Dopage de masse des groupes d’âge. Quelles solutions ?

Collaboration spéciale de Sacha Cavelier

Si les récentes études montrent que 20% des triathlètes amateurs sont dopés sur certaines courses, on peut s’attendre à un bilan réel plus lourd avec la généralisation de la tricherie comme le drafting. Face à ce problème grandissant, il convient aux grandes instances internationales de se poser autours d’une table et de réfléchir au problème. Les solutions existent.

Une étude réalisée sur 3000 athlètes amateurs lors des championnats « officieux » d’Europe d’Ironman (Francfort) avait fait beaucoup de bruit dans le milieu du triathlon puisqu’elle annonçait que 20% des athlètes avaient avoué anonymement avoir eu recours à des produits dopants (lien : http://www.irishtriathlon.com/index.php/2014/01/ironman-triathlon-doping-epo-steroids/ ). Si le chiffre semble dans un premier lieu astronomique, avec du recul, j’ai tendance à penser qu’il est très faible et que la plupart des athlètes, par honte, n’avoue pas même sous l’anonymat. Peut-être comme lorsque le triathlète se ment à lui-même et va s’entrainer en étant blessé, le triathlète dopé se persuade du contraire.

Ce qui me mène à cette conclusion, c’est que l’étude révèle aussi que les athlètes qui ont tendance à se doper font partie des plus compétitifs, dont le volume d’entrainement hebdomadaire est aux alentours de 15h. Et, lorsque j’ai participé aux championnats du monde amateur de 70.3 à Mont Tremblant, rassemblant le meilleur plateau d’athlètes amateurs, j’ai pu constater que c’était quasiment 70% des athlètes compétitifs qui étaient prêt à drafter en l’absence d’arbitres. Des athlètes connus pour leur respect et bonne attitude dans le sport sont tombés dans le piège du drafting si facilement que c’en était déconcertant. Il existe cependant un débat sur le fait qu’il est très difficile de faire sa course lorsque la majorité des athlètes sont en peloton, car on perd beaucoup d’énergie à éviter les groupes. Reste cependant que difficile n’est pas impossible et qu’il n’y aucun intérêt à finir la course en trichant avec la masse et fausser son propre résultat. Mais le principal problème, c’est que si un athlète est prêt à drafter délibérément pour gagner 5 à 10 minutes sur le vélo, on est en droit de se demander s’il est capable de franchir le pas pour prendre un produit interdit qui ne lui ferait gagner que 2 ou 3 minutes. Il faut savoir que la prise d’EPO augmente de 20% nos capacités (wattage), autrement dit, un gain proche de celui du drafting (vitesse 20% plus grande pour le même wattage). Du coup, un dopage « bas de gamme » a un effet moindre que celui du drafting. Dans cette perspective, est ce que dans la tête d’un tricheur, se doper serait « moins tricher » que de drafter ? Avec les pelotons de drafteurs qu’on observe régulièrement sur les courses WTC, on est en droit de se faire du souci. C’est pourquoi le chiffre de 20% de dopés avoués est faible, et il se pourrait qu’il soit beaucoup plus. Surtout dans les courses les plus compétitives comme Kona. C’est d’ailleurs là que la majorité des cas de dopage chez les amateurs apparaissent.

On peut ainsi parler de dopage de masse des groupes d’âge, surtout ceux dont le niveau rend accessible un slot pour Kona, ou tout simplement les mets sous pression vis-à-vis du chrono à réaliser. Mais dopage de masse ne veut pas dire 100% dopés. Ainsi, ce problème est double, car en plus de fausser les résultats, il fait subsister un doute comme quoi dans les courses d’endurance, tout le monde est dopé. Les PRO propres souffraient déjà de cette mentalité lorsqu’ils parvenaient à décrocher d’excellents résultats, mais récemment, j’ai pu entendre des rumeurs de dopage circuler sur des athlètes amateurs, basées uniquement sur la grosse progression de l’athlète, sans avoir connaissance des sacrifices et des entrainements que l’athlète s’est infligé sur la dernière année. C’est malheureux et ce problème-là pourrait être encore plus grave : pire que le dopé qui ne se fait pas prendre, le propre sur qui planent les rumeurs. Si Kona ou d’autre Ironmans « championnats continentaux » affichent un pourcentage important de dopés, il reste que la majorité des athlètes est propre. Et sur des courses WTC ou Challenge ou plus modestes, on peut même dire que le nombre d’amateurs dopés est très bas. Cependant, cette mentalité « tous dopés » née avec le Tour de France a tendance à apparaitre dans le triathlon. On entend même qu’on ne peut finir un Ironman sans être chargé. Bien sûr, on se rend compte que les personnes qui pensent cela sont ceux qui sont les moins investis dans la communauté voire pas du tout, et ne connaissent rien du sport. Cependant, l’image propre du triathlon se doit d’être mise en valeur, car il faut aussi compter sur les gens qui ne pratiquent pas le triathlon pour faire vivre ce sport : si les triathlètes seulement regardaient Kona à la télévision, la course aurait déjà disparu. En ces temps où se trouvent médiatisés les cas de dopage amateur, il faut réagir pour ne pas assister à un naufrage de l’image du triple effort.

