Dans les dernières semaines, les différentes fédérations nationales ont publié leurs critères de sélections pour les Jeux olympiques de Rio. La première chose qui frappe, c’est qu’il n’y a pas de réelle uniformité. Entre des Espagnols qui se basent sur le classement mondial, des Britanniques qui demandent à leurs athlètes d’ê
tre médaillé à Rio Test Event et Chicago où encore la Nouvelle Zélande qui a déjà sélectionné Andréa Hewitt, on s’est à nouveau entretenu avec Benjamin Maze, adjoint au DTN en charge des Equipes de France pour mieux comprendre leurs réflections dans leur critère.
Les différentes fédérations nationales commencent à publier leurs critères de sélections, comment expliquez-vous qu’il n’y a pas réellement d’uniformité ?
B.M» Les modalités de sélection rédigées par les fédérations nationales répondent toutes à certains principes, et notamment une nécessaire cohérence entre l’objectif fédéral, la nature et le niveau d’exigence des critères. Certains facteurs comme la densité sportive peuvent également influencer la rédaction (difficile de comparer les Bermudes qui n’ont que Flora Duffy comme sportive performante, avec les États-Unis par exemple).
Une tendance générale se dégage tout de même sur deux points :
- – Permettre aux sportifs performants en 2015 de se sélectionner assez tôt,
- – Choisir des compétitions supports de sélection qui soient les plus représentatives possible.
Les nations vont permettre à leurs sportifs de décrocher leur billet nominatif. La différence peut se faire sur la présence ou non d’une condition de réitération en 2016 et son niveau d’exigence.
Pour les compétitions « support » de sélection, Rio et Chicago sont mises en avant.
L’opinion publique aime qualifier la FFtri comme une fédération qui utilise la ligne dure… J’imagine que les critères des Anglais et des Espagnols ont dû vous faire sourire…
B.M» Pour l’olympiade de Londres 2012, l’objectif de la FFTRI était d’avoir des sportifs finalistes. Pour Rio 2016, l’objectif ayant changé (être médaillé), il faut que l’ensemble des outils et textes soient en adéquation. La ligne fédérale n’est pas plus dure que celle de la Grande-Bretagne ou de l’Australie, j’en veux pour preuve les critères de British Triathlon pour Rio 2016 : pour être automatiquement sélectionné, il faut décrocher une médaille à Rio 2015 et à Chicago 2015. Nous ne connaissons pas encore les critères australiens, mais pour Londres 2012 il fallait gagner le test event 2011 et terminer dans les 3 premiers du classement général final de la WTS 2011. Au regard de ces deux exemples, nos critères ne semblent pas plus durs.
Nous avons l’habitude de faire du « benchmarking » (analyse des autres fédérations) sur nos modalités et nos organisations. Il est toujours intéressant de voir les choix des autres fédérations en se gardant bien à la fois de faire du copier/coller ou alors de les critiquer, car nous ne connaissons pas totalement l’environnement dans lequel elles sont éditées.
Le triathlon semble très atypique en comparaison à d’autres sports. Est-ce que sélectionner des athlètes 1 an à l’avance ne peut pas se retourner contre soi et même s’il doit confirmer en 2016, le niveau de performance n’est pas le même?
B.M» L’enjeu d’une sélection précoce est de bien gérer la balance entre confiances accordées au sportif et l’assurance de son niveau de performance.
Être sélectionné pour les Jeux olympiques presque un an avant cette échéance n’est pas qu’un confort. Cela permet à l’athlète, à son encadrement et à la fédération de mettre en place une véritable stratégie et un plan d’action pour être performant le jour J. Cela offre également une sérénité qui nous semble être un vrai levier pour ne se focaliser que sur un seul objectif : la course des Jeux. Au vu des contraintes d’une saison de triathlon sur le circuit WTS, cela n’est pas un élément négligeable.
Quant à la question de savoir si cela peut se retourner contre la fédération et l’athlète, on peut s’appuyer sur des faits pour se rassurer : les 6 premiers hommes et 5 des 6 premières femmes des JO de Londres ont été sélectionnés au moins 300 jours avant la date des JO.
Dans tous les cas, les modalités générales sont là pour prévoir les blessures, baisse du niveau de performance ou autre.
Même si beaucoup d’athlètes disent que cela est primordial d’être sélectionné un an à l’avance pour privilégier l’entrainement aux compétitions, de mémoire, les médaillés olympiques n’ont pas réellement fait l’impasse sur la saison des JO de Londres. Spirig a d’ailleurs fait un 70.3, 9 jours avant Londres. En étant à l’écart du circuit, n’y a-t-il pas un risque de perdre ses repères?
B.M» Les compétitions font partie de la préparation. Les triathlètes, même sélectionnés un an à l’avance doivent donc continuer de prendre part à des WTS. Le triathlon est un sport sociomoteur, il y a une nécessité de se confronter aux autres concurrents, de courir des WTS pour se tester en situation de course, etc.
