Face aux récents cas de dopage, Trimes s’est entretenu avec Marc Fortier-Beaulieu, président de la commission nationale disciplinaire de première instance de lutte contre le dopage. Voici notre entretien avec lui.
Peux-tu nous décrire le travail de la commission et vos pouvoirs.
La Commission Nationale Disciplinaire De Première Instance de Lutte contre Le Dopage (c’est son nom complet) est nommée par la FFTRI après validation des membres par l’AFLD (Agence Française de Lutte contre Le Dopage), qui est une agence ayant une large autonomie, sur le modèle du Conseil d’État). Les membres sont nommés selon leurs compétences (scientifiques, juridiques, sportives). Notre travail depuis les réformes d’il y a quelques années consiste exclusivement à traiter les contrôles positifs. Nous n’intervenons plus comme avant sur le dopage de ses causes à ses conséquences, sur la prévention par exemple. Mais la complexité des dossiers, de la procédure, la rigueur juridique ont renforcé notre travail dans la mesure où nous sommes spécialisés. C’est moins romantique, mais plus efficace.
Il existe en ce moment plusieurs scandales qui semblent démontrer que certaines nations (Russie) et fédérations (Athlétisme Kenya) sont restées très inactives. Comment ne pas tomber dans un certain scepticisme? Est-ce vraiment en fonction de la bonne volonté de chacun?
La grande différence est entre les pays qui ont choisi de lutter contre le dopage en promulguant des lois, et ceux qui laissent ces décisions à des organes sportifs. Les premiers, comme la France et l’Italie, obtiennent des résultats. Les autres sont souvent complices. De plus il existe de grandes différences entre les sports « industriels », qui drainent des flux financiers considérables et pas toujours « propres », et les sports purement olympiques qui eux se défendent mieux.
La France a la particularité d’avoir le droit à l’oubli (CNIL). Cela signifie qu’un athlète a le droit de faire retirer des écrits parlant de sa suspension. Est-ce que cela ne va pas à l’encontre de la lutte contre le dopage puisque ça permet à un athlète de rester vague sur les raisons puisque son dossier (décision) ne restera pas totalement accessible sur le net?
Le droit à l’oubli ne concerne qu’Internet. Les sanctions sont publiées systématiquement (c’est la loi en France), dans le magazine fédéral (chaque fédération doit en avoir un). Par contre, il est clair que tant que la sanction définitive n’a pas été prononcée (appel compris), le secret de l’instruction est gardé, et c’est bien normal puisque si l’athlète n’a pas commis de faute la simple information d’une procédure peut ruiner sa vie sportive injustement. Une fois l’appel éventuel prononcé (et les délais sont assez courts), la publication des sanctions est obligatoire. Mais pas toujours assez rapide.
Dans le cas de José Jeuland, on a presque eu l’impression qu’un athlète pouvait être sanctionné sans que personne ne le sache. La procédure actuelle réclame que cela soit publié dans des publications imprimées. N’est-ce pas un peu dépassé?
Le cas de Jeuland est très particulier. Le sportif a dans un premier temps fait jouer toutes les possibilités de retarder l’audience disciplinaire (contre expertises, etc.), puis au moment de passer au jugement nous avons constaté qu’il n’avait pas repris de licence en triathlon et ne relevait plus de notre juridiction. Mal lui en a pris parce que dans ces cas c’est l’AFLD qui reprend les dossiers, et ils sont souvent encore plus sévères que nous. De plus le nouveau code permet dans les cas graves comme le sien des sanctions bien plus lourdes. Deux ans comme dans le passé, pour une faute grave, ça n’était pas assez. Mais là aussi, le secret de l’instruction est gardé jusqu’à l’épuisement de l’appel.
La fédération n’a pas eu son mot à dire, peux-tu nous expliquer pourquoi?
C’est pour la raison que je viens d’indiquer. De plus si nous prenions des décisions contraires à la procédure légale, l’affaire pourrait être cassée et défensivement enterrée. Certains dopés viennent avec des avocats très spécialisés dans le dopage et qui connaissent très bien tout cela et peuvent provoquer la nullité d’une procédure.
Ce qui étonne et que même est que malgré la procédure en cours, il a été en mesure de continuer à courir, peux-tu nous expliquer comment cela est possible. Est-ce que des correctifs devraient être faits?
Avec une durée excessive de traitement, pendant laquelle l’athlète peut courir, on ne peut en effet l’en empêcher. La WTC interdit aux athlètes de courir avant même que le cas soit jugé et je trouve ça anormal. Mais une fois sanctionné, le sportif doit rendre tous les titres et primes gagnés entre la date du contrôle positif et la sanction! Ça peut faire réfléchir!
Ce qui m’a étonné, c’est que le cas n’a pas été rendu public dès que l’échantillon A s’est révélé positif. Peux-tu nous expliquer pourquoi?
Ça n’est en effet jamais le cas. Imaginons que ce soit une erreur et que le sportif ne soit pas coupable, les dégâts seraient déjà faits et considérables. Un sportif ne vit (quel que soit son niveau) que de sa réputation. Les sanctions ne sont publiées qu’après les audiences, et après l’appel si le sportif fait appel.
