À l’occasion de la sortie du livre « Courir Léger – Light Feet Running » en librairie cette semaine, nous avons pu nous entretenir avec l’auteur pour mieux comprendre sa démarche. Solarberg Séhel contribue régulièrement sur Trimes. Même si on partage sa philosophie en matière de technique, on doit aussi avouer qu’il en sait pas mal plus que vous… On apprécie d’autant plus son oeuvre puisqu’il permet de recentrer le débat vers la performance et non dans un concept prônent un geste naturel qui ne l’est pas.
Q: Peux-tu nous expliquer succinctement en quoi consiste ton livre ?
Mon livre est un guide pratique pour aider les coureurs à bien maîtriser la foulée que je décris dans le livre et que j’ai baptisé « Light Feet Running » ou en abrégé « LFR ». C’est une foulée à dominante médio-pied qui cherche à tirer partie au maximum des caractéristiques biomécaniques du corps humain et en particulier des sources d’énergie passives qu’est l’énergie élastique qu’est capable de créer le coureur simplement en adoptant une posture et une gestuelle particulière. Il faut savoir par exemple que le tendon d’Achille peut emmagasiner et restituer jusqu’à 35% d’énergie et les tendons situés sous le pied 17%. Des études ont estimé que sans cette énergie, un coureur aurait besoin de 30 à 40% de VO2max supplémentaire pour courir à la même vitesse. Or, la foulée médio-pied tire justement mieux partie de cette énergie emmagasinée. Le livre explique en détails comment la maîtriser, le plus rapidement possible. Tous ces conseils sont empiriques dans le sens qu’ils ont fait leur preuve auprès d’athlètes qui ont déjà mis en pratique cette foulée.
Q: Pourquoi parler de « Light Feet Running » et pas tout simplement de foulée médio-pied ?
En fait, j’ai pu constater en étudiant énormément de foulées de coureurs qu’il existe une multitude de foulée médio-pied différentes. En particulier, si on observe certains coureurs ultraminimalistes ou pieds nus qui ont une pose médio-pied, on ne retrouve qu’extrêmement rarement chez eux, la biomécanique complète que je décris dans mon livre: le plus souvent, ils ont bien un contact au sol sur l’avant-pied mais surutilisent leurs mollets, utilisent très peu leur bassin, leur tronc et leurs bras, alors que justement en foulée LFR, toutes ces parties du corps jouent un rôle primordial et bénéfique.
Q: Donc cette foulée, ce n’est pas du minimalisme en fait ?
Non, pas réellement. Le minimalisme c’est avant tout le fait de porter des chaussures très légères ou pas de chaussures du tout. Il n’existe pas de corrélation automatique entre le chaussant ou l’absence de chaussant et la technique de foulée. Une étude a montré qu’un tiers des coureurs en chaussures minimalistes continuaient d’attaquer du talon. Inversement, énormément de coureurs non minimalistes, et en particulier parmi les meilleurs, utilisent une foulée tout à fait conforme avec les conseils que je donne dans le livre. Je cite dans le livre beaucoup d’exemples de champions, non minimalistes, dont la foulée est très proche de cette foulée LFR. Simplement pour pratiquer la foulée LFR, on n’a pas réellement besoin d’une chaussure lourde et rigide. Cette foulée cherche à tirer partie des caractéristiques remarquables du pied (à la fois en terme de retour d’énergie que de plasticité). Une chaussure légère est idéal pour cela.
Q. Cette foulée favorise-t-elle l’économie de course
A ma connaissance, les études scientifiques menées sur le sujet restent contradictoires. Si je m’en réfère par exemple à l’avis de Steve Magness qui dans son ouvrage très récent, « The Science Of Running » où il dresse un panorama complet de l’état de la connaissance scientifique à l’heure actuelle, la foulée médio-pied est meilleure en termes d’économie car: elle tire plus avantage de l’énergie élastique; elle réduit le temps de contact au sol et réduit la phase de décélération du coureur. Magness cite toutefois l’étude de 1982 qui tendait à démontrer que l’attaque talon est plus économique que la pose médio-pied. Toutefois, les travaux plus récents notamment cités par Magness vont dans le sens d’un avantage conférée à la foulée médio-pied (et notamment tous les travaux récents du Pr Lieberman). J’ajouterai aussi que la foulée Light Feet Running permet de courir avec des chaussures légères (moins de 200grs) et il est prouvé que cela améliore l’économie de course. Un paramètre important est aussi la cadence de la foulée. J’insiste dans le livre sur l’utilité de garder une cadence relativement élevée à toutes les allures. Cela permet de limiter les désalignements du corps (une source avérée de blessures), de mieux tirer partie de l’énergie du rebond et aide les coureurs à rester plus médio-pied.