Quelles solutions pour ce problème ? Premièrement, on remarque que ce qui génère le plus d’intérêt médiatique, ce sont les cas positifs de dopage. Le problème est qu’on parle très peu voire jamais de ces athlètes à la mentalité béton qui se soumettent aux programmes très contraignants de lutte contre le dopage dans une optique de sport propre. Difficile pour l’individu lambda de voir le verre d’eau à moitié plein quand on ne lui montre que celui à moitié vide dans les médias. Les médias ont une part de responsabilité pour faire partir cette croyance du « tous dopé ». Certes les chiffres du haut sont alarmants lorsqu’on pense le sport 100% propre, mais reste tout de même que ces chiffres font énormément mentir cette idée du 100% dopés.

Et maintenant, concernant le problème de l’absence de moyens financiers comme au Tour de France ? Il faut savoir qu’un test antidopage coûte entre 280 euros (390$) et 568 euros (793$). Difficile à ces prix-là de tester tous les athlètes. Mais puisque les études montrent que c’est chez les compétitifs que se situent les tricheurs, il convient de cibler les athlètes plutôt que de tirer au sort. Il serait surprenant de voir l’athlète finissant son Ironman en 15h dopé à l’EPO. Ensuite, puisque l’argent est un problème, le rôle de la lutte antidopage doit venir des instances qui font le plus d’argent avec le sport. Evidemment, WTC semble la plus indiquée avec un chiffre d’affaire de plusieurs millions chaque année. Mais en voyant ses efforts pour limiter le drafting, on se demande tout simplement si les quelques contrôles que fait la compagnie sur les amateurs ne servent pas plus à se protéger des critiques plutôt qu’à vraiment lutter contre ce fléau. De plus, en tant que compagnie privée, on s’attend bien sûr à ce que WTC recherche le meilleur rapport investissement bénéfices. Dès lors, le rôle revient aux fédérations et à l’ITU d’imposer des règles claires à la WTC. Là encore, WTC peut choisir d’organiser ses courses sous ses propres règles si elle juge les règles des fédérations trop contraignantes. On avait assisté à une réunion entre la WTC et l’ITU l’année dernière, et on rêve de voir ce genre de chose aboutir sur une entente internationale concernant l’arbitrage des triathlons.

Et pour les organisations plus modestes ? Peut-être que jouer sur l’aspect psychologique serait la clé. Si on annonce que 1% des athlètes seront contrôlés, il y a fort à parier que cela ne fera aucun effet. En revanche, si on fait uriner tous les athlètes sans exception dans une bouteille devant un médecin, sans faire connaitre le pourcentage de bouteilles qui seront analysées, la dimension psychologique risque de prendre une toute autre ampleur. A ce jeu-là, on utilise la force de dissuasion (faire peur) plutôt que celle de la punition (contrôler puis punir juridiquement), bien moins onéreuse.

Que ce soit l’une ou l’autre solution, on a hâte de les voir s’appliquer, non pas forcément pour attraper la minorité de tricheurs, mais plutôt pour redorer le blason du triple effort injustement sali par cette minorité.

 

9 commentaires
  1. 20% ou plus chez les amateurs, ça fait peur. Ça veut dire qu’on en connaît certainement quelques uns.

    J’aime bien l’idée de la collecte généralisée pour les échantillons.

    1. Sauf qu’après un Triathlon longue distance (XL), même en ayant bu environ 15litres au long de la journée, je suis incapable de remplir un flacon. Mais l’idée est bonne.

