Voilà 3 semaines que la course olympique qu’on annonçait si mythique a eu lieu. Mythique, elle l’a été sans aucun doute, avec une victoire écrasante d’Alistair Brownlee, deux frères pour la 2e fois ensemble sur un podium olympique, et une 3e place arrachée par un outsider. En revanche, elle ne l’a nullement été dans le sens espéré et clamé avec force par les média et l’encadrement français, à savoir la première médaille d’or française olympique.
Depuis la déception du 18 aout, aucune analyse, aucune déclaration, pas de modification de staff, pas de changement organisationnel.
Et pourtant, quand on sait que la vie d’une fédération tourne autour de l’échéance olympique, on ne peut que s’interroger sur l’attitude discrète et fuyante de la FFTri quand on aurait apprécié des confessions, un bilan, les leçons retenues pour Tokyo.
Résumé
La fédération avait annoncé la couleur : Vincent Luis vient chercher l’or à Rio !
Au final, il a fait une 7e place, forcément décevante même si cela reste une place de finaliste.
Dans son témoignage à chaud après la course on pouvait évidemment sentir toute la déception de Vincent, qui a su cependant dignement saluer la performance de ses adversaires : « Ce sont les gars les plus costauds en terme de triathlon qui sont devant moi. Les autres ont été meilleurs que moi, c’est tout ».
Cependant, concernant les causes de son résultat décevant, le Français a du mal à trouver une explication : « Je ne sais pas trop ce qu’il s’est passé. Je n’ai pas le sentiment d’avoir pris un coup de chaud, certains me parlent de ça. Je n’en suis pas persuadé… l’objectif ici, c’était de ramener une médaille, le contrat il n’est pas rempli… J’ai essayé de rien lâcher »
Alors, avec du recul, les questions s’enchainent : que s’est il réellement passé ? La préparation était-elle adaptée ? Le calendrier de course était-il pertinent ? Quid de la stratégie ? Et surtout : quelles leçons tirer de cet échec ?
Voici quelques pistes de réflexion.
1/ Une course peut se perdre en natation.
Tout le monde connait ce dicton. Murray en a encore vérifié la pertinence après ses excellents temps en vélo et en cap, mais après une natation “passable », il échoue aux pieds du podium, un goût amer dans la bouche de se voir, entre autres, vaincu par celui qui avait refusé d’être son domestique et qui est un très bon nageur: Henri Schoeman.
Les frères Brownlee sont, tout comme Vincent, parmi les éléments forts en natation. Pourtant en ce début de course, les deux frères ne prendront pas la tête de la nage. Ils se laisseront guider par Varga.
Dans une course olympique, où la gestion optimale de chaque discipline, de chaque effort compte, il est certain que se reposer sur l’un des meilleurs nageurs du circuit, et se concentrer uniquement sur sa nage, est une économie d’énergie précieuse pour la suite.
Vincent, à l’autre bout de la ligne de départ, n’a pu compter que sur lui-même pour s’orienter, s’inquiéter d’être dans le bon rythme, de prendre la meilleure trajectoire… Autant de petites déperditions d’énergie… un premier petit grain de sable dans la machine.
Pourtant, il aurait pu en être différemment. La France aurait pu faire le choix de faire seconder le champion par un autre nageur exceptionnel du circuit WTS tel qu’Aurelien Raphael (entre autres 5ème sur la WTS de Leeds après une échappée avec les frères Brownlee…) afin de s’assurer que Vincent puisse lui aussi profiter d’un allié de circonstance. Pierre et Dorian n’étaient pas en mesure de jouer ce rôle. Si la méthode de domestique est désormais à proscrire parce qu’elle prive des athlètes méritants de jouer leur carte, la France n’a pas su créer des ponts avec les autres nations, à la différence des Brownlee.
Cela aurait pu être une première petite économie d’énergie, un premier petit surplus de confiance et l’assurance d’avoir au moins deux Français dans le groupe de tête à vélo…
Car le résultat de Vincent a aussi créé une certaine amertume dans la communauté face au projet de la FFTri à Rio : les autres Français, manquant le premier groupe savaient dès lors qu’ils perdaient la maitrise de leur sort puisqu’ils n’avaient, selon les consignes de course reçues, plus le droit de rouler pour ramener leur groupe sur la tête. La consigne était claire: « Tous pour un : Vincent Luis. »
2/ L’étrange calendrier de courses de Vincent Luis.
Le 3e mondial de 2015 a évité de se mesurer à des adversaires du niveau de ceux qui allaient prendre le départ aux Jeux Olympiques.
