Le plus dur est de me mettre en tenue. La transition de mon être social en acteur sportif me demande toujours quelques efforts. Un peu comme si tout cela n’allait pas de soit, comme si il y avait d’autres issues. Cette inertie, c’est celle de la vie, de ses conventions, de ses obligations et du nécessaire respect d’un certain ordre des choses.
Et je reconnais qu’il m’arrive de me laisser prendre dans ses filets. Parfois, cette morale très « judéo chrétienne », mélange de culpabilité face à une trop grande liberté et d’incompréhension envers tout acte répertorié ou qualifié « d’inutile » a priori, me rattrape. Mon short alors reste au placard.
Pourtant, je sais bien que c’est dans cette peau là que je me sens le mieux. Mes habits de sportifs font de moi quelqu’un de plus simple, de plus sain même… En chaussant mes running, je m’arrache du sol et mon esprit s’envole. Elles sont magiques mes chaussures, ce sont mes « bottes de sept lieux », avec elles je disparais et je me perd au bout du monde. Un bout du monde qui se trouve au coin de ma rue.
A l’automne, le crachin accompagne souvent mes foulées. Il mouille mon visage et rend les 1er pas parfois un peu pénibles. Il donne aussi à mes chemins cette texture meuble, presque suave qui me fait tant apprécier de courir par ici.
Il ne me faut guère que deux ou trois minutes pour me retrouver dans les bois et déconnecter presque entièrement du stress de la vie avec son lot de bruit, de désordre et de pollution.
La forêt derrière chez moi est faite de mille sentiers, de milles itinéraires et autant de possibilités… Mais, paradoxalement, mes parcours varient très peu souvent. En fait, ils sont presque immuables. Ce n’est pas que je sois feignant ou casanier, c’est juste que j’ai besoin d’être sur « pilote automatique » pour permettre à mon esprit de vagabonder comme bon lui semble.
Ca y est, mon « pace » est en place, tout devient facile et les foulées s’enchaînent naturellement. La pluie n’est plus qu’un mauvais souvenir. Je l’ai sortie de ma tête et elle ne m’atteint plus. Ce que je vois et que j’entends, c’est le vent dans les arbres. Ce que je ressens, c’est ma respiration, les battements de mon coeur et les mouvements de mon corps jusque dans ses moindres détails : l’amplitude de mes foulées, l’angulation des segments ou l’intensité de mes appuis au sol. Au fil du chemin, tous mes sens s’éveillent puis réagissent avec davantage d’acuité.
C’est en courant que j’arrive à atteindre et à ressentir complètement mon organisme au coeur de son fonctionnement dans ce qu’il a de plus incroyable. C’est pour cette raison que, jamais de la vie je ne mettrais des écouteurs et de la musique pendant ces sessions. Ce serait un sacrilège, je passerais à côté de l’essentiel de mon footing… Je passerais aussi à côté de l’essentiel de la musique… Et j’aime trop courir… Et j’aime trop écouter du bon son pour « polluer » ainsi l’un avec l’autre.
Kilian Jornet a écrit « courir ou mourir ». J’aime bien Kilian et j’ai beaucoup de respect pour ce qu’il fait mais ce n’est pas ma philosophie. Le simple fait de courir me permet de vivre plus intensément et cela n’a rien à voir avec une quelconque prise de risque. Pour moi, la course se suffit à elle même, je pense que vouloir y rajouter de l’engagement de façon systématique est l’expression d’une forme de manque. En alpinisme, la quête de sens passe par l’approche et l’atteinte des sommets. Le coureur est un nomade, c’est au travers de ses voyages qu’il trouve son accomplissement.
Moi aussi, à ma manière, je « glisse » mais ce n’est pas « en bas de combes » sur la terre, sur des vires escarpées avec le vide de chaque côté ou au milieu des crevasses.
J’aurais préféré que Kilian écrive « courir pour vivre », la nuance est de taille car la mort ne rode nulle part sur les chemins qui sont les miens.
Ca y est, je suis de retour. Je ne sais pas vraiment combien de temps cela à duré, j’étais trop « dilué dans mes gestes » et j’ai oublié. En me concentrant un peu je serais sans doute capable de me souvenir, comme je serais capable de retrouver les chemins par lesquels je suis passé… Mais là, franchement, je n’en ai pas vraiment l’envie, ça n’est pas le plus important…
Est ce que c’est cela le « flow » ? Cet espèce d’état second qui fait que l’on perd l’esprit et la notion de l’espace et du temps tout en se sentant incroyablement bien ?
Peut être, mais ce que je sais surtout c’est qu’il me faut beaucoup plus de temps pour retrouver mon enveloppe « d’être social » qu’il ne m’en fallait pour la quitter tout à l’heure. Ce que je sais aussi, c’est que mes petites escapades me permettent de mieux m’accepter dans mon « autre moi » de tous les jours. Elles me rendent meilleur et elles sont le garant de mon équilibre et de ma force.
J’en suis sûr, avec mes bottes de sept lieux, et plus fort que Kilian, demain, je saurais sauter par dessus toutes les montagnes…
Merci à Alan Sillitoe pour l’inspiration de ce texte.
* La solitude du coureur de fond. Alan Sillitoe, 1959.
Peut être un peu exagéré de parler de sacrilège en mettant des écouteurs…
Je dirais même que après quelques essais, on y prend goût !!!
Car pour le reste, le discours très personnel est finalement assez partagé (partageable?).
On peut facilement se reconnaitre, excepté pour la forêt que je n’ai pas aussi proche…
et pour la vitesse de course, c’est chacun à son niveau!
Je suis quelqu’un d’excessif… Mais bon, admettons, disons que « c’est péché » de mettre les écouteurs en courant… Et ce sera mon dernier prix 🙂
Alors soit; mais tant que le péché ne nuit pas aux autres…:)
Je persiste et remercie mes écouteurs, sans qui les 27km de dimanche ne seraient jamais passés!
(Ce qui n’est peut-être plus le cas en course officielle, concernant l’équité et surtout la sécurité; mais c’est un autre débat!)
Pure*