de t’entrainer?
En effet depuis mi-avril Yves a pris les rênes de mes entraînements après 8 années avec Stéphane Palazzetti. Yves est aussi l’entraîneur de Jeanne et petit à petit je me suis intéressé à ces méthodes, et au relationnel entraîneur/entraîné jusqu’au jour où j’ai sauté le pas en lui demandant s’il voulait bien me coacher. Ma façon de m’entraîner a vraiment été bouleversée du jour au lendemain avec davantage de volume, mais en contrepartie des séances soit a un rythme plus élevé, soit plus bas que ce que j’étais habitué à faire. Mais plus trop de rythme ou je suis ni relax, ni à bloc. J’apprends aussi à m’entraîner parfois à la sensation et oublier le capteur de puissance ou GPS, source pour moi d’un certain stress lorsque j’ai du mal à être dans les intensités. Je m’entraîne aussi en groupe à présent, ce qui m’ aide beaucoup physiquement et psychologiquement. Stéphane m’a beaucoup apporté, mais psychologiquement et peut-être aussi physiquement il me fallait essayer autre chose.
Donc, tu vois plus souvent ton coach désormais, as-tu l’impression que cela fait réellement la différence dans ton cas?
Oui dans mon cas c’est une chose essentielle. Je suis plutôt fragile psychologiquement et le fait d’avoir Yves au bord du bassin (ou dans l’eau) 5 fois par semaine, 3 fois en vélo et en course à pied m’aide et me rassure beaucoup. Il voit ce que je fais et peux adapter au jour le jour selon ma forme et mon humeur… Bien qu’il le fut déjà avant de m’entrainer, Yves est un très bon ami en qui j’ai toute confiance.
Cette question peut paraître étrange, mais tu étais reconnu pour venir courir souvent en Amérique du Nord et ce n’est plus vraiment le cas désormais. Même si tu voulais revenir à Mont-Tremblant, est-ce que tu as l’impression que les triathloniens français ont désormais une meilleure reconnaissance?
Absolument pas!! Je reste convaincu que ce n’est pas en France qu’un triathlète peut vivre convenablement de son sport, à moins d’être dans l’armée et être champion du monde ITU. Il nous faut courir là où est le marché du triathlon, c’est à dire en Amérique du Nord, et quelques autres pays comme l’Allemagne, etc. Cette année c’est vrai que je ne suis pas venu en Amérique du Nord, l’Ironman de Mont-Tremblant était un de mes objectifs, mais avec l’équipe beaucoup de choses ont changé pour moi…
Tu as signé avec BMC Uplace cette année. Peux-tu nous en dire plus là-dessus?
Depuis janvier je suis au sein de Uplace BMC Pro Triathlon Team et cela m’apporte énormément de satisfaction. Financièrement, je n’ai plus à devoir courir pour vivre, avec l’équipe j’ai une paie fixe, des bonus et un budget déplacement. Aussi, maintenant je peux me concentrer sur mes entraînements au lieu de courir trop souvent. La structure de l’équipe fait que nous n’avons plus rien à nous occuper: le directeur sportif centralise toutes nos demandes et le staff de l’équipe se charge de réserver les billets d’avion, hôtel, voiture, rencontre journaliste, etc. Nous avons aussi un médecin qui nous suit, un physio, un diététicien (depuis mon anémie), un mécano et un masseur sur tous nos stages et courses. C’est vraiment très confortable tout ce support, après plus de 5 ans a faire les choses tout seul…
À l’image du cyclisme, certains pensent que vous pourriez avoir des tactiques d’équipes, est-ce vraiment le cas?
Oui nous pourrions avoir des tactiques d’équipe, mais ce n’est pas le cas. Tout simplement parce qu’aucun d’entre nous n’est employé par l’équipe qu’ en tant que coéquipier!! Le Team veut des victoires, et si nous voulons rester dans l’équipe après 2015 si l’aventure continue, il nous faut gagner…
Est-ce qu’il y a tout de même une certaine entraide? Partagez-vous vos entrainements et vos infos physiologiques?
Des différentes courses que j’ai faites avec mes coéquipiers, la seule entraide que j’ai relevée c’est que lorsqu’un d’entre nous attaque, on laisse aux autres le soin de prendre la chasse. Lorsque cela est possible (selon le calendrier de course, méthodes d’entraînements, etc) nous partageons certains entraînements, pas à ma connaissance pour les données physiologiques.