Plusieurs fois annoncé au départ de WTS et de coupes du monde, Luis se retirera à chaque fois à la dernière minute des listes de départ… Pourquoi ? Parce qu’il n’était pas au niveau ? Pour entretenir le mystère sur ses chronos ? Au même titre que « ce qui est juste n’a pas besoin d’argument », l’athlète qui est en forme n’a pas besoin de se cacher de ses adversaires. A l’image d’Alistair Brownlee, qui, revenant d’une opération à la cheville, a annoncé la couleur en gagnant haut la main à Leeds et à Stockholm.
Pour Vincent Luis, pas de blessure signalée, pas d’excuse, pas d’explication sur ces évitements répétés.
Sans entrer dans les fantasmes et spéculations, il est évident et légitime de s’interroger sur l’étrange saison de Vincent Luis.
Après un stage en Guadeloupe, il terminera second lors des championnats de France de cross. La communauté, nous y compris, s’est emballée sur cette performance en y voyant un indice important de progrès pour sa course à pied en triathlon.
Vincent a pris part et gagné un Grand Prix et les championnats d’Europe. Ces courses étaient au format Sprint et non D.O. (distance olympique) et n’avaient pas la densité d’une WTS. Au royaume des aveugles les borgnes sont rois…
Cependant, quelques rares athlètes, comme Simon Lessing, préfèraient passer une saison sans course afin de se préparer exclusivement pour les Jeux Olympiques… cela reste néanmoins une formule peu usitée et qui est loin de toujours porter ses fruits (Simon Lessing en fit l’amère expérience). Vincent Luis en est une nouvelle preuve.
D’autre part, le critère de validation de performance en 2016 demandait aux athlètes d’être mieux classé que le dernier athlète de la dernière nation à avoir obtenu trois spots. Vincent validait ce point même sans courir en 2016. Alors que son état de forme moyen au mois de mai a coûté sa sélection à David Hauss… N’aurait-il pas dû exister un critère similaire pour Vincent Luis et une obligation de participer à une course de classe mondiale afin de juger de son niveau de forme ? Il y a sans doute là matière à réflexion pour la fédération qui s’est exclusivement basée sur le suivi de ses entrainements et tests… Méthode au final peu probante.
3/ Un triathlon se gagne en course a pied… mais pas toujours.
Vincent Luis a tout misé sur l’amélioration de sa course à pied pour décrocher l’or olympique.
Il est vrai qu’avec l’autorisation du drafting, la majorité des courses se résume souvent à un vélo d’attente et une explication à pied. Le but était donc de se rapprocher des temps des meilleurs coureurs, dont les frères Brownlee.
Comme on l’a déjà mentionné, il existe plusieurs triathlètes (autres que Mola et Murray) qui ont des temps en course à pied (à sec) équivalents à ceux des Brownlee. Nos meilleurs Français ont déjà enregistré des temps en dessous de 29:10 sur 10km route alors que Alistair Brownlee, en plein focus sur sa course à pied et en recherche de faire un minima avait fait 28:39. Compte tenu des différences en termes d’environnement, ce n’est pas un monde qui les sépare.
L’écart si significatif (1’12” entre Alistair et Vincent) constaté sur le résultat final de l’épreuve olympique s’explique avant tout par la capacité à produire un temps à pied après l’effort fourni en vélo. Lorsque les Brownlee démarrent leur course à pied, leur réservoir est tout simplement moins vide et leur permet d’imposer un rythme que Vincent ne pourra tenir que 1500m, explosant dès la 1re relance du parcours.
Pourtant, l’enchainement vélo/course à pied est l’une des difficultés et particularités du triathlon, nullement nouvelle. La parfaite connaissance du parcours grâce au test event ainsi que l’importance de l’évènement aurait du permettre au staff français de préparer correctement leur athlète à encaisser et surmonter l’obstacle.
A l’inverse, avant la course, dans ce même staff, on a nettement minimisé l’importance de la bosse et de la descente en vélo, jugées trop courtes et pas assez sévères pour faire une quelconque différence… Avec du recul, force est de constater que c’était non seulement une erreur de jugement mais également un manque de vision stratégique en comparaison avec les Britanniques.
Car les Brownlee ont assurément réussi à transformer cette difficulté en un avantage sur leurs adversaires. Johnny imprimant un rythme infernal dans chacune des 8 montées, Alistair poussant le troupeau à l’effort sur le plat. Tour après tour, ils ont usé leurs adversaires dans le pack et creusé l’écart avec les poursuivants. Ces deux la étaient incontestablement les meneurs du débat cycliste. Comme dans les arts martiaux, ils ont su s’approprier et utiliser la force de leurs concurrents à leur avantage : « Qui peut, essaye de nous suivre (et risque de ne pas avoir les jambes pour la course à pied), qui ne peut pas est déjà battu » semble avoir été leur leitmotiv.
