Ce matin, je suis de mauvaise humeur. C’est rare, mais parfois ça m’arrive et dans ce cas, il vaut mieux éviter de me croiser, car je peux être injuste et vous pouvez en faire les frais alors que vous n’aurez rien demandé…
En fait, j’ai remarqué que c’est souvent quand je suis un peu triste que mon humeur se gâte et que je deviens désagréable. Je me défends comme ça, par « l’offensive », c’est un peu injuste pour mes amis, mais bon, je n’ai pas encore trouvé mieux alors, comme, ils subissent en sachant que ça passera bien à un moment ou à un autre…
Il y a des périodes comme cela où tout s’enchaine dans le mauvais sens : Blessé, votre corps vous trahit un peu… Vous perdez coup sur coup et brutalement des personnes qui comptaient pour vous, des gens innocents se font descendre , comme ça, sans raison à deux pas de chez vous et vous assistez, impuissant, à la montée des extrémismes dans votre beau pays des droits de l’homme, de la liberté et de la laïcité…
Du coup, vous voyez tout en noir, même cette magnifique matinée de début décembre ou il fait déjà plus de 10 degrés dehors à 10 heures du matin… Anormal et inquiétante journée à l’image de ce climat dont le thermostat s’affole au risque de mettre en péril l’équilibre de notre planète de façon irréversible.
Pendant que l’ensemble des « grands décideurs » de ce monde (sic), arrivent à bord de leurs jets privés et autres grosses berlines à une énième (non-pardon 21e, c’est dire si les vingt 1re ont été utiles…) conférences qui ne servira probablement à rien, on nous demande de bien vouloir écourter nos douches, trier nos déchets et de nous assurer que l’isolation est parfaite dans nos foyers… Vital pour l’avenir de notre planète… Sans doute, sauf que l’ensemble des grandes multinationales qui la pillent, elles, ne vont pas changer d’un iota leur stratégie… Essentielle, elle, pour leur essor et surtout, les dividendes de leurs actionnaires.
Parfois, tout ce cirque me met mal à l’aise, car je sais que « bon grès, mal grès », je participe à cette immense mascarade. Je roule en diesel, les pompes que j’ai aux pieds, comme la plupart de mes fringues sont fabriquées en Chine ou dans un de ces pays émergents qui foulent au pied les droits les plus élémentaires du travail. Mon vélo, que j’aime tellement et qui me permet de faire le vagabond chaque semaine et de jouir de la nature, est presque entièrement en carbone… Quel paradoxe : c’est cette technologie, c’est le fric de l’économie capitalisme, c’est le sang et les larmes de gamins à l’autre bout du monde, qui m’assurent mon confort et mes petits plaisirs de « bobo écolo».
Rousseau avait raison, l’homme nait bon, c’est la société qui le pervertit… Et j’ai envie de rajouter que c’est par « flemmardise » que nous encroutons tous.
Le confort, ça ne rend pas bien service au final, car on fini par baisser la garde et se trouver de bonnes excuses face à l’inertie générale de tout ce qui, sois disant, nous échappe.
Finalement, tout devient « normal » et on ne s’étonne plus de rien, aveuglé par la société de consommation dont nous sommes nous même le 1er révélateur.
« Mon » triathlon à la dérive…
Alors c’est sûr, à l’image du monde et de ces enjeux, mes exemples vont vous paraître bien futiles, mais ils illustrent cette dérive mercantile absurde et tellement obscène qu’on ne la voit même pas…
Ainsi, la semaine dernière, je me faisais une joie d’accueillir Alex, venu du Canada quelques jours pour la conférence « science triathlon » de l’ITU. J’avais vraiment envie de voir et de rencontrer des « gens nouveaux », de papoter de ce qui me passionne avec des personnes cultivées et intelligentes… À 100 euros le dîner, beaucoup trop cher pour le petit triathlète que je suis… J’ai passé mon tour…
Il y a un peu plus de 23 ans, j’utilisais toutes les ficelles possibles et imaginables pour soutirer 15 francs à ma mère et faire mon 1er « catégorie A » à Salon de Provence… Cette année, le triathlon de Paris nous annonce un « tarif préférentiel » à 105 euros pour les plus rapides à s’inscrire. Vous ne rêvez pas, ça fait bien 42 fois plus cher… Une blague de mauvais goût sans doute… Non, pas vraiment en fait, car, si on y réfléchit bien, la joie de « triathlonner » dans la capitale parisienne est réellement « chip » en comparaison des courses outre-Atlantique… En effet, vous paierez sept fois plus cette année pour faire quelques brasses en baie de San Francisco à l’occasion d’« Escape from Alcatraz » et encore, si vous avez été le plus rapide à vous inscrire, car, croyez-le ou non, mais c’est « sold out » en quelques minutes…