Q: Cette foulée a-t-elle un intérêt pour les triathlètes ?
Sur le papier, c’est clair que oui: en premier lieu, cette foulée cherche à utiliser au maximum la chaîne musculaire postérieure de la jambe et en particulier les ischios-jambiers, les fessiers et aussi le tronc et les bras. Les muscles surutilisés à vélo et en particulier les quadriceps sont donc moins sollicités qu’avec une foulée attaque talon. En second lieu, l’optimisation de l’énergie élastique est bien sûr bénéfique pour le triathlète après avoir posé le vélo. D’ailleurs, si on observe les meilleurs coureurs au sein des triahlètes (par exemple le top 15 des coureurs à Kona), on retrouve ces dernières années une majorité de coureurs médio-pied; je peux citer les exemples de Craig Alexander, Mirindae Carfrae.
J’ai d’ailleurs été frappé de lire que Bred Sutton (feu Team TBB) a déclaré que selon lui, la foulée médio-pied était sans aucun doute la meilleure sur Ironman.
Le problème évidemment pour les triathlètes amateurs est d’arriver à bien maîtriser cette foulée après avoir déposé le vélo. Le plus souvent, la course à pied se réduit pour eux à une allure plutôt jogging malheureusement surtout sur Ironman. Dans ce cas, évidemment à cette vitesse, les conséquences entre l’utilisation d’une foulée médio-pied et d’une foulée talon sont atténuées. Mais il ne faut pas croire que la foulée Light Feet Running signifie de courir tel un kangourou avec une foulée longue et aérienne: la triathlète Cait Snow est la démonstration qu’on peut très bien appliquer les conseils que je donne dans le livre tout en ayant une foulée médio-pied courte et presque rasante. Et avec cette foulée, elle arrive à réaliser des temps canons à pied sur Ironman.
Q: Combien de temps faut-il pour maîtriser cette foulée quand on vient d’une foulée attaque talon ?
Je pense que c’est très variable. De mon expérience et de celle des athlètes qui ont suivi mes conseils, la transition peut se faire en quelques mois. Cela ne veut pas dire qu’on aura une foulée parfaite au bout de 2 à 3 mois mais ce sera suffisant pour apprendre à bien mettre en place cette foulée. Ensuite, ce sera plus du temps consacré à parfaire sa technique et bien sûr à recueillir les fruits du travail fait sur la foulée : plus on développera les muscles propres à la foulée Light Feet Running, et plus cette foulée sera agréable et intéressante.
Q: Certains disent qu’il ne faut pas chercher à modifier sa foulée ? Qu’il faut laisser faire le naturel ?
C’est un vieux débat et une vieille idée reçue. Rien ne le démontre bien au contraire et il n’existe pas d’arguments rationnels qui vont dans ce sens. Évidemment, il faut modifier sa foulée intelligemment si on désire le faire. Il ne s’agit pas de vouloir copier à 100% la foulée d’un autre coureur; ça n’aurait pas de sens. Mais un coureur peut avoir intérêt à s’inspirer des bonnes pratiques de la foulée d’autres coureurs, telle que par exemple, mieux utiliser ses bras, ses abdominaux, sa cadence….etc… C’est la démarche du livre.
Q: Tu cites Steve Magness et son ouvrage récent « the Science of Running » : mais Steve explique justement qu’il ne faut pas se préoccuper du retour aérien de la jambe, alors que justement tu insistes longuement dessus dans ton livre ?
Ce que dit Steve, c’est que pour les bons coureurs qui ont une bonne technique, le trajet aérien du pied n’est que la conséquence d’autres actions, pas la source. Si le coureur pose son pied près de son centre de gravité, médio-pied et utilise bien l’extension de la hanche (comme je le préconise, et aussi Steve Magness et bien d’autres auteurs et entraîneurs), alors le trajet aérien du pied sera bon. Je suis d’accord avec lui. Mais, en revanche, ce que j’ai pu constater, c’est que si on oblige au début le coureur a consciemment adopté un certain trajet aérien du pied, alors cela l’aide à respecter ces préconisations. Je maintiens donc que durant une phase d’apprentissage de la foulée médio-pied, ce travail sur le trajet aérien est très utile. Ensuite, une fois cette foulée maîtrisée, il n’aura plus à s’en préoccuper.
Pour info, il existe dorénavant un site dédié au livre: http://www.lightfeetrunning.com