L’INSEP joue un rôle primordial pour les athlètes de haut niveau Français, mais de différentes manières. Même si l’on retient avant tout les infrastructures, il est également un outil de recherche qui permet à nos élites de mieux s’entrainer. Avec Yann Le Meur et Christophe Hausswirth, Anaël Aubry est le nouveau nom qui s’est ajouté à l’équipe en lien avec l’équipe de France de triathlon. Ce doctorant du département de la recherche est derrière plusieurs papiers qui ont retenu notre intention. Dans cette logique, nous avons voulu en savoir plus sur lui ainsi que sur les dernières découvertes.
Peux-tu nous parler de ton parcours avant de te rendre à l’INSEP ? Quel est ton mandat à l’INSEP ?
Bonjour Alexandre. En quelques mots cursus classiques STAPS (faculté des Sports). Je me suis tourné vers un vecteur fort sur l’entraînement et la préparation physique, bien que mes études englobaient également la préparation mentale et le management, ce qui m’a permis de m’ouvrir quelque peu à d’autres visions. Durant mon cursus plutôt que d’appliquer mes enseignements, je cherchais de nouvelles méthodes, des passerelles entre d’autres sports, etc., et mes travaux de licence, de master ou mon mémoire s’est transformé en une ébauche de travail de recherche. Tout cela m’a détourné de mon projet initial, à savoir « entraîner », en choisissant de prendre un chemin de traverse plus ou moins long en me tournant vers la recherche. Seulement je voulais que cela soit tourné vers le sport de haut niveau et surtout que cela ait du sens et un intérêt pour le sportif de haut niveau et son entraîneur. Donc je ne souhaitais pas faire de recherche autrement que dans cette optique, d’autres modèles de recherche ne correspondant pas à mes attentes. Pendant cette période de réflexion, j’ai fait la rencontre de Yann Le Meur. J’ai eu un véritable « coup de cœur » pour ses travaux orientés POUR le sportif et son encadrement. J’ai donc fait le tour des travaux de Yann et ai également découvert ceux de Christophe Hausswirth. C’était donc clair à mes yeux, ce devait être eux et personne d’autre. Ils m’ont permis de mettre le pied à l’étrier en me lançant sur des projets très importants, tout en me déléguant de plus en plus de responsabilités avec le temps et je leur en suis très reconnaissant. Si l’on part du moment où j’ai commencé à travailler avec eux, donc pour l’INSEP, c’est un travail de 4 ans. Pour la suite, rien n’est arrêté, je ne ferme les portes à rien, avec toujours l’objectif de travailler pour ce qui m’anime, à savoir amener l’athlète dans les meilleures conditions le jour J, quel que puisse être mon apport (études, aide à la performance, conseils, testings, etc.).
Je sais qu’il y a fréquemment un débat entre les scientifiques du sport et les coachs. L’échange est rare et donne l’impression que les entraîneurs restent réfractaires à se munir de nouveaux outils pour quantifier la charge d’entraînement. Ton avis sur le sujet ?
Dès mes premiers jours à l’INSEP, Yann et Christophe m’ont instillé l’idée que désormais « je travaillais pour des médailles ». Cela veut dire que oui je suis là avec l’objectif de réaliser une thèse de qualité, donc cela passe par des études et des articles scientifiques répondant à un besoin dans les sciences du sport. Mais, et la nuance a toute son importance, elles doivent forcément avoir un second vecteur qui est celui de répondre à un intérêt commun avec le sport de haut niveau français.
Ensuite, oui des entraîneurs sont réfractaires à travailler avec la science et l’inverse est tout autant vrai, beaucoup de chercheurs ont du mal à travailler avec les entraîneurs. Mais cela n’est souvent qu’une question de relations humaines. Nous entendons souvent ces deux grands blocages « ce n’est pas à nous de nous mettre au niveau des entraîneurs, mais à eux », ou « les chercheurs nous prennent de haut, leur langage est trop spécifique, nous ne comprenons rien ! », partant de ces à priori parfois fondés, il va être difficile de discuter ensemble.
