On entend beaucoup de choses se dire. La critique serait une manière d’exister et aucune décision ne peut satisfaire tout le monde. Lorsqu’un athlète réussi, il y a toujours un coach en arrière mais aussi un système. Frank Bignet, ancien champion de France et gagnant d’une coupe du monde est depuis 2009 le directeur technique de l’équipe de France de Triathlon. Sous sa barre, les titres mondiaux chez les juniors et U23 se sont accumulés. Est-ce véritablement un hasard ou le fruit d’un travail pour développer un environment gagnant? Parole de Trimes, les différentes fédérations nationales jalousent l’attitude commune des athlètes français. On a donc profité de l’intersaison pour s’entretenir avec Frank Bignet et faire un bilan pour l’avenir.
Dans mon cercle, à la blague, on dit fréquemment qu’être DTN, quelque soit la qualité de son travail, c’est l’assurance de se faire détester par certains. Tu confirmes?
Pourquoi faudrait-il plaire à tout le monde ? Accepter des responsabilités engage à prendre des positions. Elles sont forcément discutées et chacun peut avoir son avis au regard des éléments dont ils disposent et de son statut. Ma mission est de contribuer à l’atteinte des objectifs partagés entre le ministère des Sports et la fédération. J’essaie de rester cohérent entre les faits et les actes.
Mais cela reste un paradoxe, tu dois dégager une assurance infrangible, mais dans la réalité, c’est un milieu très évolutif où tu dois justement sans cesse remettre en question tes décisions, non?
Dans tous les métiers, il faut régulièrement s’interroger sur la direction que l’on prend. J’accepte la confrontation des idées.
Souvent, les malentendus viennent du fait que l’objectif n’est pas toujours le même pour chacun d’entre nous. Le mien est de créer les conditions pour que les Français(e)s jouent les premiers rôles sur la scène internationale.
À titre d’exemple, il y a eu un débat sur la non-sélection féminine pour Rio et Chicago, as-tu que certaines vérités sont dans les 2 camps?
J’ai fait ce choix après concertation avec les entraîneurs nationaux et personnels des triathlètes concernées.
Primo, les féminines étaient loin de nos critères de sélection. Il faut garder de la cohérence dans les décisions prises.
Secundo, il a été privilégié de courir sur le circuit de la Coupe du Monde afin de gagner des points olympiques et plus adaptés au niveau sportif du moment. L’impasse sur le «test event» a permis de courir sur l’étape de Tiszaujvaros la semaine suivante et celle de Chicago de préparer les coupes du monde de fin de saison.
Cette question peut paraitre un peu personnel, mais as-tu l’impression que Trimes vient compliquer ton travail ou autres contraires?
Non, Trimes ne complique pas mon travail. Tu fais l’effort d’avoir une approche systémique dans les analyses que tu portes et je pense que c’est la bonne manière de faire. Il est préférable d’être factuel et de ne pas laisser ses émotions prendre le dessus dans ses décisions.
Je ne partage pas toujours tes conclusions et c’est bien normal. Nous n’avons pas accès aux mêmes informations et nous évoluons dans des contextes professionnels différents.
Quel bilan fais-tu sur la saison 2015? De plus, as-tu l’impression que vous être plus proche de la médaille olympique chez les hommes…
Le bilan général (junior, U23, Élite) est satisfaisant, mais il faut maintenir notre exigence. Les triathlètes français doivent rester impliqués dans leurs projets pour être sur les podiums des grands rendez-vous internationaux.
Chez les Élites hommes, la concurrence internationale est forte, mais les français et plus particulièrement Vincent LUIS sont présents.
Vincent progresse année après année depuis 2011 dans la hiérarchie mondiale. Il doit croire en ses possibilités de médailles le 18 août prochain et David HAUSS sait se préparer pour la course du jour J (Londres 2012 et Rio 2015).
