En direct sur Canal plus, un dimanche après midi d’aout, le dossard 007 et la « nuque longue » de l’américain Mark Allen se détachent irrésistiblement en course à pied. Le premier titre de champion du monde de l’histoire est dans la poche du grand favori de la course.
Nous sommes en 1989, le triathlon a un peu plus de 10 ans et, en même temps que son plus grand champion, c’est en Avignon que le triple effort prend définitivement son envol.
Tous les ingrédients sont là pour permettre à ce sport de crever l’écran. De la sueur, du dépassement de soi, de la polyvalence et du défi… Ce côté « Californien » surtout qui donne à ses adeptes un style si particulier en vogue, presque irrésistible pour tous sportif en quête de nouvelles sensations. Cocktail détonnant entre la souffrance et l’ascétisme des marathoniens et le le fun tout en légèreté des surfeurs de la west coast. À cette époque-là, les « personnages » du triathlon sont de véritables icônes et leur look, comme leurs trajectoires aident bien à amplifier ce phénomène. Allen, Scott, Tinley, Pigg, Wells ou Molina sont bien plus que des simples champions, ils représentent un idéal sportif que beaucoup rêvent de toucher du doigt : l’homme de fer, puissant, indestructible, fier et sans concession dans son mode de pratique.
Le triathlon à sa « Mecque », elle se trouve à San Diego. C’est un Eldorado où quiconque peut rêver de partager des sessions avec des membres du « big four ». Se tirer la bourre là bas avec Scott Tinley lors de la « tuesday run », partager une ligne d’eau avec Wolfgang Dittrich c’est un peu vivre un « rêve éveillé » pour tous ceux qui s’y rendent. Et du monde entier, on y afflue avec un idéal dans la tête : celui d’une vie simple faite de sport, de soleil et de rencontres.
Le triathlon a aussi ses « marqueurs » tout au long de la saison. Un peu comme des passages obligés qui attestent de son appartenance à cette étrange culture de sportifs qui courent torse nu dès qu’ils le peuvent, nagent au milieu des vagues et roulent en maillot de bain sur ces drôles de machines aux guidons étranges.
Ainsi, au printemps, le premier rendez-vous se passe en Suisse, à Zofingen… On ne nage pas là bas, mais qu’importe, tout le monde y va pour se mesurer sur un duathlon aussi éprouvant que monstrueux dans sa conception… En effet, la mise en bouche en course à pied ne dure qu’un peu plus de 7 km, mais lorsque vous laissez votre monture après 150 km de vélo, c’est 30 km de chemins qui vont attendent et vous achèvent… Ou vous permettent de démontrer toute votre force, ainsi que la réalité de notre sport : la natation, ça compte, certes, mais tant que cela et les meilleurs du monde finissent toujours par être devant, même en duathlon…
Un peu plus tard, c’est le premier rendez-vous « volcanique » de l’année. À Lanzarote il y a tout d’Hawaii : la chaleur, les vagues, le vent… et même un ingrédient en plus : une montée interminable qui, suivant les années et les caprices d’Éole, peut se transformer en enfer.
En juin, c’est du côté de la promenade des Anglais que cela se passe. Nice, « l’autre course incontournable » de l’année. Elle a son maître incontesté, il est Américain, il s’appelle Mark Allen et est tout simplement imbattable. Elle a son « chouchou » aussi, il se prénomme Yves, est Français et c’est « l’enfant du pays », l’incontestable maître voltigeur de l’arrière-pays niçois sur deux roues…
En juillet, c’est en Allemagne que l’on joue à « triathlonner ». À Roth, c’est le lieu où se joue l’incroyable paradoxe d’un véritable concours de vitesse sur 8 heures. Tout est plat et en ligne droite jusque dans la partie natation qui se nage dans un canal. La seule petite bossette du parcours vélo à Hilpoltstein n’est que le prétexte à la démonstration de la ferveur Allemande dans le domaine des encouragements… Absolument unique ! La légende veut que les distances ne soient pas exactement au rendez-vous, mais, peu importe, pour gagner là-bas, il faut être très fort et très rapide. Supersonique même, car c’est la seule course de l’année ou le vainqueur mettra moins de 8 heures pour boucler son Ironman.