Pourtant nous pouvons tant nous apporter l’un à l’autre. Comme je te l’ai dit, la plupart du temps cela part de relations humaines et la discussion va casser ces clivages et il sera possible d’avancer main dans la main. À l’étranger, les exemples sont multiples et communs, rentrés dans les mœurs. Parmi les plus connus de personnes compétentes ayant eu ou ayant encore la double casquette recherche/entraînement nous pourrions citer Iñigo Mujika ou Darren Smith. Darren a commencé par la recherche pour se tourner exclusivement vers l’entraînement, tout en acceptant de s’entourer d’entraîneurs sur des points qu’il ne maitrise pas. Iñigo, après des travaux de recherche qui ont fait avancer de nombreux domaines de l’entraînement d’endurance a entraîné des tops athlètes dans de multiples sports, ou représente une aide à l’entraînement sur des aspects spécifiques comme il peut actuellement le faire auprès de Frédéric Vergnoux en Sierra Nevada.
Ce sont des exemples « triathlon » assez autodidactes, connus et reconnus, mais dans d’autres pays à l’intérieur des squads nationaux (tous sports) le chercheur est souvent associé de façon routinière au groupe d’entraînement pour remplir des tâches spécifiques qui lui sont propres et décharger l’entraîneur de ce rôle.
D’ailleurs, tu es bien placé pour nous répondre, as-tu l’impression que le triathlon doit apprendre des autres sports ?
D’abord, nous avons tous à apprendre de l’autre. À rester fermé dans son carcan et son petit prisme, on se sclérose, on ne se remet pas en question et on avance moins bien.
Donc oui, le triathlon doit apprendre d’autres sports, mais comme d’autres sports doivent apprendre du triathlon. Des demi-fondeurs se mettent à nager et/ou courir pour éviter les traumatismes, tout en bossant leur « physio ». Ce n’est que tout récent et l’un des points de départ vient notamment du fait que nos jeunes triathlètes trustent les podiums nationaux en courant moins que les athlètes de leur âge et par-dessus le marché en se blessant moins…
Mais de mon point de vue, cela est vrai pour tout champ de métier, si je ne fais que de la recherche à l’INSEP avec ma petite équipe de 4 chercheurs, je risque de moins apprendre que si je discute avec un cardiologue qui va m’éclairer sur un point physiologique non maîtrisé.
Toi-même, ton site ne sera que meilleur si tu vas voir ce qui se passe aux États-Unis ou ailleurs. Pour le triathlon spécifiquement je ne vais parler que des français, pour connaitre certains acteurs des projets olympiques. Chacun a ses spécificités, mais dans l’ensemble ses acteurs sont très ouverts d’esprit. Lors de ma présence à leur dernier rassemblement j’ai notamment réalisé une intervention sur l’affûtage précompétitif, je peux donc remettre en cause certaines pratiques du couple entraîneur/entraîné!
Et pourtant l’entraîneur national me demande d’intervenir sur le sujet et j’ai toujours trouvé des entraîneurs personnels ouverts à la discussion et curieux de nouveauté. Sur ce stage était également intervenu une psychologue ne venant pas du monde sportif et sur des sujets non liés directement à la performance sportive.
Et enfin, une dernière intervention sur la respiration en certaines situations. Je pense donc que les personnes avec qui je suis en lien dans ce sport, ont soif d’apprendre et sont très ouvertes.
Mais attention, ce n’est pas que descendant. Pour en avoir discuté avec elle, la psychologue, comme moi, nous avons également énormément appris auprès des triathlètes et de leurs encadrants.
Nous travaillons pour eux et non grâce à eux.
