Noël c’est le temps de la bonne bouffe et des cadeaux. C’est aussi, pour nous autres habitants du l’hémisphère nord, le temps de la morte saison. Loin des courses et de l’excitation qui en découle, c’est pourtant à ce moment là que se construisent les performances et, pourquoi pas, les victoires futures.
C’est ce que je me suis dit ce matin lors de mon traditionnel footing post réveillon. Ne riez pas, je sais bien que ça fait longtemps que je ne construis plus aucune performance de choix l’hiver… Dans mon cas, je cherche juste à éviter l’encrassage précoce de mes injecteurs, soumis à rude épreuve la veille, à grands coups de petits fours, foie gras, champagne, truite sauvage (et oui, pas de saumon, nous sommes à Embrun souvenez vous…) et buche de noël…
Mais laissez moi vous racontez ma petite histoire de ce matin !
Ca caillait bien autour du plan d’eau d’Embrun ce matin malgré le franc soleil de mes Alpes. Mais sur les coups de onze heures, j’étais bien là, prêt à accomplir l’exploit de ma journée : un footing d’une heure ponctué d’une série de 30’’/30’’ dont j’ai le secret… Un truc de dingue quoi !
J’aime bien Embrun « hors saison », j’ai l’impression d’être bon, je ne croise quasiment que des « joggers du dimanche » et j’en profite parfois pour accélérer un peu ma foulée histoire de leur montrer toute l’étendue de mon immense talent pédestre. Lorsque je suis en série c’est encore mieux, je me délecte des regards interloqués des promeneurs qui me voient passer à une vitesse supersonique le long du lac…
Je suis un peu un « maître des lieux » ici. Ca fait 30 ans que j’y cours et si l’été je dois adopter un profil bas à cause de tous ces athlètes ultra affûtés qui viennent marcher sur mes plates bandes, la saison hivernale me permet enfin de régner sur mon domaine. Un domaine, que dis je, un royaume qui s’étend du plan d’eau d’Embrun à Baratier en passant par la plaine du Roc et la Madeleine…
Pourtant, ce matin, un frisson d’effroi m’a parcouru l’échine pratiquement au moment où j’allais passer au niveau du déversoir au bout du lac…
Une foulée légère avec « du pied », une silhouette fluette et élancée, un équipement haut de gamme impeccable… Aucun doute, mon oeil expert ne pouvait pas se tromper : la « joggeuse » qui arrivait en face de moi était tout sauf une amatrice… C’est en la croisant que mon effroi s’est transformé en panique… Oui, ce visage m’était familier, je ne rêvais pas, il s’agissait bien de Cassandra Beaugrand en train de trotter comme ça, chez moi, sur mes chemins d’entraînement ! « Qu’est ce qu’elle fout là celle là ? Elle n’a pas le droit ! Pas ici, pas en cette saison ! »
C’était clair dans ma tête, je n’allais pas rendre les armes comme ça. Même si cela faisait à peine cinq ou six minutes que je courais, le simple fait d’avoir croisé Cassandre m’avait fait gagner 2 km/H…
« Elle va voir ce qu’elle va voir, la prochaine fois que je la croise, elle va se rendre compte que j’ai fais plus de distance qu’elle… Et toc la championne !!! »
C’est vrai quoi ! Que des gars me mettent à l’amende, je veux bien mais une fille, qui n’a pas encore 17 ans en plus, faut pas déconner quand même… En arrivant sur la digue, j’accélère encore, je mes sens bien et au bout de quelques minutes, je me prends à rêver de gloire et de victoire sur fond de samba Brésilienne…
Je dépasse le club de Kayak, et là, 100m plus loin à peine, en face de moi, la même silhouette, la même foulée, la même allure… La même fille quoi !
Non, ce n’est pas possible, j’ai fait déversoir/club de kayak… un peu plus d’un km… Elle a remonté le long du Club nautique fait le retour vers la plage, est passée devant les tennis, a contourné la piscine et repris la digue… 1500m minimum… Pas d’erreur possible, elle n’a pas pu passer par un autre chemin.
Si j’étais dans un film de science fiction, je pourrais croire au don de téléportation… Mais malheureusement pour moi, rien de tout cela en vérité… Elle court simplement beaucoup plus vite, en donnant l’impression d’aller plus lentement et de ne pas forcer le moins du monde… De la technique, du relâchement et de la force aussi, simple à comprendre finalement… Mais tellement difficile à réaliser !
Je sens le sol se dérober sous mes pieds, tout à coup, je me trouve nul, moche et vieux…
En boxe, on appelle cela une victoire par K.O. Et c’est pire qu’un K.O, la demoiselle effectue de toute évidence au vu de son aisance, plus une promenade qu’un footing…
Je baisse la tête l’air piteux, un peu comme un chien qui vient de prendre un coup de pied dans l’arrière train et qui retourne à la niche la queue basse…
Au moment de croiser la belle, pas un souffle, pas un bruit et… Pas un regard de sa part… Je réalise que c’est elle qui est chez elle, c’est elle qui est dans son élément… Vraiment… Moi, le suzerain, je fais seulement partie des meubles…
Je ne peux m’empêcher de me retourner pour la voir s’éloigner comme dans un rêve. C’est quand même beau un sportif de haut niveau et je me dis en croisant les quelques promeneurs présents ce matin que je suis quand même un privilégié car « moi je sais » qui j’ai eu la chance de croiser ce matin au cœur de mes Alpes.
Alors, Cassandre je te souhaite de réussir ta saison 2015 parce que cela voudra dire qu’une partie de tes succès aura pris forme quelques mois plus tôt entre le plan d’eau et la Madeleine, ou sous le Roc d’embrun.
Loin de tout tumulte, au calme et dans le froid…
Dans mon royaume 😉