Dans ce passage plus difficile pour les femmes, ne faut-il pas croire que la politique fédérale soit plus adaptée aux hommes qu’aux femmes ?
L’olympiade 2013-2016 est plus favorable aux hommes, mais il y a une belle génération féminine pour l’olympiade de Tokyo. J’avais annoncé depuis 2009 ce passage délicat. Si l’on prend le temps de l’analyse, tout cela reste en partie prédictible. Une athlète aurait pu compenser cela, mais cela n’a pas été le cas. C’est ainsi. Aujourd’hui, ce sont les résultats des hommes qui donnent du temps aux femmes. Ce sera peut-être l’inverse sur d’autres olympiades.
La fédération a développé des projets de performance visant à être compétitive en Elite, mais cela ne se construit pas en une, mais en deux olympiades.
La politique fédérale est unique et nous ne faisons pas de distinguo hommes / femmes par rapport à l’exigence fixée. Le triathlon aux JO, c’est 3 médailles Hommes et 3 médailles Femmes.
D’ailleurs, tu nous confiais que la non-utilisation d’un dossard olympique pour une femme restait d’actualité. Est-ce toujours le cas?
Aujourd’hui, je ne me pose pas la question puisque notre énergie doit se concentrer sur les moyens leur permettant d’être compétitives le 20 août.
Parlons de la relève, froidement, et malgré les 3 médailles (U23 et JR), est-ce qu’il faut craindre un ralentissement de la relève en junior pour les prochaines années.
Depuis 2009, nous avons apporté des modifications structurelles au projet fédéral de performance. Combiné à une conjoncture favorable, cela génère forcément de la performance. Cette olympiade (cycle) aura été fructueuse chez les jeunes et doit placer la France comme meilleure nation mondiale chez les 16/23 ans.
S’il doit y avoir un ralentissement des résultats, celui-ci ne devra pas s’inscrire trop longtemps dans le temps. Avoir une ou deux années d’âge moins performant n’est pas préjudiciable chez les Élites puisque vous y retrouvez plusieurs générations d’athlètes.
En 2016, l’enjeu fédéral est donc double. Permettre à nos médaillé(e)s junior et U23 de renouveler cela en Élite dans les années à venir et identifier des jeunes capables de prendre le relais de cette génération.
Nous y travaillons en maintenant des moyens financiers et humains sur ces deux populations.
C’est un sujet peu abordé, mais en équipe de France, on a l’impression qu’une certaine attitude est attendue chez vos athlètes… non?
Être en Équipe de France, c’est évoluer à minima dans une culture de la performance.
Quatre qualités sont nécessaires :
– la stabilité émotionnelle. Elle permet de s’impliquer dans le temps, de mettre de la consistance dans son entraînement.
– l’engagement. Il faut être enthousiaste et honnête dans l’effort
– la confiance… en soi et dans les autres
– l’ambition. Elle permet d’accepter les contraintes quotidiennes, le prix à payer.
Je constate aussi que les médailles amènent les médailles et nous positionne dans un cercle vertueux. Il faut l’entretenir.
Est-ce que l’on peut parler d’un transfert des anciens qui s’est mis en place? Que cela Tony Moulai avec Pierre Le Corre, Stephanie Gros avec les filles du pôle de Montpelier et autres anciens athlètes dans l’entourage technique, tout cela semble très familiale avec un respect au passé, sorte de passage du relais… non?
Tu as raison de faire ce constat. Les anciens sportifs de haut niveau s’impliquent davantage dans l’accompagnement de cette génération. Je t’avoue ne pas maitriser le pourquoi, mais le staff actuel fait de son mieux pour associer les entraîneurs personnels au projet fédéral. L’idée est de partager le projet, de laisser à chacun se l’approprier.
Chacun doit y trouver une motivation particulière, mais tu devrais surtout leur poser la question.