Des transferts avec d’autres sports me semblent également effectués, après chacun a ses sensibilités et ses points de vue. Certains sportifs ont par exemple plutôt une éducation issue de la natation, quand d’autres le seront de l’athlétisme. Cela se ressent dans les façons d’aborder leur sport. Tant d’autres choses rentrent en compte dans la mise en place du projet de performance…
Comment cela se passe avec le triathlon et l’équipe de France ? Peux-tu nous parler de votre relation, est-ce qu’il y a des sollicitations ? J’ai d’ailleurs en tête l’étude sur l’adaptation à la chaleur (Rio)… Est-ce qu’un athlète peut vous interagir directement avec vous ?
Concernant le triathlon, Christophe collabore avec eux depuis près de 20 ans. Yann est venu par la suite comme moi plus récemment. Un travail sur du si long terme ne peut reposer que sur une grande confiance mutuelle. Comme tu le dis, l’objectif premier est de répondre à leurs besoins. Mais la demande peut venir d’un sens comme de l’autre. Concernant Rio et la chaleur, Christophe est très sensible à ces principes de « stress ». À l’inverse d’autres JO comme Pékin où nous étions certains de conditions climatiques difficiles, Rio est problématique. En effet, nous y serons en plein hiver avec des températures moyennes autour de 15-20°C, mais une ambiance très changeante avec possibilité de très fortes chaleurs, comme tu as pu le voir lors du Test Event hommes de Rio.
Il fallait donc tester l’utilité d’une adaptation à la chaleur sur un camp d’entraînement et en explorer les répercussions sur un affûtage en ambiance tempérée et lors d’épreuves d’endurance en chaleur comme en ambiance température neutre (20°C).
Tu as donc pu voir comme tu l’as retranscrit dans un récent article que les conclusions n’ont pas forcément été celles attendues, tout comme les raisons possibles. Ici la demande venait donc de nous, mais la Fédération Française de triathlon nous a tout de suite soutenus, voyant les implications pour ses athlètes et les impacts possibles sur la performance. L’inverse se produit également.
La Direction Technique Nationale nous a contactés il y a maintenant deux ans sur un besoin d’accompagnement lors des phases de surcharge d’entraînement ou d’affûtage précompétitif. Voyant le lien fort avec nos travaux de recherche et la possibilité de les retranscrire à des athlètes de haut niveau, nous avons mis en place un projet commun reposant sur l’utilisation de carnets d’entraînement et l’échange avec les entraîneurs et les athlètes.
Enfin pour répondre à ta dernière question, il peut arriver que certains athlètes et/ou entraîneurs viennent directement nous solliciter par les bons liens entretenus, mais le plus souvent la demande passe d’abord par les entraîneurs nationaux et/ou la DTN qui redistribueront ensuite les demandes (médical, diététicien, recherche, etc.) avec l’aide d’une structure INSEP (MOP) dédiée aux athlètes à fort potentiel (possiblement médaillés à Rio et/ou Tokyo). Tout se fait dans la transparence et avec la cohérence du projet fédéral de performance.
Où se place l’INSEP sur le plan international ? Est-ce commun pour un élite de pouvoir bénéficier de ce type de services ?
De mon point de vue, en termes scientifiques, l’INSEP est reconnue au niveau international et d’autant plus depuis quelques années que ce soit sur l’accompagnement scientifique des sportifs, que sur le plan qualitatif de ses productions scientifiques. Cependant, cela repose en partie sur la passion de ses acteurs et leur force de travail.
Mais à l’international et notamment en comparaison avec les pays anglo-saxons, nous sommes une très petite structure de par nos effectifs et/ou nos moyens. Cela évolue dans le bon sens, notamment sur cette Olympiade. J’espère donc sur un plan personnel que cette direction sera conservée.
Oui, les élites (potentiels médaillables olympiques) bénéficient de ces services. Certains athlètes de sports de poids bénéficieront d’un accompagnement avec une collègue en nutrition, quand d’autres seront suivis lors d’un long voyage en avion par un autre chercheur dont la spécialité sera de gérer son sommeil et favoriser sa récupération.