A ce titre la validation du calendrier de compétitions fait partie des modalités générales de sélection. La fédération peut ainsi se prémunir, si elle le souhaite, d’un athlète qui ne courrait pas assez.
A l’issue des JO de Londres 2012, James Magnussen (nageur australien) avait donné un témoignage très intéressant. Alors qu’il était le grand favori du 100m NL, détenteur de la meilleure performance mondiale de l’année, il avait fait le choix de « rester caché » en participant à peu de compétitions. A l’issue des JO il a reconnu que c’était surement l’une des erreurs qui lui avait fait passer à côté du titre en individuel et en équipe (il terminera 2e en individuel et 4e en équipe alors que l’Australie était favorite).
En triathlon, on peut également se rappeler de Simon Lessing. En 1999, il termine deuxième du championnat du monde à Montréal et entre cette compétition (septembre 1999) et les JO le 16/09/2000 il n’aura pris part qu’à une seule coupe du Monde ITU.
Les critères pour 2015 sont un podium à Rio ou À Chicago (avec top 6 à Rio). Dans le cas qu’aucun athlète ne fasse ces critères, vous pouvez faire un choix discrétionnaire, est-ce que ne retenir aucun athlète après 2015 reste une probabilité?
B.M» Il est tout à fait possible qu’aucun sportif français ne soit en position de sélectionnable fin 2015. De la même façon, il est possible qu’un-e ou 2 athlètes soient mis en position de sélectionnable, car ils auront démontré leur capacité à reproduire des performances d’ordre mondial et en cohérence avec l’objectif fédéral sur les JO, et ce sans avoir répondu stricto sensu aux critères de sélection.
Si je ne me trompe pas, vous n’avez pas identifié de course pour la saison 2016, est-ce que cela signifie que le choix sera discrétionnaire ou cela pourrait changer.
B.M» Le calendrier définitif de la saison 2016 ne sera connu qu’en fin d’année 2015. Difficile de faire valider des modalités auprès du CNOSF sans indiquer la compétition prise comme support de sélection en 2016. De plus, en regardant ce qui s’est passé en 2012, la densité sur les étapes WTS sur format olympique en 2016 risque d’être hétérogène avec des logiques de participation des meilleurs triathlètes difficilement prédictible.
Pour se sélectionner directement, les triathlètes français devront donc être performants en 2015. En 2016 cela sera à la discrétion du sélectionneur. Bien entendu, en repartant de l’objectif fédéral (décrocher une médaille à Rio), les triathlètes savent quel est le niveau de performance attendu pour être sélectionné en 2016.
Évidemment, cela risque d’être prochainement le grand débat surtout que la France a d’excellents nageurs, est-ce que sélectionner un domestique est une chose possible?
B.M» Il est prévu dans les modalités de sélection que le sélectionneur se réserve le droit de compléter le quota « dans l’intérêt de l’Équipe de France ». Rien n’interdit de sélectionner un ou des sportifs pour participer à une stratégie collective permettant à un autre membre de l’équipe de France de décrocher une médaille.
Pourquoi ne pas avoir lancé un programme comme les Anglais « pilot program / domestique » en établissant tout de suite des règles du jeu sur papier?
B.M» Lancer un tel programme est assez lourd de sens, et c’est un signe fort envoyé aux athlètes. Chez les Britanniques, il apparaît clairement que le 3° hommes dossard peut être utilisé pour aider les frères Brownlee. Il ne nous semble pas aujourd’hui pertinent de mettre en place un tel programme, mais plutôt de concentrer nos moyens sur l’accompagnement des meilleurs sportifs sur 2016, mais aussi à l’horizon 2020 et 2024.
Les Anglais semblent avoir une longueur d’avance puisqu’ils ont des athlètes alliés comme Richard Varga, n’y a-t-il pas une certaine injustice dans cette manière de faire?
B.M» Le format de l’épreuve du triathlon aux Jeux olympiques est particulier, avec 55 triathlètes seront au départ. Sans leur manquer de respect, en considérant les dossards distribués afin de garantir l’universalité, cela fait 8 à 10 sportifs qui n’influenceront pas le scénario de course, donc une course à 45 sportifs. Chez les hommes, vu le plateau mondial actuel, on sait qu’un certain nombre de sportifs et nations auront intérêt à rendre la natation sélective, pour faire en sorte de distancer de très bons coureurs.
Chez les femmes, les dynamiques de course sont différentes puisque Gwen Jorgensen démontre à ce jour qu’elle est en mesure de s’imposer, quels que soient les scénarii de course.
Malgré tout, il est difficile de prédire le scénario exact des Jeux. Ce qu’il y a de sûr, c’est que chaque scénario est profitable à plusieurs athlètes ; à nous de faire en sorte que cela soit le cas des Français !
Dans ces réponses, Benjamin Maze se fait le porte parole de toute l’équipe technique de l’équipe de France (DTN – Frank Bignet, Entraîneurs Nationaux Stéphanie Déanaz & Sébastien Poulet).