Il y a un mois, excitées par le lancement de la nouvelle saison et les sélections pour le troisième dossard français, on était toutes les deux cramponnées à notre écran pour suivre la WTS d’Abu Dhabi en live. Le départ est donné et très vite on voit 2 athlètes se détacher nettement et prendre la tête de la nage. Et on est carrément impressionnées qu’à ce niveau, un groupe puisse devancer aussi considérablement le reste de l’élite mondiale. Parmi eux, un Français, Aurélien Raphael.
Sérieux?
On est d’autant plus étonnées qu’on l’avait interviewé pour son club (Poissy Triathlon) quelques semaines auparavant. A aucun moment il ne s’était mis en avant, restant très modeste sur ses résultats et prétentions et parlant avec beaucoup d’enthousiasme des petits jeunes qui arrivaient, des GP et de la nouvelle équipe 1 de Poissy. Pour être honnêtes, nous ne l’imaginions pas avec un tel potentiel: on le savait sur le circuit WTS, oui. Mais capable de tenir ainsi la dragée haute au gratin de l’élite mondiale, non.
Les questions se bousculent pour tenter de comprendre.
Aurélien Raphael fait partie intégrante du paysage du triathlon français et international depuis 10 ans. En cadet/junior il rafle les titres de champion d’Europe et champion du monde, devant Vincent Luis et Alistair Brownlee… Pour les JO de Londres il est présélectionné avec Vincent, qui a le même âge. A ce moment ils sont officiellement reconnus comme étant au même niveau.
Pourtant, 4 ans plus tard, Vincent Luis remplit les critères de sélection olympique lors du test event à Rio alors qu’Aurélien en est loin… Il s’est transformé en mercenaire missionné par la fédération pour gagner les précieux points qui permettront à d’autres de porter les couleurs de la France aux Jeux Olympiques. Car si de nombreuses autres fédérations nationales se satisferaient des top 20 en série mondiale qu’Aurélien fréquente régulièrement, ce n’est pas suffisant pour la FFTRI.
Que s’est-il passé en 4 ans pour que l’écart se creuse ainsi? Qu’est-ce qui a changé?
Plusieurs théories… X-Files?
1/ La théorie de l’enfant précoce
C’est bien connu, plus les enfants sont doués, moins ils ont l’impression qu’il faut travailler pour réussir. Et pourtant…
Meilleur que Vincent Luis en junior certes, mais lorsque ce dernier augmente le volume, Aurélien, lui, reste à 25. L’enfant surdoué aurait-il pêché par excès de facilités pour se réveiller sur ses lauriers… un peu tard?
Aujourd’hui pour reprendre le devant de la scène il faudrait qu’Aurélien claque un gros résultat. Il a déjà prouvé qu’il en a les qualités, mais le prix de l’effort est d’autant plus élevé quand on n’a pas payé ses petits acomptes régulièrement. C’est difficile de s’y mettre et puis, à force d’être usé sur les courses pour marquer des points olympiques, a-t-il encore l’opportunité d’arriver frais et au top de ses capacités pour sortir ce résultat hors du commun? L’enfant a grandi. Il n’est pas trop tard pour bien faire. La moyenne d’âge des meilleurs athlètes sur le circuit mondial est de 27 ans. Javier Gomez à 33 ans nous montre que tout athlète peut continuer à progresser s’il a le talent et la volonté.
2/ La théorie du complot
Une fédération sportive c’est aussi de la politique, des élections, des alliances, des ambitions personnelles… Etre soutenu et choisi par sa fédération, c’est avoir la chance d’être inclus dans un projet imaginé par des personnes clefs… Or le changement du positionnement d’Aurélien au sein de l’équipe de France coïncide avec une nouvelle direction au sein de la fédération… On finit souvent par devenir ce que les autres voient en nous. La fédération voit en lui l’homme sur lequel elle compte et non plus l’homme sur lequel elle mise. La politique semble donc être le seul milieu dans lequel Aurélien patauge plus qu’il ne nage… Doit-il se contenter d’espérer que les courants futurs lui soient plus favorables? Ou bien choisir de prendre le contrôle de son destin et faire la démonstration à tous qu’il a le potentiel d’être médaillé?
Le rétablissement et donc le retour des frères Brownlee sur le circuit mondial pourraient lui donner cette chance salvatrice de faire un top 5 en lui permettant de profiter d’une dynamique de course à son avantage. En effet, eux-mêmes nageurs d’exception, ils pourraient s’offrir, ensemble, une échappée et mutualiser leurs efforts à vélo. Quand aujourd’hui son avance solitaire dans l’eau ne lui apporte pas de réel avantage.
Il faut peut-être parfois savoir provoquer le destin…
3/ La théorie de l’homme heureux
Aurélien Raphael est à ne pas en douter un homme heureux. Marié, père d’un petit garçon, entouré d’amis, aimant la vie et les sorties… Il ronronne de bonheur quand on lui voudrait la rage de vaincre. Pelé disait «celui qui pense que la victoire ne compte pas, ne gagnera jamais». Alors quelle place tient encore la victoire aujourd’hui dans sa vie?
La vérité est peut-être ailleurs… ou quelque part, au carrefour de ces 3 théories…
Aurélien Raphael est assurément un triathlète qui a une grande destinée… à condition de trouver la puissance intérieure qui lui fasse découvrir le passage pour y parvenir.