Mais, étant de front sur beaucoup de dossiers, cette aide sera souvent le fruit des relations dont nous parlions précédemment, plus que par un suivi chronique du sportif comme tu pourrais le retrouver par exemple dans un important club de football/rugby Européen, un sport collectif américain ou dans les « INSEP » Anglo-Saxons.
Comme tu le sais, on se questionne beaucoup sur l’individualité de l’adaptation à l’entraînement. D’ailleurs, dans diverses études scientifiques, les protocoles ont généralement des effets très variés qui démontrent que les réactions demeurent très individuelles. Tout cela semble paradoxal, parce que l’on parle énormément des bienfaits des entraînements en groupe (squads), mais cela vient rejeter l’idée des besoins individuels et de sa propre surcompensation… Cela vient donc confirmer qu’il n’existe pas de formule universelle ?
C’est une certitude ! Chaque athlète est un individu propre de par son histoire, sa génétique, ses besoins, ses envies, ses contraintes, ses objectifs, etc.
Donc il faudrait individualiser au maximum ! Mais l’avantage du groupe est qu’il peut te pousser, t’aider, te transcender. D’un autre côté, cela a ses inconvénients. Certains auront besoin d’être souvent seuls, quand d’autres auront un besoin latent de l’autre.
Mon opinion est qu’il faut se servir du groupe à différents points de vue (aide mentale, lien social, dépassement de soi, cohésion, expérience, etc.), mais savoir s’en désolidariser en certaines occasions. Pourquoi faire comme le groupe et ne pas s’écouter si l’on est au bord du surmenage ? Pourquoi ne faire qu’une semaine d’affûtage avant l’objectif principal de l’année si l’on sait que ses pics de forme sont souvent tardifs et autour de 3 semaines de réduction de la charge d’entraînement ?
Il va donc falloir être flexible et tout le temps être dans l’adaptation vis-à-vis des situations et de l’athlète. Être à l’écoute de celui-ci et apprendre à échanger (dans les deux sens). À l’athlète également de construire son modèle de performance et de s’y impliquer et non seulement d’appliquer en ne faisant que s’entraîner avec des œillères.
Comme pour toute profession où l’on créé ou construit, les plus performants seront souvent ceux qui acceptent de faire des erreurs, essayent de les comprendre pour les corriger, dans une recherche de compromis optimal. Même si tu as apprécié nos présentations à Science and Triathlon, si tu appliques tout à la lettre, il n’est pas dit que tu « perfes ». Il faudra sans cesse se remettre en question et gérer un groupe avec des individualités et ne pas construire un groupe unique où tu additionnes les individualités.
D’ailleurs, lors de ta présentation à Science and Triathlon, ton étude démontrait qu’il n’était pas préférable de générer des états de fatigue trop avancés (surmenage fonctionnel avec baisse de performance et fatigue ressentie importante), ou en d’autres termes, exagérer le volume sur une semaine, mais plutôt de favoriser un stress d’entraînement via une surcharge d’entraînement sans surmenage (donc sans baisse de perf) engendre un affûtage avec des meilleurs gains en performance. D’où l’importance pour l’athlète de bien mesurer sa charge…
D’abord pour enfoncer le clou de l’individualisation, il faut noter que nos réponses de performance étaient claires et fortes et que pourtant deux triathlètes avaient connu de beaux pics de performance après un état de surmenage transitoire. Donc la science, l’entraînement et le sport sont rarement d’une clarté éclatante. Mais comme tu l’as dit, il semble qu’amener les athlètes d’endurance dans des états de surmenage fonctionnel (baisse de perf + grosse fatigue) ne soit pas opportun puisqu’ils ne répondaient pas mieux durant l’affûtage que les triathlètes du groupe contrôle (sans augmentation de la charge d’entraînement), à l’inverse des surchargés (donc avec augmentation de la charge, mais sans baisse de perf), qui montraient des gains impressionnants (de l’ordre de 20W en moyenne sur un test PMA). De notre côté nous avons trouvé différents marqueurs physiologiques altérés, cependant il n’est pas possible de dire à un triathlète Olympique de venir au labo régulièrement.