Je me rappelle les conférences passionnantes de Pierre Therme, mon prof d’anthropologie sportive à la fac, jadis. « Le sport est traversé d’axiologies, il est à l’image du monde dans lequel il baigne, il s’en nourrit… ». J’étais jeune, je notais tout cela avec application et le recrachais dans mes dissertations sans en comprendre réellement les enjeux… Mais le constat est sans appel : le sport, aujourd’hui, est de moins en moins un espace de liberté, sa perméabilité naturelle à la société moderne et à ses logiques, le gangrène peu à peu. Il est noyauté par le fric, il se parcellise et se hiérarchise. Il devient élitiste et discriminant…
Il est au coeur d’enjeux qui le dépassent et, malheureusement le font voler en éclat, lui et ses fondements les plus élémentaires…
L’aventure sportive ne se vit plus autrement que par les marques. Et les meilleurs d’entre nous en sont aujourd’hui les esclaves, quitte à en devenir ridicules dans la défense de « leur » boutique… Le « taureau rouge » règne en maître partout où l’on peut trouver du frisson. Les trois bandes, elles, nous sautent aux yeux sur tous les terrains de sports aux pieds d’athlètes dont, le plus souvent nous ne connaissons pas le nom…
À côté de cela, « nos décideurs à nous », fédérations et organisateurs, jouent et profitent de notre « besoin organique de plaisir », de notre coupable faiblesse vers la recherche d’une petite parcelle de bonheur, pour nous exploiter allègrement.
Huizinga, il y a presque 30 ans, expliquait que le pouvoir fondateur du jeu vient de sa capacité à surexciter, et pourquoi pas à perdre une certaine forme de raison… Certains l’ont bien compris et utilisent ces leviers à outrance… Et aujourd’hui, on s’offre la « folie » d’une inscription… Et « ça fait partie du jeu » que d’accepter des coûts indécents simplement pour mettre un dossard et se mesurer aux autres dans le sport qui nous passionne… Finalement, « on n’a pas vraiment le choix si l’on veut courir… »
Vers une nécessaire quête de sens…
Face à tout cela, je me dis qu’il faut avoir la force de « partir en lutte ». Il ne faut plus hésiter à boycotter toutes ces organisations et ces fédérations, qui, de toute évidence, n’ont qu’une idée en tête : nous presser comme des citrons… Quitte à moins courir, ou à prendre quelques « chemins de traverse ».
Le triathlon est né d’une utopie : celle d’une aventure polymorphe face aux éléments et quelque part, en dehors de toute norme… Qu’il fût « récupéré » un jour ou l’autre, cela n’a jamais fait aucun doute pour moi… Mais aujourd’hui, « j’ai mal à mon triathlon »…vraiment… Car il n’est plus que la caricature de lui même avec ses héros de pacotille et son aventure déshumanisée entièrement régie par le fric et la frime.
Nager, pédaler, courir, partout, n’importe quand, et sur n’importe quel support, c’est ce qui doit continuer à faire sens.
Aller le plus vite, ou le plus longtemps possible, peu importe… Mais le faire en dehors de toute pression et de toute contrainte, voilà ce qu’il faut retrouver… vite… Se garder de tout conformisme et fuir la bien-pensance générale et les effets de mode, c’est encore possible et il faut absolument revenir à cet aspect fondateur et fondamental.
Depuis quelque temps, je ne mets quasiment plus de dossards. Au début, je pensais que cette lassitude venait des années qui passent, du niveau qui baisse et d’une certaine forme de renoncement. Je me rends compte aujourd’hui que c’est avant tout parce que cela à de moins en moins de sens pour moi : Trop cher, trop superficiel… Je n’ai plus de plaisir…
Alors que ce même plaisir demeure toujours aussi intense lorsqu’il s’agit de partir simplement m’entrainer…
Au commencement, les triathlètes étaient des aventuriers. Ils sont ensuite devenus de fantasques et remarqués « géo trouvetout », puis l’archétype de l’athlète sain, polyvalent et équilibré.
Aujourd’hui, la perception du triathlète dérive de plus en plus vers celle du sportif nombriliste un peu « beauf » et, il faut bien le dire, bien plus « bling bling » que réellement technique et performant dans sa pratique.
Cette culture égocentrique, futile et mercantile est en train de « dévorer » à peu près tout sur son passage…
Le triathlon n’y échappe pas, pour son malheur…
Et le mien…
Avertissement : cette chronique qui exprime l’opinion de son auteur et non de la publication.
Beau texte, comme souvent !