Dans ton cas, avais-tu souvent l’occasion de partager des entrainements avec des athlètes aussi fort? Si oui, aimes tu cela sachant qu’il existe le fameux danger de vouloir concourir contre ses partenaires d’entrainement.
Jusqu’à ce que je m’entraîne avec Yves, je faisais mes entraînements a 95% tout seul. À présent je suis plus ouvert, mais cela reste quand même difficile de s’entraîner avec d’autres lorsque nous sommes tous dans une phase d’entraînement spécifique avec des méthodes toutes différentes. Toutefois, c’est en natation où cela est plus facile de s’entraîner en groupe et profiter de cet effet de groupe sans se cramer!
Tu seras finalement de retour à Kona. Tu as fait en quelques sortes faites preuve de patiences dans le passé en préférant sauter une année pour revenir plus fort. As-tu l’impression d’y retourner cette année en étant un athlète très différent?
C’est vrai qu’en 2013 j’ai été qualifié, mais j’ai décliné ce spot car je ne me sentais pas prêt. Cette année c’est assez différent dans le sens où d’une part je pense avoir progressé en vélo et aussi en course à pied. Mais aussi je pense avoir gagné en maturité, stratégie de course et en approche alimentaire sous les conseils de Yves.
On est nombreux a penser que la course va s’ITUiser avec une natation très sélective, la formation du fameux Kona Express et des attaques sur le retour (à l’image de l’année dernière). Cela reste une dynamique qui devrait t’avantager non?
C’est vrai qu’une dynamique de course avec une forte accélération sur le retour favorise les meilleurs cyclistes. Avec une bonne natation je peux être dans le groupe de tête sans avoir à chasser en vélo. Ensuite le juge de paix reste quand même la course à pied où en 2012 je suis passé de 6e à 17e place!
As tu l’impression que le Crowie des grandes années pourrait encore gagner, ou la balle est désormais pour les athlètes comme FVL et Kienle qui doivent suivre le vélo avec un marathon sub 2:52?
Je pense sincèrement que la balle est dans le camps des gros rouleurs, qui auront déjà fait une belle sélection avant la course à pied.
Avec quelle énergie arrives-tu à Kona? T’es-tu donné un objectif?
C’est avec une belle envie d’en découdre et de me frotter aux meilleurs que je vais aborder cette compétition. C’est un objectif depuis deux ans, et le fait de ne pas avoir pu courir cet été me donne davantage envie de bien faire. Peut être aussi qu’en y arrivant en ayant fait très peu de courses va me laisser davantage de fraîcheur physique et psychologique? Mon objectif cette saison est un TOP10. Ce sera difficile, mais cela reste réalisable…
Plusieurs pros se plaignent de la règlementation face au drafting qui rend les dépassements très compliqués puisque cela oblige les athlètes à pratiquement doubler l’intégralité du groupe s’il n’y a pas de places. Penses-tu que cela a vraiment un impact majeur?
En fait la règle du drafting est de 10m entre la roue arrière de l’athlète qui nous précède et notre roue avant (12m roue avant/roue avant). Dans le règlement, lorsque nous entrons dans la zone des 10m du drafting nous avons 20s pour rattraper le gars de devant. Sauf que si nous le dépassons et qu’il est a 10m de l’athlète qui est devant, cela signifie que nous rentrons dans une nouvelle zone des 10m et devons aussi doubler!! S’il y a 20 cyclistes, tous a 10m, tu en double un = tu dois tous les doubler! L’impact est énorme parce qu’un athlète en fin de pack doit attendre une cassure pour remonter et se glisser dans un trou faute de quoi il doit fournir un effort extraordinaire pour remonter toute la file.
A Hawaii, tout effort superflu ou disproportionné se paie tôt ou tard, quel que soit le niveau de l’athlète…
As-tu l’impression que les athlètes sont plus conservateurs à cause des points associés aux KPR qui finissent par être déterminants pour leur planification dans leurs prochaines saisons?
C’est vrai que maintenant avec la course au KPR il faut été judicieux dans son choix de course. Un athlète qui souhaite une qualif à Hawaii en 2015 à tout intérêt de courir le plus tôt possible en septembre pour marquer des points et ne pas attendre 2015.
Combien d’années tu te donnes pour atteindre son Graal d’un podium à Hawaii ?