Donc nous avons regardé du côté des outils de terrain fréquemment utilisés par les entraîneurs, à savoir la fréquence cardiaque (FC), la perception de l’effort (de notre côté sur des échelles RPE allant de 6 à 20 soit de très très facile à très très très difficile) et la performance. Sur les séances maximales (au-dessus de SV2) nos athlètes étaient incapables de soutenir la même intensité, leur FC maximale était abaissée autour de 7 battements par minute (bpm) et en fin de session si l’on mesurait la fréquence cardiaque de récupération (soit la différence entre la FC à l’arrêt de l’exercice et celle mesurée post 1’) elle était augmentée de façon importante (les sportifs récupéraient donc plus vite en FC, autour de 8 bpm plus vite !). Quoi de plus simple que de regarder comment répond un athlète sur une séance connue par cœur et réalisée dans les mêmes conditions (notamment météorologiques) ? Et monitorer ses temps ou sa puissance, sa FCmax et sa FC de récupération. Si ça tient, c’est qu’on a respecté les capacités de récupération de l’athlète, la charge de travail n’est pas trop importante. Si ça répond dans le mauvais sens, il est peut-être tant de lever le pied quelques jours et ne pas s’entêter à l’enfoncer dans une fatigue trop importante. L’idéal étant bien entendu de faire le test après une journée off ou aéro, car ce sera moins rigoureux si cela est fait une fois après une séance au carton et une autre fois après un footing à 12 km/h.
Mais il y a plus simple ! La base de l’entraînement moderne du triathlète repose sur la polarisation, donc en majorité sur des séances aéro de faible intensité. Qui voit-on chez les surmenés fonctionnels ? Ils trouvent les séances beaucoup plus pénibles ! Sur des vitesses de course entre 11 et 13 km/h nos triathlètes cotaient 3 points de plus sur l’échelle RPE qu’en période non surmenée. Par exemple, à une vitesse de 13 km/h soit sous le seuil aérobie pour eux, il ressentait l’effort comme « dur » quand il était jugé « léger » en temps normal ! Deux autres marqueurs ressortaient du lot. À nouveau la FC pendant l’effort qui était beaucoup plus basse. Et fait encore plus intéressant, si l’on regardait à nouveau la FC de récupération elle était encore augmentée, mais dans des proportions plus importantes. À 11 km/h la descente de FC était en moyenne plus forte de 16 bpm ! Les chiffres sont éloquents ! Donc pas besoin de venir nous voir au labo tous les jours. Il existe des méthodes de contrôle simples, pratiques et non coûteuses.
Tout entraîneur sait comment son athlète répond sur un 10*400m à VMA où sur un footing plat à 13 km/h (ce sont des exemples, d’autres entraînements sont applicables). Enfin nos études menées sur ce thème nous ont également montré deux marqueurs simples sur le terrain que de notre côté, nous avons mesuré avec du matériel objectif. Le sommeil des triathlètes surmenés fonctionnels montrait une diminution de sa durée, une détérioration de sa qualité et une augmentation des phases de mouvements. Cela était mesuré à l’aide d’actimètres (montres mesurant les mouvements pendant le sommeil). Mais nos athlètes déclaraient d’eux-mêmes la sensation de mal dormir et de ne pas récupérer. Un simple échange régulier entre l’athlète et le coach et/ou un questionnaire de quelques questions pourrait donc suffire (tu parlais de la transversalité entre les sports, les sportifs co remplissent 5 à 10 questions tous les matins). Enfin une grande partie de nos athlètes avaient déclaré des états infectieux (rhumes, gasto, grippes, etc.). Donc en résumé, si vos athlètes ont l’impression de très mal dormir et qu’une partie de votre collectif tombe malade il est peut-être temps de s’interroger.