      1. Dans ce cas, faisons pisser dans le bocal à l’entrée du parc. A moins qu’il existe des dopants à prendre pendant la course bien entendu 🙂

  2. Le paracetamol n’est pas interdit mais je suis choqué de son utilisation abusive. Au dernier half de Rumilly, sur le parking c’était tournée générale, personne ne se cachait et ne semblait avoir honte, je n’en revenais pas.
    Idem, il est notoire que certaines écoles de tri conseillent à leurs jeunes d’en prendre avant le départ (voir même qq inhalation de ventoline). C’est passé dans les moeurs…

  3. Article intéressant mais tu fais quand même un sacré raccourcis quand tu dis que l’athlète qui drafte se sentira moins coupable de se doper puisqu’au final ça l’avantagerait moi.

    Quelque soit les produits pris (même un anti-inflammatoire/antalgique), contrairement au drafting ils ne seront jamais gratuit. Et en draftant , l’athlète ne met pas sa santé en jeu (sauf s’il tombe sur un rageux qui n’aime vraiment pas qu’on lui suce la roue :-).
    Alors je suis peut être naif mais j’ose encore penser que la santé physique est plus importante pour un athlète qu’un slot ou 5 lignes dans le journal local.

    Par contre j’aime bien l’idée du contrôle pas nominatif.

  4. J’aime l’analyse que tu fais de la situation. Je crois aussi que le problème vient de la WTC, mais je ne l’avais pas entrevu ainsi. Est-ce que les évènements Ironman perdraient en popularité si tous se voyaient obligés d’uriner dans un bocal en allant chercher leur puce électronique? Admettons que non, serait-ce légal de ne pas divulguer le pourcentage d’échantillons qui seraient effectivement testés? Sinon, j’aime beaucoup l’idée de tester les participants selon leur cheminement de saison, si celui-ci peut paraître anormal. De tester les plus performants serait la moindre des choses… Je suis surpris que ce ne soit pas déjà le cas! Bref, j’aimerais beaucoup savoir que tous compétitionnent sur un même pied d’égalité et je crois que je serais prêt à payer plus cher mes inscriptions en sachant que le supplément irait à des mesures anti-doping et anti-drafting.

  5. Une partie des triathlètes fait ce sport pour l’image qu’ils peuvent donner d’eux-mêmes. Image vis-à-vis de soi ou vis-à-vis de l’entourage. ça amène forcément à des aberrations : Achat de vélos à 5000 euros, entraînements drastiques, ………, drafting,….., médication,….., dopage.
    A mon avis pour freiner ce phénomène, il y a plusieurs pistes :
    – Moins axer les reportages sur les performances mais plutôt sur les sensations (sur trimes, on a de bons articles dessus, les blogs de Solarberg en sont de bons exemples…), sur les voyages, sur les rencontres…
    – Que des magazines partenaires des fédérations ou autre, arrêtent de donner des conseils sur « ce qu’il faut faire pour réussir », mais plutôt, comment prendre du plaisir dans sa pratique…
    – Limiter les tentations pour les produits de l’effort dans tous les magazines. En effet, un débutant va lire ces magazines et va croire nécessaire de prendre X gels chimiques pour un tri S ou M (alors qu’un bidon d’eau, voire un nougat ou autre confiserie sera largement suffisant). Ce débutant, en progressant et en allant vers des objectifs plus difficiles pourra vouloir davantage de « potion magique »….
    – Continuer à changer l’image du triathlon. Ce n’est pas un sport de surhommes, ce n’est pas valorisant, ça doit rester un loisir voire une passion mais dans l’action, pas dans le faire valoir…
    -…..
    Voilà, ce sont justes quelques réflexions que je me fais à chaque fois que je lis certains sites/magazines…
    à+

    1. C’est un excellent point, c’est vrai que les médias sont probablement coupables puisqu’ils évoquent rarement cette notion de plaisir. Après, il ne faut pas se cacher que tout est influencé par la publicité…

  6. il suffit de contrôler tous les qualifiée GA pour Hawai, et bien dire que tous les futurs qualifiés seront systématiquement contrôlés ! Après tout cela ne fait que 2500 contrôles environs ! Vu l’argent généré par la WTC & l’ITU ce doit être possible…