Viens trottiner avec moi dans nos belles montagnes, ça reste éternel …
Un plaisir à lire, mais 2 remarques :
– un, sur la tonalité du début, la critique est trop facile. Où en serait-on si les comportements n’avaient pas changé depuis 20 ans (Etats et multinationales justement). Ce n’est pas parce que la situation n’est pas bonne qu’elle ne serait pas 10 fois pire si pas mal de gens ne s’étaient pas défoncés pour que ça bouge… Un peu de reconnaissance n’est jamais perdue face à la démagogie ambiante et aux raccourcis…
– deux, c’est vraiment dommage de ne pas récompenser en les citant quelques épreuves, petites ou grandes, qui sont restées 100% dans l’esprit que tu recherches. Tu les punies en mettant tout le monde dans le même panier alors que je suis persuadé que tu en connais un certain nombre (dont certaines menacées). Il y a plein de belles petites épreuves, ou des expériences à l’étranger à faire sans se ruiner… et je ne vois pas comment on peut mettre dans le même panier le natureman et des half surcotés à 350 euros…
Entièrement d’accord ! La natureman (de mon ami Eric 🙂 mais aussi Bandol, Vouglans, Saint Rémy sur Durolles, le Tribreizh et j’en oubli surement… C’est un peu par peur d’en oublier que je ne les ai pas cités ! 🙂
J’aime beaucoup ton article, même si un brin « acide » par moment ou au début. Mais le contenu dans le fond et sur la forme est finalement criant de vérité… Et je suis et nous sommes tous aussi un peu responsable à notre niveau de cela, quand bien même on essaye quand même de faire des efforts.
Mais le plaisir simple, comme tu le signale, on ne s’en rend compte qu’après diverses péripétie de la vie et un peu de réflexion personnelle. Une sorte de « retour aux sources ».
Par exemple, pour ma part, après 6 mois à me trainer une longue blessure (TFL/inflammation au niveau genou), j’ai pris un plaisir fou à ne serais ce que recourir au début 10-15 minutes. Et j’en ai tout autant à recourir de plus en plus vite et de plus en plus longtemps, retrouver le simple plaisir de pouvoir courir. C’est con, mais tellement bon! On l’oublie souvent quand tout va bien ou dans notre « routine » (et pourtant je n’ai « que » 26ans).
Sans plaisirs, toutes pratiques (sportives ou non d’ailleurs) n’a plus aucun sens au fond. Courir de plus en plus vite pour être devant tout le monde et briller c’est au final très con. Par contre, le faire parce qu’on est fier de nous et de nos capacités toujours repoussées plus loin que ce qu’on aurait pu imaginer, ou parce que on le fait dans un cadre sublime et agréable, pour une personne, un souhait cher, un pari, en hommage, peu immporte, oui cela est somme tout plus plaisant et plus bénéfique sur le long terme. Même si cela n’est pas pendant une « course officielle ».
Courir un marathon ou un triathlon peut vitre être cher. Surtout quand les organisations font tout pour nous faire raquer …. (genre la licence à la journée de la FFTri de 42€ pour un distance M en Rhône alpes, plus cher que le prix de la course en elle même …) ou le Marathon de Paris a 90 boules. Même si je conçois qu’il y a la sécurité, les médecins, une partie des ravitos and co. Et ce, même si les sponsors contribuent en grande partie et si il y a plein de bénévoles qui ont la générosité de donner de leur temps et « argent » dans une course pourtant bien payante elles ….
Heureusement, il existe toujours des petites courses sympas du coin, local, pas trop cher (voir même pas du tout, je pense à un trail vers chez moi entièrement gratuit). Et où l’orga se débrouille bien et se donne a fond, même si parfois c’est pas ultra propre et niquel. On s’en fou, l’essentiel c’est de concourir simplement 😉 Mais pour combien de temps?
En tout cas merci pour ton post, cela fait plaisir à lire (malgré ton énervement initial 😉 )
Merci ! Tes remarques sont très justes aussi… (et désolé pour l’énervement initial… mais j’avais prévenu dans le titre 😉 )
Bonjour,
Je partage beaucoup de tes conclusions sur l’évolution de ce sport, même si je le connais depuis bien moins longtemps que toi.
Ma recette : me pousser malgré tout à m’inscrire à 2 ou 3 tris par an, sur des sites sympas (les lacs de périphéries urbaines… comment dire… ben non en fait), et essentiellement pour me pousser à aller m’entraîner (nager… surtout) et garder la forme. Mon matos n’est pas dernier cri (bon, à part ma combi), et l’un de mes plaisirs est justement de « faire la nique » aux participants bling-bling de ces courses.
« Vive le sport » quand même, et donc le triathlon !
B.