Il faut donc être à l’écoute de signaux forts et inhabituels renvoyés par vos athlètes et ne pas appliquer tête baissée un plan établi de longue date qui n’est peut-être pas adapté à la situation du moment.
Enfin, prenez en compte les éléments extérieurs à votre pratique sportive d’entraînement. D’autres éléments générateurs de stress surajoutés à l’entraînement peuvent amener les athlètes dans des états de forte fatigue qui ne favoriseront pas à une adaptation optimale à l’entraînement. Combien de sportifs ont essuyé des échecs après des examens ou une déception amoureuse. De nouveau il faut donc être quotidiennement à l’écoute, dialoguer et s’adapter aux situations individuelles et à la personne propre. Et ne pas appliquer des recettes toutes prêtes, sinon tout le monde va vite se lasser et il n’y aura jamais l’étincelle.
Lors d’un récent travail, l’INSEP a proposé un concept très intéressant qui évoque les bienfaits d’un « taper » nutritionnel. Le sleep low semble démontrer que l’on devrait adapter à l’avance notre nutrition à notre prochaine session, peux-tu nous parler de ce concept?
Étude très intéressante qui fait grand bruit dans le monde des sciences du sport. Tout le mérite en revient à ma collègue Laurie-Anne Marquet qui a mené de main de maître cette lourde étude avec le soutien de Christophe et d’un collègue Julien Louis. Pour resituer le concept, un mythe existe depuis des années autour de l’entraînement à la kenyane à savoir que certaines séances d’entraînement sont réalisées de façon très intensive et permettront une importante déplétion en glycogène (une diminution des réserves en sucres). Puis les coureurs des Hauts Plateaux consommeront au repas suivant de cet entraînement, uniquement des sources de protéines, de lipides, de minéraux, de vitamines et d’eau (le plus souvent un bouillon de légumes accompagné d’une viande très grasse). Donc ils ne rechargeront pas leurs réserves en sucres, mais assureront le coup sur les autres nutriments.
S’ensuivra le plus souvent une séance d’intermittent. Il va donc leur falloir produire de l’énergie à partir de la dégradation de glucides (ce qu’il reste en réserve)… et de lipides, phénomène compliqué pour l’athlète occidental. Puis le repas suivant sera le plus généralement à base de glucides : riz, maïs et surtout le plat national l’ugali (sorte de polenta) très riche en glucides.
Voici l’adaptation qu’en ont fait Laurie-Anne et son équipe. Pendant 3 semaines, les 4 premiers jours d’entraînement étaient composés d’une séance de fractionné à SV2 en vélo ou à pied en fin de journée, séance connue pour dépléter environ 50% des réserves en glycogène. Le lendemain matin une séance d’1h de vélo à basse intensité devait être réalisée sans avoir pris de petit déjeuner. Les 3 autres jours de la semaine étaient consacrés à des séances « cools » et non à jeun.
De façon intéressante, ils ont pris le parti de demander à tous les sportifs de consommer la même quantité de protéines, glucides et lipides par jour (mesuré en fonction de leurs besoins individuels avant l’étude). Mais le panel de triathlètes était divisé en deux groupes. Un groupe « low » pour qui le repas du soir suivant l’entraînement fractionné proscrivait tout apport de glucides (mais avec un fort apport de protéines pour éviter de taper dans les muscles) et un groupe « contrôle » qui mangeait normalement en soirée après la séance intensive de fin de journée. Pour tenir le même régime journalier, le groupe « low » devait donc manger une forte proportion de glucides en journée entre l’entraînement du matin et celui de fin de journée. L’entraînement et la nutrition avaient donc été les mêmes pendant les 3 semaines d’entraînement, seule différait la périodisation des apports nutritifs.
