Est-ce que le triathlète (et le sportif en général) aime souffrir?
Est-ce que c’est même une question?
Sur les réseaux sociaux, pour parler de sa dernière grosse séance on hashtag #nopainnogain #trainhardorgohome ou #welovepain. D’ailleurs après des fractionnés on ne dira pas “j’ai eu mal” mais “je me suis fait mal”… Signe que la souffrance, on ne la subit pas, on va la chercher.
Se faire mal donc semble être une composante récurrente dans la vie d’un athlète, et ce aussi bien au niveau amateur que chez les pros.
Mais se faire mal pourquoi? Comment peut-on l’accepter?
La première raison, la raison officielle, pragmatique, c’est que c’est un outil de progression, qui va permettre d’atteindre un objectif situé dans le futur. On choisit de mettre son corps en difficulté pour qu’il se reconstruise plus fort. On accepte la souffrance car petit à petit elle va nous rendre plus résistant, plus rapide.
Répéter la douleur à l’entrainement c’est également la rendre plus familière, savoir que le jour de l’épreuve on peut l’endurer et composer avec elle pour aller au bout de soi-même. Plus tard, avec l’expérience, ça permet de prendre conscience qu’on a les capacités pour être acteur de sa course et ne pas simplement la subir.
Il y a aussi une autre raison, plus personnelle, presque spirituelle. On se fait mal pour se sentir vivant. C’est un moyen de se recentrer sur soi-même, d’être complètement dans le moment: cette sensation de dégager de la puissance, d’aller vite, et en même temps le corps entier se rappelle à nous de façon très primaire – les muscles sont tendus, les poumons brûlent, le coeur explose. C’est aussi une quête, la recherche de ses propres limites, mentales et physiques.
Et si par-dessus ça on ajoute cette base chimique plus ou moins commune à tout le monde avec la sécrétion des endorphines, plus de doute: c’est bon quand ça fait mal.
Et justement, attention. Parce que tout ça peut mener à des comportements excessifs où 1) la souffrance est considérée comme seul vecteur de progression et où 2) elle n’est plus un moyen de mieux se connaître mais de mieux se contrôler. Exemple de dérive: je me dépasse pour être toujours plus mince/musclé.
Et plus encore dans le triathlon que dans les autres sports d’endurance, il y a cette tendance selon laquelle “je bosse = je souffre”. Certains athlètes éprouvent une sorte de fierté liée au fait de se mettre dans le rouge systématiquement, comme s’il fallait renvoyer une image de dur à cuire pour être respectable.
D’ailleurs n’est-ce pas ce phénomène qui est à l’origine de beaucoup d’incompréhension autour de notre sport?
Ce qui nous amène à nous interroger sur la place d’un plaisir plus simple, détaché de toute intensité physique. Ce plaisir bien sûr existe, par petites touches, quand notre obsession du plan d’entrainement ne nous le fait pas perdre de vue. Le plaisir d’être le premier dans le bassin extérieur de 50m avec grand soleil. Le plaisir du petit footing de récup qui remet les idées en place. Le plaisir de découvrir un nouveau parcours vélo. Le plaisir de faire une course dans un endroit mythique. Le plaisir qui se lit de manière si émouvante sur les visages photographiés à l’arrivée. Le plaisir de débriefer d’une séance costaud entre potes autour d’une bière. Allez et même le plaisir de frimer un peu.
Donc au final, retenir uniquement de notre pratique qu’on aime se faire mal c’est un peu un raccourci vite fait. Comme partout il y a des extrêmes, mais en vrai on est plutôt normaux. Ce qu’on aime, c’est vivre pleinement tous ces moments, profiter de chaque instant. Ce n’est pas se faire mal gratuitement, c’est plutôt aller chercher nos limites pour gagner en connaissance et en maitrise de soi… et au passage grappiller quelques précieuses secondes au chrono.
« Toute forme de
connaissance, au bout du compte, est une connaissance de soi-même. »
Bruce Lee, The Lost Interview (1971)