« C’est bon, j’en peux plus… T’as qu’à me laisser là, je vais bien réussir à rentrer en RER s’il le faut… »
Nous sommes au printemps 2003 et j’essaye de terminer « vaille que vaille » une sortie vélo en compagnie de mon nouveau collègue fraichement nommé dans mon lycée. Ça fait quelques kilomètres que celui-ci se plaint de crampes et qu’il souffre le martyr… Il faut dire que du vélo de route, il ne connaît pas grand-chose, lui, son truc, c’est l’athlé… En plus, la monture qu’il utilise lui a été prêtée et n’est pas à sa taille. Un vélo, que dis-je, une véritable relique : un vieux cannondale R600 avec des roues de 26 pouces, et un guidon d’un autre temps (le mythique Scott DH pour ceux qui connaissent…)
En bon « grand frère », je l’aide comme je peux en le poussant et on termine les 10 kilomètres qui nous séparent de Versailles au ralenti…
Je ne sais pas si ça vous est déjà arrivé ce genre de chose, mais personnellement, dans ses circonstances, j’éprouve un « plaisir coupable » à aider quelqu’un de la sorte. Ça me chagrine de comprendre que je suis comme ça, mais il y a un peu d’orgueil là dedans, je crois… Un truc qui signifie implicitement : « Je t’aide… T’as vu comme je suis fort ? »
Et je me souviens que ce jour-là, même si la sortie a été interminable, je n’ai pas vraiment pesté à cause de sa défaillance… Allez savoir pourquoi. Peut être qu’elle m’avait surtout permis de briller et d’en mettre plein la vue à ce jeune impétueux qui avait osé me faire mal aux jambes au départ dans la bosse la Vacheresse… Pire encore, peut être que je savais qu’il allait « exploser » à un moment ou à un autre… Mon dieu… Peut-être que tout était calculé en vérité… Serais-je si diabolique ? Ca me fait tout à coup froid dans le dos de le comprendre…
Septembre de la même année, c’est le rendez-vous traditionnel de fin de saison pour tout triathlète qui se respecte : le triathlon de Sartrouville.
Comme chaque année je suis au départ, mais cette fois, c’est particulier, mon jeune collègue est à mes côtés pour son baptême du feu dans la discipline. Quelques mois seulement se sont écoulés depuis notre sortie vélo « homérique », mais j’ai comme un « mauvais pressentiment ». Le « gamin » apprend vite, je sens que ça risque « déjà » d’être tendu pour arriver à le battre… Je sais aussi que j’ai intérêt à avoir une sacrée avance avant la course à pied sinon, je vais me faire enrhumer tant mon jeune collègue excelle dans cet exercice… Mais je suis confiant, en forme et je me pense supérieur en natation comme à vélo…
Je nage bien… pourtant, au moment où je prends mon vélo, j’aperçois mon pote qui arrive déjà à toute balle avec sa combi sur les hanches… Bon, mon Xa… il va falloir appuyer sur les pédales…
Tout se passe bien, je remonte pas mal de monde… Le deuxième tour arrive avec sa petite bosse très « casse-pattes ». Un mec me passe en plein milieu et en même temps que lui, une décharge électrique parcourt mon corps… C’est lui… je n’arrive pas à y croire, je ne le pensais pas capable de rouler si fort et de cette façon…
Le temps de retrouver mes esprits et je parviens à repasser devant un peu plus tard au bénéfice d’une partie très roulante… Un peu « à l’expérience » et au bluff à dire vrai… Ce manque d’expérience lui coûte d’ailleurs, quelques centaines de mètres plus loin, un « stop-and-go » pour drafting sur ma propre personne !!! Je trouve ça drôle, mais surtout, j’en profite pour déguerpir « pour de bon » jusqu’à T2.