Était alors comparée une batterie de tests physiques réalisés avant les 3 semaines d’entraînement et après une semaine d’affûtage subséquente. Sur un test sous-maximal à 70% de PMA les sujets du groupe « low » montraient une amélioration de leur efficacité de pédalage. Traduction : ils consommaient moins pour une même intensité. Sur un test supra-maximal à 150% de leur PMA, les « low » montraient une augmentation de 12% du temps de maintien à cette intensité. Enfin sur une simulation de triathlon Olympique, ces mêmes sujets abaissaient leur temps au 10 km de 2,9%. À l’inverse le groupe contrôle n’avait montré aucune amélioration significative. De façon intéressante ces améliorations de performance étaient couplées avec une diminution de la masse graisseuse, sans modification de la masse musculaire.
Je sais que vous avez aussi avancé le concept de l’entraînement sous contraintes, alors que généralement, on demande aux athlètes de les éviter (sous chaleur, fatigue)…
Amener un métropolitain sous le soleil de la Guadeloupe début avril amène un stress supplémentaire à l’entraînement « classique ». Lui imposer une surcharge d’entraînement est un élément générateur de stress. Demander à un triathlète de réaliser des séances mêmes légères avec des réserves glucidiques abaissées est une contrainte. La difficulté de l’effort n’était pas du tout la même pour une même puissance de pédalage.
Ta question se rapporte principalement à la présentation de Romuald Lepers à Science and Triathlon et aux travaux des Britanniques de l’équipe de Marcora. Ces différents chercheurs ont montré qu’une fatigue mentale imposée avant une épreuve physique d’endurance allait diminuer la capacité d’exercice. En clair, après des exercices cognitifs induisant une fatigue mentale, les sportifs diminuaient leur niveau de performance.
À l’inverse, lorsque l’on supprimait la fatigue mentale pendant l’affûtage, le rebond de performance était plus important pour le groupe mental/physique en comparaison à un groupe contrôle ne réalisant que l’entraînement physique lors de la période expérimentale.
Deux éléments importants. Le premier est que tous ces exemples démontrent une fois de plus que la progression passe par la nouveauté !
Si vous enquillez la même planification toute votre carrière vous allez progresser, puis de moins en moins, pour enfin stagner. Embêtant… Mais à haut niveau il sera nécessaire de toujours progresser. Alors toute forme de nouveauté est louable, c’est à l’entraîneur et à son athlète de faire des choix. Des choix osés et pertinents, mais pas suicidaires. Combien d’athlètes ont « sauté » devant une surcharge d’entraînement trop importante.
Qui n’a pas connu un échec cuisant après avoir couplé révision d’examen et grosse charge d’entraînement. Les résultats de l’étude « low » de Laurie-Anne sont en effet éloquents. Mais, réalisé sur des triathlètes amateurs bien entraînés. Si elle devait être effectuée avec des athlètes élites, une adaptation serait sans doute nécessaire.
En commençant sur une période d’entraînement plus légère que lors d’un camp d’entraînement. En le testant pourquoi pas sur des blocs d’entraînement plus courts. En réalité tout doit reposer sur la connaissance qu’a l’entraîneur de son athlète et sur l’écoute des signaux qu’il renvoie.
En réalité, je ne pourrais pas répondre à cette question de façon précise, il faudrait tester et qui dit que ça ne marcherait pas sur un athlète A, quand le B ne supporterait pas ce stress. De plus, Laurie-Anne contrôlait au millimètre leur alimentation, il ne faudrait donc pas « bricoler » à ce niveau. Idem pour l’entraînement en chaleur présenté par Yann. Ce ne sera pas sans conséquence sur l’organisme, surtout les premiers jours d’adaptation, comme en altitude. Si vous finissez tous vos premiers footings en chaleur à FCmax, la fraicheur ne va pas être au rendez-vous lorsque les séances au carton arriveront.
Cela repose avant tout par une vulgarisation et un échange de notre part. L’entraîneur a souvent autre chose à faire que de réaliser une veille scientifique très prenante. Cela passe par la rencontre, la discussion, l’échange. Sensibiliser les athlètes/entraîneurs à certains résultats scientifiques et réfléchir aux applications possibles dans le sport de haut niveau, car ce n’est pas une science infuse.