Logique inverse au mois d’ aout… C’est une montagne qui se dresse devant les plus fous ou audacieux qui osent se mesurer à l’Embrunman. Autour du lac de Serre Ponçon, les Alpes sont hautes et Gerald Icaono, le grand pacha de l’épreuve, prend un malin plaisir à chercher absolument toutes les routes les plus difficiles pour corser une course qui l’est déjà tellement en elle même. Personne ne s’en plaint à vrai dire, car finalement, sur l’Embrunman, pour 95% des concurrents, le chrono devient vite anecdotique, être simplement finisher, c’est déjà gagner…
En octobre, le rêve, pour 99% des triahtlètes, se vit par procuration sur une minuscule île du pacifique. C’est loin, c’est dur et c’est beau… Là-bas, tous, même les meilleurs se sont retrouvés un jour ou l’autre à genoux… L’Ile aux volcans gagne à la fin, c’est écrit, c’est comme ça… Et c’est sans doute ce qui donne à notre discipline depuis ses fondements, ce petit plus qui fait peur… et attire en faisant tant rêver…
Il y a presque 30 ans, c’était l’âge d’or du triathlon. Les saisons étaient rythmées de courses mythiques… Les meilleurs d’entre nous avaient des surnoms de personnages de Comics qui construisaient une mythologie où la fantasmatique faisait rêver. Scott Tinley était le « Viking », Dave Scott « The Man », Mark Allen « The Grip », Scott Molina « Terminator », Ken Glah « the Beast from the East »… Mike Pigg promenait sa roue lenticulaire rose « Pigg Power » et martyrisait la terre entière couché sur son bec de selle… Ce sport avait ses héros : on pouvait facilement imaginer le méchant, le gentil, le surdoué, le chevalier blanc, la calculatrice ou l’intello..… Et chaque grande course donnait du liant à cette culture en même temps qu’elle permettait de mettre des bornes et des repères qui rythmaient les saisons…
Triathlète était « le magasine international de l’athlète moderne », et l’arborait fièrement au sommet de toutes ses une mensuelles. Mais c’était tellement vrai : tout était dit dans cet aphorisme. Il n’y avait rien à rajouter pour définir ce que représentait notre sport…
Mais le plus important pour moi : il y avait tant de naïveté, de candeur et de fantaisie jusque dans les plus petites épreuves auxquelles nous avions la chance de participer… En un mot, il y avait de la poésie… partout…
Aujourd’hui, notre discipline à 40 ans, l’âge de raison parait-il (c’est ce qu’on dit, je n’en suis pas si sûr… Je me comprends !). Notre sport est toujours aussi magnifique, et nous comptons quelques sportifs d’exceptions… Pourtant, je ne les vois pas avec le même regard que leurs illustres ainés. Sont-ils différents, ou ai-je simplement vieilli ? Sans doute un peu de deux mais je crois quand même qu’il faudrait au triathlon plus de Jan Frodeno ou d’Alistair Brownlee. En un mot, plus de « personnages emblématiques » avec des gueules et du caractère. J’aimerai aussi que toutes nos grandes épreuves retrouvent leur éclat d’antan, car aujourd’hui, il n’y a plus qu’Hawaii qui me fasse rêver… Presque toutes les autres courses sont devenues, avec la multiplication à outrance des épreuves sur des modèles identiques, fades et anecdotiques… Et même les plus séculaires d’entre elles se trouvent aujourd’hui « noyées dans la masse » de tout ce qui se fait (tout, et parfois n’importe quoi…)
C’est mon côté romantique qui parle… J’essaye malgré tout de toujours garder à l’esprit ce que nous répétait sans cesse Pierre Termes, notre prof d’anthropologie à la fac : « il faut se garder de toute dérive passéiste nostalgique comme il faut faire attention à ne pas partir trop facilement vers des dérives futuristes nihilistes… »
Mon équilibre est fragile, j’ai tendance à pencher souvent du côté de la nostalgie c’est vrai…
Mais oui, je le concède volontiers, pour moi, le triathlon « c’était mieux avant… »
Ce qu’il manque au triathlon, ce qu’il n’a pas su se forger au cours de ces 40 années – à de rares exceptions près (Hawaï) – se sont des courses de légende, des lieu de légende. Le triathlon n’a pas son Ronde, son Paris-Roubaix. Le France Iron Tour est mort. Point de Koppenberg, point de Cipressa… comme tu le dis, en dehors d’Hawaï, c’est morne plaine.
S’il en est ainsi, c’est aussi par ce que le triathlon reste confidentiel… et que c’est, à mon humble avis, bien vain de vouloir lui faire avoir une importance qu’il ne peut avoir… attention, je ne dis pas qu’il ne faut pas continuer à développer le triathlon, mais juste que ce n’est pas du vélo ou de la course à pied. Un LD reste plus compliqué qu’une cyclo, à temps d’effort égal (prix, matos, …).
Et les temps ont bien changé: je ne suis pas sûr que les jeunes ont plus « d’idols » dans leurs sports respectifs, particulièrement dans les sports d’endurance; à mon avis il existe bien des athlètes d’exceptions à chaque génération, mais c’est l’époque du zapping, dès que c’est passé, c’est oublié…
Triste, mais j’aime bien la phrase de Xav: » il faut se garder de toute dérive passéiste nostalgique comme il faut
faire attention à ne pas partir trop facilement vers des dérives
futuristes nihilistes » Il faut vivre avec son temps, l’admettre et montrer l’exemple en regardant le futur, en se rappelant du passé mais en vivant au présent.
Nota: je suis quand m^me aussi bien nostalgique… Xav, tu as oublié Hell on Wheel… 🙂 (http://www.thomas-hellriegel.de/)
Oui Sylvain… J’ai oublié Hell on wheel, Lava Queen, Zack Attack…. et plein d’autres… (Un peu déçue que ta phrase préféré de mon texte soit la seule… qui n’es pas de moi ! 😉 )
l’époque qui m’a fait rêver! Super article, tout y est. Merci