Trimomètre #14 > Un peu de tribologie, partie 2 : Aérodynamisme

Crédit photo de couverture : sci-sport.com

Sources de cet article :

  • http://www.gribble.org/cycling/power_v_speed.html
  • http://www.velomag.com/trucs-de-pros/aile-ou-la-plume
  • http://www.kreuzotter.de/english/espeed.htm
  • http://www.sci-sport.com/dossiers/002.php
  • https://en.wikipedia.org/wiki/Drag_coefficient
  • https://fr.wikipedia.or/wiki/Variation_de_la_pression_atmosph%C3%A9rique_avec_l’altitude
  • https://fr.wikipedia.org/wiki/Masse_volumique_de_l’air

 

Précédemment, on avait parlé de la force de gravité qui est la principale responsable de la perte de vitesse dans les montées, et de la force de frottement des pneus sur la route, qui est toujours secondaire, mais qui a un son effet, et qui diminue avec la pente.

La force la plus intéressante est celle de traînée, ou force de frottement de l’air. Quasi négligeable en dessous de 25km/h (certaines personnes peuvent donc ranger leurs roues pleines et leur casque aéro), elle augmente exponentiellement avec la vitesse jusqu’à absorber 90% de la puissance fournie par le cycliste. Voilà la fautive, RA :

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Elle dépend donc de la densité de l’air ρ (« rhô »), de la surface frontale exposée du cycliste A, du coefficient d’aérodynamisme CD et de la vitesse du cycliste VC et de la vitesse du vent de face VV.

Densité de l’air

Notre force de traînée est donc proportionnelle à la densité de l’air, qui est le poids de l’air contenu dans 1 m3, en kg/m3, donc. Cette densité de l’air est très très complexe :

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Avec ρ0 la densité de l’air à 0°C au niveau de la mer, T la température en degré Celsius et alt l’altitude. Le petit « e » dans la formule est pour la fonction exponentielle, donc la densité diminue exponentiellement avec l’altitude :

Lieu Altitude ρ (kg/m3) Watts nécessaires pour tenir 40km/h sur le plat (Cycliste + vélo de 82kg)
Niveau de la mer 0 1.20 318.7
Colorado Springs 1840 0.96 264.3
Mexico 2250 0.91 253.0
Camp de base de l’Everest 5154 0.64 191.7

Comme le montre ce tableau (valable à une température de 20°C), lorsqu’on s’élève dans les airs, la densité de l’air diminue, la force de trainée aussi, et donc on va plus vite. Mais d’autres raisons (raréfaction de l’oxygène) font qu’il n’y a pas d’intérêt à tenter un record de l’heure sur la piste du plateau mexicain.

Lorsque la température T augmente, la densité de l’air diminue, et on ressent donc moins la force de frottement de l’air. Cela explique pourquoi on a parfois cette sensation d’être collé à la route lors d’entrainements à 0°C, comparativement à l’été lorsqu’il fait 30°C. Voilà un petit tableau comparatif valable au niveau de la mer :

Température de l’air (°C) ρ (kg/m3) Watts nécessaires pour tenir 40km/h sur le plat (Cycliste + vélo de 82kg)
-10 1.34 350.5
0 1.30 341.4
10 1.25 330.0
20 1.20 318.7
30 1.16 309.6

Pour finir, il y a un autre paramètre qu’on ne voit pas dans la formule car il est caché dans le ρ0, c’est la pression de l’air : si la pression augmente, la densité de l’air aussi. Pour les amateurs de physique, la relation entre la pression et la densité vient de la loi des gaz parfaits (Pression x Volume = constante x Température). Pour les moins physiciens, voilà un dernier tableau ci-dessous (valable à 20°C au niveau de la mer). Donc lorsque la météo est sujette à la pluie (dépression), l’air est moins dense et on va plus vite, bien que si la pluie finit par tomber, la chaussée humide brisera cet effet en augmentant les forces de frottement de la route.

Météo Pression (hPa) ρ (kg/m3) Watts nécessaires pour tenir 40km/h sur le plat (Cycliste + vélo de 82kg)
Anticyclone 1022 1.21 321.0
Normale 1013 1.20 318.7
Dépression 990 1.17 311.9
Ouragan classe 2 970 1.15 307.37

On va plus vite en altitude, oui mais non car il y a moins d’oxygène.

On va plus vite lorsque le temps est à la pluie, sauf s’il pleut pour de bon.

On vous l’avait dit que ça se complique. Disons que les conditions idéales sont : chaud mais sec, dépression atmosphérique mais pas de pluie… Même si on a rarement ces conditions pendant la durée totale d’un Ironman.

Surface

La surface A dans l’équation est simplement la surface frontale du cycliste exposée au vent. Pour mesurer ce paramètre, la méthode old school consiste à prendre en photo le cycliste de face et de calculer la surface directement sur la photo. La surface d’exposition du corps au vent et l’aérodynamisme sont donc deux choses différentes. L’aérodynamisme, comme nous allons le voir plus bas, est une propriété indépendante de la taille de l’objet, et ne dépend que de sa forme.