En chaussant mes baskets, je sais que ma fuite ne sera pas bien longue, mais je décide de vendre chèrement ma peau jusqu’au bout et j’espère, sans trop y croire, que mon pote est comme tous ces athlètes : dès qu’ils ont un peu de lactique dans les jambes et que leur foulée n’est pas celle qu’ils ont l’habitude d’avoir, ils perdent leurs repères et passent au travers de leur course à pied en triathlon…
Je pars donc à fond et sans réfléchir… Pour me faire littéralement déposer après un peu plus d’un kilomètre…
Ce jour-là, je me consolerais en me disant que j’ai fait une bonne course et que ce « lapin de garenne » en a écoeuré beaucoup d’autres… au ravito, je lui dis que j’ai sans doute raté l’unique occasion de ma vie de le battre…
« Mais non… » sera sa réponse « pour la forme », car nous savons bien tous les deux que c’est d’une logique implacable.
Versailles, hier soir à 20 heures. Je viens de faire 700 km de voiture pour revenir de vacances, mais je ne prends pas le temps de défaire mes sacs. Je vais direct sur internet pour aller à la pêche aux infos du championnat du monde XTERRA qui se déroule à Mauii.
Oui j’ai hâte, car j’ai un ami qui court là bas en « pro ». Le seul classement qui a un sens selon ses propres dires. Je peste un peu, mon internet marche mal, et je jongle à droite et au gauche avec les textos pour me tenir au courant… C’est une torture terrible d’attendre comme ça sans savoir vraiment si tout se passe bien de l’autre côté de la terre…
Pendant ces longues minutes, j’ai tout loisir de me « refaire le film » qui a emmené ce petit gars jusque sur cette île perdue du pacifique… Ses débuts rocambolesques à mes côtés bien sûr… Mais aussi les stages à Hyères où on se prenait de raclées mémorables par nos potes du 4e RCH. Les journées de dingues que je lui voyais faire lorsque je vivais avec lui en coloc…
Un rythme, de fou, fait de sport, de travail, de rigolades, d’insomnies devant la série « 24 heures » et d’une bonne dose de trucs inavouables ici, qui scelle une amitié pour la vie… Les moments de blessures et de doutes aussi…
Enfin, ce qui fait la qualité 1re de « Fabulous Fab » : Son énergie pour entreprendre, toujours et encore afin permettre aux autres d’être meilleurs, eux aussi, comme lui… L’aventure de la D2 avec notre « petit club » de Versailles puis notre montée improbable en 2009 vers l’élite du grand prix avec une bande pote dont Fabien sera toujours le catalyseur…
La création de la section sportive et l’épanouissement de nos élèves au sein de celle-ci… L’organisation des championnats du monde scolaire de triathlon à Versailles cette année… Un travail titanesque, quelques larmes d’épuisement, une réussite et… une reconnaissance quasi nulle de la part de « l’institution… ». Mille choses me parcourent ainsi l’esprit pendant mon attente.
La vie est comme cela, elle est faite de hasards et de rencontres… Si vous êtes chanceux, elle peut vous mettre au contact de personnes exceptionnelles qui vous transforme et même, vous « façonne » pour vous aider à grandir.
Fabien fait partie de ces gens qui inspirent et vous rendent meilleurs. Il y a des êtres qui vous prennent aux tripes par leur volonté, leur courage, leur détermination et leur générosité. Vous rentrer en « résonnance » avec eux et, quelque part, ils vous subliment.
Le sport c’est avant tout cela : des expériences partagées, des moments forts et de l’accomplissement. C’est un vecteur extraordinaire de bonheur et d’apprentissage par l’échange. C’est dans la relation que l’on s’enrichit sur le plan humain. Et depuis 13 ans, « j’ai gagné des milliards » au contact de ce garçon. En l’observant et en travaillant à ses côtés, j’ai progressé bien au-delà de ce que j’aurais pu imaginer. Et pourtant, je vous assure que sur bien des plans, nous sommes différents voire, diamétralement opposés.