D’ailleurs, à l’inverse, les fédérations semblent reposer de plus en plus sur des squads internationaux ou nationale et de centraliser le savoir. Les athlètes français sont à l’opposé avec des structures presque individuelles, peux-tu nous en parler?
Tout système peut mener à la performance s’il respecte les règles de base du sport de haut niveau et en laissant place à l’innovation.
Innover c’est chercher constamment à améliorer l’existant.
Pour cela, il faut simplement réduire les RIGIDITÉS de votre organisation… en laissant la liberté à chacun de penser, d’agir, en développant des relations coopératives, contributives et non uniquement hiérarchiques.
Vous allez ainsi chez vos collaborateurs, leur permettre de développer leur prise d’initiative, leur autonomie, leur créativité.
Au quotidien, cela va se concrétiser par le plaisir de faire, de compter sur un engagement supérieur, de dégager une motivation durable, une confiance en soi et dans les autres plus importantes…
BREF, UN positionnement essentiel afin de créer les conditions de la réussite.
Depuis 2009 : le discours aux triathlètes est le suivant :
Vous êtes acteurs de votre projet, vous vous organisez pour bâtir une organisation performante, on vous accompagne humainement, techniquement, financièrement … que vous soyez dans une structure encadrée par des entraîneurs nationaux, un club ou dans une structure individuelle.
Pour un directeur technique, accorder cette flexibilité peut paraitre paradoxal, puisque c’est un refus de tout contrôler, non?
Diriger ne veut pas dire tout contrôler, mais simplement donner une direction. Il y a plusieurs chemins pouvant mener à un même objectif.
Parlons de Rio, j’imagine que pour toi, cela sera une sorte de jugement final…
Pour moi, non. Pour d’autres peut-être ! Le succès, c’est avant tout le succès du sportif puis de son entourage proche. Ma mission est juste de créer les conditions de ce succès.
Le succès est une conséquence et non un but
La grande interrogation demeure dans la préparation, est-ce qu’il faut s’attendre à voir la série mondiale (préparation) être délaissée par les favoris? As-tu l’impression que les médaillables sont déjà connus?
La série mondiale va permettre aux prétendants olympiques de s’évaluer par rapport à l’objectif final du 18 août. Ils vont être présents malgré tout, mais l’enjeu de 2016 est bien à Rio.
Après Rio et en fonction du résultat et de la motivation, chaque triathlète poursuivra ou pas la série mondiale. Il faut respecter cela.
À toutes les olympiades, on a vu un changement des dynamiques distinctes, est-ce que l’équipe de France peut se permettre de suivre les autres et de ne pas se munir d’un domestique?
Je n’ai pas d’avis tranché sur la question. Nos textes fédéraux le permettent, mais nous ne l’affichons pas aussi clairement que les Anglais.
À ce propos, en 2012, Stuart HAYES est qualifié soi-disant comme domestique, mais c’était surtout une option prise afin de ne pas sélectionner un 3e homme comme Tim DON ou Will CLARKE qui ne rentrait pas dans la dynamique de course des frères BROWNLEE et donc dans les plans de la fédération. Je ne juge pas l’orientation anglaise, mais cela me permet de mettre un bémol sur la notion de domestique.
As-tu l’impression qu’un domestique peut vraiment faire la différence sur ce parcours?
Afficher l’appui d’un domestique, c’est déresponsabiliser les autres acteurs du groupe dans lequel tu évolues.
Soit tu peux compter sur un athlète capable de changer la donne, soit tu tombes dans ce que je dis précédemment.
Le hic c’est que ceux qui peuvent changer la donne sont aussi ceux qui peuvent gagner.
Quels seront les critères pour sélectionner les femmes et le 3e dossard homme?
Le choix se fera dans le respect des critères validés par la F.F.TRI. et le CNOSF.
http://www.fftri.com/files/pdf/150408%20Modalit%C3%A9s%20de%20s%C3%A9lection%20JO.pdf
Merci Frank.