Subjugué par ce qu’il est possible de lire sur les réseaux sociaux, cela fait plusieurs semaines que je voulais écrire cet article. Je peux paraitre prétentieux, mais je n’en reviens pas tant certaines personnes ont des avis tranchés sur les sélections.
J’ai la chance de connaitre plusieurs directeurs techniques nationaux (hors Fftri). Encore hier, l’un d’eux me disait à quel point il détestait sa fonction. Retenir les leçons du passé, savoir transformer des incertitudes en certitudes. Certains oublient que Frank Bignet (actuel DTN et ancien athlète de haut niveau) ne s’est jamais rendu aux Jeux Olympiques malgré une victoire en coupe du monde (Nice – 2003). Il a été l’une des premières victimes d’un exercice de sélection encore trop mal maitrisé. On peut donc imaginer que cette expérience personnelle a renforcé son envie d’être le plus juste et impartial possible au cours de son mandat.
Les décisions d’un DTN sont moins risquées en terme de résultats quand tous les athlètes envisagés performent. À titre d’exemple, les athlètes féminines de la Grande Bretagne ont su répondre présentes au complet. 4 athlètes pour 3 places… Au final, même si Jodie Stimpson reste sur la touche, l’élément d’incertitude quant à leur chance de réussite est quasi nul. Les athlètes ont toutes démontrées qu’elles étaient à leur meilleur niveau. L’équation est simple en terme de gestion du risque, elle reste néanmoins humainement compliquée puisque l’une des ces excellentes athlètes ne participera pas aux Jeux.
La situation de la fédération américaine illustre d’une toute autre manière les problématiques qu’un DTN peut rencontrer. Omniprésente sur les podium en 2015, la situation de cette nation s’est depuis ombragée. Plusieurs options s’offraient à elle pour le choix de la 3e athlète et notamment celle de choisir un domestique à Gwen Jorgensen. Néanmoins la mise en place d’une propagande sur les réseaux sociaux organisée par l’entourage de Katie Zaferes en décidera autrement, n’hésitant pas à avancer qu’une machination était en place… Au final, tout cela est très nébuleux et même si Zaferes a obtenu sélection, il existerait un climat de méfiance où l’esprit d’équipe est déjà très hypothéqué. Normal? Cela n’est justement pas le cas avec des Britanniques qui savent qu’elles ont tout à gagner en travaillant ensemble à vélo.
Revenons aux Français. Pour ma part, je n’ai jamais voulu me prononcer sur ce dossier parce qu’évidemment, on finit toujours par avoir un certain attachement face à ces athlètes. Mon rôle m’impose également d’être à leur écoute mais toujours impartial. Trimes n’est pas un média de propagande. Alimenter les débats, susciter la réflexion par l’information, oui mais imposer une vision, non.
Il me semble important de préciser certains faits puisqu’on entend beaucoup crier au scandale. Il est très facile de parler de favoritisme, sauf que voilà, la commission de sélection est redevable. Elle est sous l’autorité du comité olympique national et surtout, un athlète peut faire appel s’il considère que la décision est injuste.
L’implication des athlètes est maximum dans une course à la sélection olympique, leur entourage les soutient pleinement, passionnément. La non sélection est un coup dur, souvent mieux acceptée par les athlètes, qui connaissent la réalité de leur état de forme et performances de leurs adversaires, que par leur entourage très impliqué émotionnellement.
Refuser de comprendre une sélection vient souvent d’un manque d’informations ou de compréhension du sport de haut niveau.
Voici un exemple parfait. Certains disent que c’est un scandale de ne pas sélectionner le champion de France, Anthony Pujades. Les faits sont très simples, les Français encore en liste couraient au Japon. Performer 7 jours plus tard après une série mondiale distance olympique est peu probable… De plus, il faut toujours relativiser un résultat en fonction de la densité du plateau. La 3e place de Dorian Coninx en série mondiale est nettement plus impressionnante qu’un podium en Grand Prix sachant que les meilleurs athlètes mondiaux ne modifient pas leur planification pour des courses sur les circuits domestiques.
Autre argumentaire: David Hauss, 32 ans, est l’homme des grands rendez-vous, et notre meilleur résultat à ce jour aux Jeux Olympiques (4e à Londres en 2012). Dans son cas, c’est tragique puisqu’effectivement, il y avait encore du temps pour se préparer pour les Jeux Olympiques. Les exigences pour valider sa sélection n’étaient pas si hautes (être mieux classé que le dernier dossard de la huitième nation a en obtenir 3).
Le choix de la fédération de ne pas retenir David repose sur les doutes qu’il réussisse non pas à revenir au niveau mais à dépasser celui-ci pour gagner une médaille. N’oublions pas que la fédération a en sa possession des données physiologiques que nous n’avons pas et à la fin de tout cela, seule la capacité de performance est le facteur qui dicte la décision.
Enfin, au delà de la mauvaise forme de David, il est important de rappeler que Dorian Coninx n’est pas un choix « par défaut ». Il est le seul athlète au monde ayant enchainé titre mondial junior et U23. Et en référence à sa performance à Cape Town (3e), seul Johny Brownlee était plus jeune que lui à son premier podium. Excellent nageur, rouleur généreux et puissant, avec un temps théorique en dessous de 29:10 sur 10 km, il est loin de jouer les figurants au niveau mondial. C’est sur un énorme potentiel, en devenir certes, mais qui pourrait très bien s’exprimer à Rio que mise la fédération.
Certains remettent également en question la sélection de Pierre Le Corre. Discret, bon élève, constant… on pourrait reprocher à l’homme de manquer de panache. Pourtant c’est aussi sur cette régularité que mise la fédération, qui, prudente, ne met pas tous ses oeufs dans le même panier.
La haute performance est cruelle car il y a toujours des déçus. Et c’est aussi cette âpre lutte pour la sélection qui fait des Jeux Olympiques un évènement unique.
Au final, une sélection olympique est une course comme une autre : chacun donne le meilleur de lui même, et veut s’assurer que les règles ont été appliquées pour tous. On ne peut alors qu’accepter la défaite et féliciter les gagnants avant de se remettre au travail pour devenir meilleur et espérer à son tour toucher du doigt l’Olympe.