Cx

Le coefficient de trainé Cx (ou Cd pour drag coefficient) mesure l’aérodynamisme d’un objet. Il est sans unité et est indépendant de la de la taille de l’objet. Plus ce coefficient est petit, plus l’objet est aérodynamique. Ce coefficient permet donc de comparer des objets de tailles différentes, comme dans le graphe ci-dessous :

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Crédit des photos du graphique : sci-sport.com

A ne pas confondre avec le CdA, qui est le coefficient de trainée multiplié par l’aire frontale vue précédemment, et qui est utilisé pour comparer les cyclistes entre eux quant à leur exposition au vent et aérodynamisme en même temps. Le CdA donne en effet une idée plus juste des pertes dues aux frottements de l’air en mesurant les deux paramètres importants que l’athlète peut optimiser (contrairement à la densité de l’air). C’est donc le CdA qui est mesuré par les experts lors des tests.

Certains triathlètes pros ayant réussi à faire descendre leur CdA à 0.22 m2, en supposant que l’aire frontale est d’environ 0.5 m2, cela donnerait un Cx de 0.44. Le graphe au-dessus montre qu’un tel coefficient est exceptionnel.

On estime qu’un cadre de contre-la-montre diminue le Cx de 0.005, et des roues profilées de 45-60mm diminuent le Cx de 0.05. En termes de wattage, le gain se récapitule par le graphe suivant :

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Le coefficient Cx dépend principalement de la forme de l’objet mais aussi du matériau (certains tissus meilleurs que la peau améliorent donc ce coefficient en natation et en vélo).

Vitesse

Pour finir, c’est dans la vitesse que vient le problème de la force de trainée : l’exposant 2 sur la vitesse fait que cette force augmente exponentiellement avec la vitesse du cycliste. Autrement dit, c’est très facile de passer de 20 à 25km/h, mais très difficile de passer de 40 à 45km/h. A chaque fois que la vitesse double, la force de trainée quadruple.

Il faut bien entendu prendre en compte la vitesse du vent (Vv) qui va s’additionner (vent de face) ou se soustraire à la vitesse du cycliste. Comme on peut le voir dans les courbes ci-dessous (pour un cycliste + vélo de 82kg), lorsque le vent est de face, on monte très très vite dans les watts pour maintenir sa vitesse, à cause de ce fameux exposant 2 (les vitesses négative du vent correspondent à un vent de dos). Dans la réalité, on n’a pas un vent continu, mais plutôt des rafales, ce qui fait que ces courbes ne sont que des estimations.

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Puissance

Nous connaissons maintenant les forces qui freinent le cycliste, mais quelle est la relation avec la puissance qui a permis de donner tous les chiffres de cet article ? Tout d’abord, il faut savoir ce qu’est la puissance : C’est une énergie (dépensée par le cycliste ou dissipée par les frottements) par unité de temps. Des joules par seconde, ou communément appelés watts. Le principe de conservation de l’énergie permet d’écrire que :

Puissance fournie par le cycliste = Puissance dissipée par les frottements

Et la magie de la physique, c’est qu’en bidouillant les équations, la puissance peut s’écrire comme le produit d’une vitesse et d’une force. Autrement dit :

Puissance fournie par le cycliste = Force sur le pédalier X Vitesse de rotation du pédalier (c’est ce que mesure un powermeter)

Puissance dissipée par les frottements = Somme des forces qui s’appliquent au cycliste X Vitesse du cycliste.

Précédemment, on avait négligé les forces de frottement dans les roulements du vélo. En fait, ces frottements dissipent 3% de la puissance fournie par le cycliste (moins de 10 watts lors d’un gros effort à 300 watts). A présent, si on les prend en compte, on a :

97% X Puissance fournie par le cycliste = (RA + RR + RG) X VC

Donc finalement, voilà la formule que j’ai utilisée pour calculer tous les watts dans cet article :

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On voit donc que la puissance dissipée par la gravité ou par les pneus est proportionnelle à la vitesse du cycliste, alors que celle dissipée par l’air est proportionnelle à la vitesse du cycliste au cube, ce qui explique pourquoi à partir de certaines vitesses, la force de résistance de l’air est si puissante et absorbe 90% des watts fournis par le cycliste.

Maintenant, grâce à cette formule, on peut tracer les courbes suivantes, qui donnent la puissance en fonction de la vitesse sur différentes pentes, mais aussi la part de puissance dissipée par chacune des forces :

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SUR LE PLAT

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SUR PENTE 2.5%

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SUR PENTE 5%

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SUR PENTE 10%

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Courbes générées avec : http://www.gribble.org/cycling/power_v_speed.html

Conclusion

  • Sur le plat, l’aérodynamisme est primordial car une très grosse partie du wattage est absorbé par la résistance de l’air (jusqu’à 90%), qui augmente exponentiellement avec la vitesse. Sur le plat, la gravité et donc le poids du cycliste ne comptent presque pas (d’où la popularité des roues pleines, plus lourdes mais plus aérodynamiques, sur du plat).
  • Dès que ça commence à grimper (à partir d’une pente de 2.5%), la force de gravité augmente alors que les autres forces diminuent. La gravité devient la force qui freine le plus le cycliste, et l’aérodynamisme ne compte pour rien. Il faut donc s’alléger dans les côtes.
  • En natation, la seule force qui s’applique au nageur est la force de frottement de l’eau, qui est exactement la même qu’ici, sauf que l’on prends la densité de l’eau au lieu de la densité de l’air : 1000kg/m3, presque 1000 fois plus dense, donc une force 1000 fois supérieure à la résistance de l’air (reste néanmoins à déterminer le CdA du nageur). L’avantage, c’est que la densité de l’eau ne change jamais contrairement à celle de l’air.

 

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