Dans ce cas, tout a été fait pour retarder la sanction. Est-ce quelque chose qui devrait faire évoluer la façon d’agir?
Les retards sont dus à une exploitation des possibilités de défense des sportifs. C’est le cadre légal de toute procédure. Bien sûr on aimerait que les choses aillent vite dans le sport (les carrières sont courtes). Mais les erreurs judiciaires sont aussi un drame. Les délais de traitement sont courts en première instance : dix semaines, ce n’est pas énorme en fait!
On s’est aussi rendu compte que la sanction était effective uniquement pour la France. Est-ce la procédure habituelle, on imagine que la sanction est internationale, non?
La sanction est prononcée en France, mais obligatoirement transmise à WADA (l’AMA), qui l’étend. Il peut donc y avoir un délai entre les deux. De plus, on demande quasiment toujours l’extension aux fédérations de natation, cyclisme et athlétisme. Il y a eu dans le passé des pays qui ont limité les sanctions à leur territoire, mais cela n’est plus possible. Un pays qui cacherait de tels faits pourrait se voir exclu des JO!
Lorsqu’un cas de dopage devient public, on est toujours étonné par la réception parce qu’il n’existe pas vraiment de consensus. J’imagine que cela doit être frustrant de voir les écrits de certains parce que beaucoup émettent ses opinions sans connaitre les faits, non? As tu des exemples qui t-on marqué là-dessus?
J’ai vu en effet de petits délits entraîner des réactions d’une violence excessive. Ça me choque. On ne va pas pendre un petit tricheur en place publique ! J’ai à l’inverse suivi l’affaire Armstrong avec passion parce que je savais que les faits reprochés étaient vrais (les résultats de Châtenay-Malabry), et que dès lors que l’affaire arriverait à la justice américaine (ou française), il serait confondu. Mais les défenses de ses fans m’ont en effet consterné… On est souvent dans des schémas très archaïques dans la tête des gens et ce que fait le héros est toujours admiré, même quand il triche. Un peu comme Ulysse, qui en tant que roi guerrier a droit à toutes les trahisons. C’est puéril, mais c’est assez logique : le dopage est un comportement un peu « infantile ».
Es-tu frustré lorsque des amateurs pensent que le dopage est généralisé?
Oui surtout vis-à-vis d’athlètes de très haut niveau que j’ai connu par mes fonctions de président de club, et dont je connais le sérieux, l’intelligence et la solidité de l’éthique. En triathlon courte distance, on peut encore s’en sortir sans dopage. Dire que tout le haut niveau est dopé c’est très injuste pour des gars que je ne nommerai pas pour ne pas les faire rougir, mais dont j’ai été assez proche pour leur faire confiance.
Un des aspects fascinants sur le dopage est qu’on sait que certains produits ont beaucoup plus d’effet que d’autres, pourtant la sanction est la même… Est-ce qu’on devrait avoir le même jugement face à ces athlètes?
Les sanctions tiennent compte de la classe des produits et les dopants majeurs sont plus sanctionnés. Maintenant, il arrive que des dopés notoires soient pris pour une erreur mineure ! Sans enfreindre les règles et leur donner les sanctions de produits graves, on donne le maximum des barèmes des produits qu’ils ont pris.
La WADA a vraiment changé ses règlements pour 2015. Désormais, si une personne dans l’entourage est en connaissance qu’un athlète se dope, il devient aussi sanctionnable. Est-ce vraiment applicable?
Si un jeune de l’équipe junior russe avait été pris, cela ne m’aurait pas choqué qu’on sanctionne leur entraîneur quand c’était Gaag ! C’est du dopage d’état… Le dopage dans les équipes cyclistes est organisé par l’encadrement pour satisfaire les sponsors, donc faire gagner le coureur emblématique de l’équipe. Pas question qu’un inconnu gagne. Donc sanctionner l’entourage est nécessaire. Cela se fait en droit, pourquoi pas en sport (Cf l’affaire Festina). Mais il est vrai que pour les cas que nous traitons nous n’avons pas de moyens d’investigation. Ce règlement est sans doute destiné aux grosses affaires traitées en dehors des contrôles de course.
Pour l’avenir, es-tu optimiste dans la lutte contre le dopage?
Le vrai problème est la différence de culture dans le monde. Pendant longtemps le sport avait une éthique admise par tous, et qui était l’éthique classique de la Grèce des Jeux Olympiques. Les conflits actuels, le rejet des standards moraux occidentaux vont rendre très difficile la lutte au plan mondial. Par contre en France et dans certains pays européens (pas tous !), les choses évoluent dans le bon sens. Sur le continent nord-américain, l’affaire Armstrong aura fait avancer les choses aussi.
Est-ce que tu voudrais ajouter quelque chose?
La lutte contre le dopage, c’est comme le sport : seuls ceux qui prennent le départ ont une chance de réussir. C’est un combat très difficile, mais profondément nécessaire et si nous lâchons prise on peut s’attendre au pire. Donc il faut continuer!