Beaucoup de choses se bousculent dans ma caboche en attendant de connaître les chronos intermédiaires du XTERRA Mauii. Le temps me parait interminable, j’ai peur qu’il soit tombé ou qu’il ai eu un problème… C’est ça aussi les liens indéfectibles de l’amitié, je suis un peu comme une maman, qui veille en se faisant du « mauvais sang » pour son fiston parti en bringue quelque part…
Mais je m’inquiète pour rien, Fabien est un « grand garçon », pas d’accident et aucune gueule de bois. Il va maîtriser sa course de la tête et des épaules avec le 20e temps natation, le 17e temps vélo et le 9e en course à pied… Pour une 13e place au général… Autour de lui dans le classement, il n’y a que des « pros », des vrais…
Tout simplement impressionnant…
Ce qui l’est tout autant, c’est qu’il va enchainer par un retour d’Hawaii le soir même de la course pour arriver le plus tôt possible… Mardi à 8 heures du matin à Roissy, et traverser au plus vite vers l’ouest dans les bouchons parisiens afin d’être « frais dispo » à 10 heures 30 à mes côtés sur le stade pour bosser…
Il a tout prévu, il m’a déjà envoyé un texto où il me demande d’ouvrir les vestiaires de sa classe au cas où il serait un peu à la bourre…
En fait, ce genre de truc provoque « un double effet kiss cool » chez moi : dans un 1er temps, je me marre… Et dans un deuxième temps, quand je réalise vraiment dans quelles circonstances et après quel périple il va débarquer pour prendre sa classe, j’en ai presque les larmes aux yeux… Je ne ferais pas le dixième de ce qu’il accomplit… Son vrai exploit, ce n’est pas sa place d’hier à tout bien réfléchir…
Je le connais, demain, il va joindre la parole et le geste lorsqu’il parlera rugby à ses élèves, courir, plonger… ça ne fait aucun doute. Lorsque quelque chose le passionne, il est inarrêtable. Je sais aussi qu’il ne parlera pas de sa course, alors, je ne sais pas, mais, pour une fois, je vais peut-être le faire pour lui, j’en ai tellement envie…
Il est un peu plus de 23 heures dans mon petit appartement. J’hallucine une dernière fois en regardant le classement des meilleurs où mon « frère d’armes » apparaît aux côtés d’athlètes comme Courtney Atkinson, Josiah Middaugh ou Ben Hoffman… Je ne peux pas m’empêcher d’envoyer quelques textos aux gens que j’aime pour partager « mes petits papillons dans le ventre ».
Quelle émotion, quelle fierté est la mienne ce soir…
J’ai les yeux un peu humides au moment de m’endormir.
Chapeau l’artiste…
Superbe texte Xavier,
Effectivement un homme qui nous fait grandir dans la vie ce Fabien. Pour moi ça a été la personne qui m’a permis de commencer l’athlé en club. C’est le coup de fil à mes parents qui les a finalement décidé à me dire ok alors que je le demandai depuis quelques temps déjà.
C’est aussi lui qui m’a donné envie de tester le triathlon (en commençant par le découverte du tri du roi), je n’y ai pas encore basculé à 100% mais ça me démange de plus en plus^^. Il a su en 5min de discussion au travers d’une rencontre par hasard à la piscine à me donner le petit truc qui m’a fait progresser d’un coup dans ma nage (reste du boulot tout de même^^) et c’est encore lui qui m’a fait rêver dimanche soir derrière mon écran d’ordinateur.
Lui le « french guy we still don’t know the name » que les commentateurs découvraient, lui encore qui a reçu les félicitations de ces commentateurs après un virage technique réussi et encore lui qui termine sa course un grand sourire sur les lèvres, heureux tout simplement!
Mais je suis sur aussi que tu lui as apporté tout autant Xavier et que, notamment, sans ta présence et ton accueil à ses débuts dans la région parisienne (en provenance de Grenoble si mes souvenirs sont bons) il n’en serait pas là où il est. Tout comme tu fais le bonheur de tes élèves (j’ai des espions^^) au quotidien.
Continue ces chroniques qui sont au top à chaque fois.
A une prochaine rapidement j’espère
Thibaut
Merci Thibaut ! (je connais ton « espion » 😉 )