Beaucoup attendent que le HRv te dise si le matin du jour J tu auras une médaille ou si en baissant de tel pourcentage ta charge d’entraînement tu auras un rebond de X %, mais ce n’est pas si simple. Nous devons trouver comment rendre meilleurs les athlètes, mais l’application finale, c’est l’entraîneur qui l’aura avec son flair sur le terrain. La science ne doit faire qu’accompagner.
Est-ce que vous ne vivez pas une certaine frustration par le fait que votre savoir a du mal à se rendre écouté… Mais, si je ne me trompe pas, Yann Le Meur et toi, avaient le souci d’être plus accessible et de vulgariser l’information, non ? Étonnamment, cela reste une pratique nouvelle comparativement à ce que l’on peut lire chez les Anglo-Saxons…
Effectivement, il y a certains clivages et difficultés d’échanges entre sport de haut niveau et science du sport. Je ne sais pas si culturel est le terme adapté. En tous les cas il existe une peur de l’autre et dans les deux sens, les deux corps de métier ont pu dans certaines situations en être la source.
Tu cites Yann, mais avant lui les transferts de connaissances et les échanges étaient déjà légion. Christophe a travaillé avec une multitude d’équipes de France (triathlon, athlétisme, boxe, natation synchronisée, natation eau libre, pentathlon moderne, tennis, football, tir, etc.).
Avec déjà cette sensibilité de transfert et d’échanges. Après tu as sans doute raison sur un point, même si je n’étais pas présent, les témoignages me font penser qu’ils étaient moins fréquents, il y a plusieurs années. Les nouvelles générations semblent avoir plus vocation à travailler dans la recherche dans un but d’aider le sport olympique français, quand par le passé le chercheur pouvait avoir plus vocation à travailler pour la recherche dans le sport. Mais je pense que Frank Bignet pourra témoigner de ce que sa longue collaboration avec Christophe a permis comme avancées. Qui mettait un gilet de froid au sein des Équipes de France avant qu’il ne l’introduise aux JO de Pékin ?
Mais tu as aussi un peu raison. Des exemples comme lui, reposent sur des personnes ayant la « fibre ». La culture Anglo-Saxonne est différente de la nôtre sur ce point. Il n’y a qu’à se rendre à UK Sports, à l’Australian Institute ou chez Paul Laursen en Nouvelle-Zélande pour voir la place faite à ces profils de personnes, leur nombre et leurs moyens. Ou faire un tour sur le net pour découvrir des articles vulgarisés à tour de bras et même des radios sur le sujet!
Mais, la France a aussi des choses qu’envient ces pays. Des entraîneurs passionnés. Des athlètes hors du commun. De grands techniciens. Mais les choses bougent. La MOP (mission d’optimisation de la performance) et le CNOSF ont pris le virage en ce sens. Bien entendu les moyens ne sont pas les mêmes et les démarches plus lentes, mais je pense que chaque acteur est conscient de l’intérêt commun. Donc il n’y a pas de raison que ce sujet n’évolue pas dans le bon sens dans les années à venir.
Est-ce que tu voudrais ajouter quelque chose de plus?
D’abord te remercier de m’avoir sollicité pour cet entretien. Nous ne sommes pas d’accord sur tout et de mon point de vue je ne valide pas tous tes articles, mais tu as le souci de laisser chacun donner son avis et d’échanger. De plus tes articles amènent à se questionner (ne jamais être unidirectionnel sur des sujets aussi difficiles que le sport et l’entraînement). Pour ces trois raisons, ta démarche m’intéresse beaucoup, donc merci pour ton travail. J’espère que Rio sera synonyme de médailles françaises et cerise sur le gâteau, si nous pouvions en obtenir une en triathlon.
Anaël publie régulièrement des articles scientifiques vulgarisés, pour le suivre : @AUBRYANAEL