Après sa victoire lors de l’Ironman 70.3 Barcelona, Emma Bilham remet ça sur l’Ironman de Nice et termine à une brillante 2e place à son premier essai sur la distance. Notre correspondant suisse, Pierre Eisenhut s’est empressé de se mettre sur le coup pour en savoir plus.
Emma, on ne te connaît pas tellement, est-ce que tu peux te présenter? Quel est ton parcours de triathlète ?
Je m’appelle Emma, j’ai 29ans. J’habite au pays de la fondue, du chocolat et des montagnes, et j’ai la double nationalité suisse et britannique.
Je suis nageuse « de formation », même si à l’époque je nageais la brasse presque plus vite que le crawl… Après avoir démarré ma carrière de triathlète en junior, j’ai tout plaqué pour étudier. Mais le virus tri m’a rattrapé et j’ai repris sérieusement la compétition vers 25ans. J’ai passé par toutes les distances pour être sûre d’avoir fait le tour de la planète triathlon ! Après quelques bons résultats en 2015 sur le circuit ETU comme en 70.3, cela fait trois mois que je me consacre à plein temps au triathlon longue distance sous la houlette de Brett Sutton ; j’ai enfin l’impression d’avoir trouvé ma voie!
Nice était ton premier Ironman. Pourquoi avoir choisi cette course?
Même si mon niveau est assez homogène sur les trois disciplines, je ne suis pas une rouleuse et je perds vite ma concentration sur les parcours plats. Il me fallait de la bosse si je voulais être compétitive sur le vélo!
Je crois que mon coach (Brett Sutton) voulait attendre Zurich au mois de juillet pour me lancer sur le long, mais le dénivelé de Nice me convenait beaucoup mieux… On a pris la décision de tenter le coup à trois semaines de l’évènement, c’était finalement très bien puisque je n’ai pas eu le temps d’y réfléchir.
Comment as-tu vécu l’avant-course? Pas trop stressée par ce qui t’attendait?
J’ai débarqué à Nice dans l’innocence la plus totale. Je n’avais roulé qu’une fois de ma vie plus de 180km, jamais couru plus de 30, et ne parlons même pas de nutrition. Du coup, je n’avais aucune peur non plus, car je ne réalisais pas du tout dans quoi je me lançais. On me disait « tu verras, un full ce n’est pas juste deux fois un half… ». J’écoutais, mais je ne mesurais pas l’ampleur du challenge ; évidemment que j’étais nerveuse, que j’avais la boule au ventre… mais je n’avais pas le respect de l’épreuve que j’aurais peut-être pu ou dû avoir.
Je me disais également que oui, je m’étais préparée pour faire du half. Mais si 2500 amateurs pouvaient franchir la ligne en s’entrainant 1/3 de ce que je fais, j’allais quand même pouvoir arriver au bout !
Et tu es plutôt bien arrivée au bout… Comment s’est donc déroulé ce plongeon dans l’inconnu ?
La natation s’est passée sans accroc particulier. Je n’avais pas la vitesse pour suivre les deux filles devant et je me suis un peu énervée, car celle derrière moi me chatouillait les pieds tous les trois mouvements, mais puisque je n’ai pas grand souvenir de la partie aquatique, c’est que ce n’était pas catastrophique.
J’ai fait une transition express et j’ai sauté sur mon vélo, départ !! C’est en reprenant la leader Leanda Cave après 20km seulement que j’ai pensé pour la première fois qu’avec mon exubérance de débutante, j’en avais peut-être fait un peu trop… Effectivement ça n’a pas manqué. Je ne me suis pas excité en voyant passer Tine Deckers, elle roulait bien plus fort que moi et je n’avais aucun intérêt à essayer de suivre. Mais j’ai gardé un (trop) bon rythme sur le col de l’Ecre et j’ai réalisé au sommet que la journée ne faisait que commencer. Je me sentais déjà vide et il me restait 100 bornes !
Mes gels me dégoûtaient déjà, les gros braquets ne passaient plus… Et c’est aussi là qu’on se rend compte que Nice, ça grimpe, mais ça pardonne aussi beaucoup. Je ne m’en serais sans doute pas sortie sur un autre parcours, mais là je pouvais limiter la casse sur les faux-plats descendants, récupérer dans les virages, et au final ne pas perdre trop de temps.
Les 20 derniers kilomètres m’ont paru interminables. Me forçant à rester le nez dans le guidon, je jurais dans ma tête et refusais de penser au marathon qui m’attendait. Je n’avais aucune idée si j’allais pouvoir courir, mais à ce moment-là je n’avais qu’une envie : poser ce fichu vélo !
Le bruit de la foule sur la Promenade des Anglais était assourdissant. Je me suis accordé une petite pause WC dans le parc de transition et j’ai un souvenir assez marquant des trente secondes que j’ai vécues comme dans une bulle, assise dans cette petite cabine surchauffée, le casque encore sur la tête, le bruit des supporters résonant à l’intérieur et les photographes et caméras qui attendaient que j’émerge.
Une intervalle-minute de solitude qui m’a aussi permis de me ressaisir psychologiquement. Plus le temps de tergiverser, une bénévole m’a aspergé de crème solaire pendant que j’enfilais mes chaussettes et je me suis lancée sur mon premier marathon. Et là, surprise, les jambes ont répondu présentes !
J’ai freiné un peu mon enthousiasme au départ en me régulant sur ma montre, puis j’ai fait ce que j’ai appris à faire à l’entraînement ces derniers mois : trouver un rythme et mettre le corps sur pilote automatique ; éteindre un moment la tête pour que les jambes puissent faire leur job. J’imagine bien que cela ne se passe pas aussi bien à chaque course, qu’il y a des fois où la douleur ne permet pas d’être aussi détendu. Mais je n’avais pas de pression – Deckers était trop loin devant, les autres trop loin derrière pour me stresser – et le mur que j’attendais n’est jamais arrivé. Quels sentiments sur les derniers kilomètres ! 9h28 pour mon premier long, un temps et un podium totalement inespéré et surtout des émotions indescriptibles !
Un énorme merci à mes supporters de choc sur le parcours, ils ont été incroyables et ces émotions sont bien plus fortes lorsqu’elles sont partagées!
Beaucoup d’émotions… de leçons tirées aussi?
Tout d’abord j’ai eu la confirmation qu’il ne faut pas avoir peur de l’inconnu, il mord rarement. Et croire en soi permet de passer beaucoup d’obstacles, même s’ils sont hauts…
Plus concrètement, j’ai appris que 30 secondes dans une cabine en plastique ne sont jamais perdues, elles peuvent être bénéfiques autant pour la tête que pour le ventre. Et pour finir, j’imagine que je gèrerai mieux la partie vélo sur le prochain, et que j’emporterai quelque chose d’intéressant à manger en route pour m’encourager un peu…
Il y aura donc un prochain IM ? Quelle planification pour la saison suite à ce résultat?
Je n’en ai pas encore discuté en détail avec mon coach. Je pense que je referai un long dans le courant du mois de juillet, mais on décidera ça dans la semaine qui vient. Visiblement les courses-surprises me conviennent assez bien!
Crédit photo: Maurice Schaer (Nice) et Finisherpix (Barcelone).