Chaque chose en son temps! Pour le moment c’est un TOP10 que je recherche. Cependant, lorsque l’on voit la progression de Fred Van Lierde ces 3 dernières années je me dis pourquoi pas un jour…
Quelque chose à ajouter?
Merci beaucoup pour cette petite interview. Rendez-vous après Hawaii pour le verdict! Merci!
Après kona 2012, nous avions planifié une construction sur 2 ans, en vue de viser le TOP10 en 2014. Donc en 2013, la course n’était pas au programme. Par contre l’objectif était d’acquérir le maximum de points KPR entre septembre et décembre 2013 afin d’aborder la saison 2014 avec beaucoup plus de sérénité. Tout cela a été présenté sur un sujet publié par Trimag en août 2013. L’intégration au sein du Team UPLACE-BMC a été un point très important par la suite. Mi-avril, nos chemins se sont séparés, mais l’objectif reste intact et j’espère qu’il atteindra. Je suis un peu attristé néanmoins par le fait que toute sa construction d’athlètes durant 8 ans, les choix de carrière que nous avons fait, la réflexion sur les contenus d’entraînement en vue de la progression… soient balayés d’un revers de main. C’est comme si depuis mi-avril il avait découvert le sport de haut-niveau et une progression très significative. Je dispose de tous les contenus d’entraînement transmis chaque semaine de janvier 2007 à mi-avril 2014, qui valide un schéma de construction individualisé, ainsi que toutes les recommandations nutritionnelles…. Je peux les publier. Durant toute la durée de notre collaboration, il a réussi à remporter 2 épreuves du circuit IM (1 Full, 1 70.3) et réaliser 6 podiums sur ce même circuit (4 Full, 2 70.3). Ces résultats lui ont permis d’intégrer le Team UPLACE-BMC. Bref, je suis déçu par l’homme et sa non reconnaissance.
J’ai du mal a voir Le manque de reconnaissance: « Stéphane m’a beaucoup apporté, mais psychologiquement et peut-être aussi physiquement il me fallait essayer autre chose ». Les personnes evoluent en age, en maturite, en connaissance de soit et au bout du compte, les athletes qui gagnent courent pour eux, pas pour Le coach, la famille ou les amis. C’est certes frustrant mais c’est comme ca.
Que ce soit Agnel ou muffat ou romain Guillaume, c’est interessant, Le coach a la meme reaction: « il me doit tout »
Cher mr Palazetti,
Je comprends votre ressenti, j’ai également vécu un ressenti similaire en tant qu’entraineur.
J’ai été pendant de nombreuses années l’entraineur personnel d’un jeune athlète (de la catégorie cadet jusqu’à senior) avec qui nous avions un plan totalement personnalisé (avec suivi journalier) sur de nombreuses années. Malgré le fait qu’il ne suivait pas toujours mes recommandations au niveau de son hygiène de vie (pas toujours facile de faire comprendre cela à une personne pas encore totalement mature, malgré d’incessantes explications du comment et du pourquoi), il a obtenu de très bons résultats.
Et puis un jour, j’ai décidé de stopper ma collaboration pour des raisons personnelles. Lui ayant un peu (seulement) muri, a commencé à être bien plus sérieux dans son hygiène de vie et dans ses entrainements.
Conséquence, d’excellents résultats au niveau national (je ne détaillerai pas ces derniers, par souhait qu’il ne soit pas reconnu).
Et à l’entendre dans ses commentaires sur ses derniers résultats, tout le mérite revient à son entraineur actuel, lequel entraine un gros groupe, et n’entraine l’athlète en question que depuis une saison.
Que représente une saison (senior) en comparaison à des années de de « construction d’athlète » ?
Certains sportifs de haut niveau sont parfois bien peu reconnaissants, s’enflamment bien vite sur les raisons de leur succès, et surtout ont la mémoire vraiment courte.
C’est dommage, c’est certains.
Un conseil, dans votre intérêt faites le deuil de tout cela, passez vite à autre chose dans votre esprit.
En ce qui me concerne, j’ai tourné la page, je ne souhaite plus entrainer de sportifs trop centrés sur leur personne et leur résultat.
Je conseille désormais des sportifs loisirs, et je trouve cela bien plus épanouissant ! 🙂
En ce qui concerne Romain, je ne me permettrais pas d’évoquer le moindre jugement sur lui, ne le connaissant pas personnellement.
Je lui souhaite de réussir un grand Hawaï, ainsi qu’une belle suite de carrière. 🙂
Cordialement.