La puissance des Brownlee réside également dans leur entente, leur stratégie et leur capacité à prendre le leadership dans un groupe.
Car si on observe les temps à vélo, les Brownlee n’ont pas seulement maintenu l’écart entre le pack de tête et le pack de chasse, ils ont littéralement imposé leur rythme de course, poussant leurs alliés pendant le vélo dans leurs derniers retranchements pour mieux les faire céder à pied.
Là encore, cela aurait pu ne pas être une fatalité. En donnant un frère d’armes à Vincent Luis et en assurant deux Français dans le groupe de tête grâce à une natation construite, les Français auraient pu élaborer une stratégie vélo commune, et contrebalancer le pressing anglais.
4/ Tous pour un… mais pas un pour tous.
Au début de la course à pied, Vincent Luis nous a fait vibrer en osant accrocher les frères Brownlee. A ce moment là de la course, on y croit encore. On pense à toutes ces interviews pendant lesquelles Vincent nous a dit que sa force c’était à pied, qu’il se rapprochait du meilleur temps d’Alistair.
On pense à sa facilité à gagner le cross. On pense à Farouk, entraineur des meilleurs coureurs… Et on s’attend au pire à un sprint mythique dans la dernière ligne droite, qu’on imagine évidemment remporté par notre Français. Normal puisque comme il l’a beaucoup répété « le médaillé d’argent c’est le premier des perdants »…
Pourtant très vite, Vincent semble mal à l’aise : son bandeau le gène, il essaye de repositionner ses lunettes… autant de petits signes qui nous feraient dire chez n’importe qui d’autre que ça sent le moisi… Mais c’est Vincent Luis, alors on ne perd pas espoir tout de suite, d’autant qu’Alistair s’agite pour demander énergiquement de l’eau…
Et pourtant à la première relance Vincent est « déposé ». Les Britanniques prennent le large avec une facilité qui nous laisse pantois…
Là encore, certains points auraient peut-être pu être réfléchis différemment.
Les Brownlee ont pris le temps de s’acclimater. Ils sont arrivés au Brésil deux semaines avant la course et se sont préparés à l’effort sous des contraintes climatiques particulières. Leur dernière grosse séance à pied, ils l’ont faite au Brésil. La détermination d’Alistair à réclamer de l’eau s’explique d’ailleurs sans doute plus par le fait qu’il se connaisse bien, il sait que c’est le moment où il doit s’hydrater. Il est dans le préventif.
Les Français eux, arrivés 5 jours avant, se reposent, sortent peu pour ne pas prendre le soleil…
Au delà de la préparation, de l’acclimatation qui auraient pu être améliorées, on peut se demander si la mauvaise gestion de sa course à pied est due à un manque de lucidité ou une réaction d’orgueil.
En effet, un athlète de ce niveau se connait mieux que quiconque. Quand il accroche les Brownlee au départ de la course a pied, il doit savoir qu’il est au-dessus de son rythme et que s’il persiste il risque de tout perdre.
D’autre part, Rio n’était pas sa première expérience olympique, il savait à quoi s’attendre et disait s’y être préparé, comme cela a d’ailleurs été répété à plusieurs reprises dans les média. Ce qui amène également à s’interroger sur l’impact de la médiatisation qui a entouré Vincent et de l’explosion de sa popularité cette année. N’a-t-il pas été victime de sa propre communication, n’ayant d’autre choix que de s’entêter alors même qu’il allait au crash ?
Car au final il n’aura couru que 12% de la course à pied avec les Brownlee et se fera même rattraper par des athlètes du groupe de chasse. Tous pour un… mais pas un pour tous. Il aurait été plus héroïque de gérer pour gagner la médaille de bronze.
5/ Pour gagner : l’aspect psychologique.
« Si je gagne la médaille d’or, j’arrête tout », « ça fait quatre ans que je fais un peu mal à mon corps tous les jours ». Dans ces propos, on sent le poids mais surtout la lassitude des efforts répétés à l’entrainement. On est loin des paroles des Brownlee, Hauss ou Vidal qui ont fréquemment appuyé leur attachement pour l’entrainement et le processus.
Assuré dès 2015 de sa sélection, Vincent n’est-il pas parti trop vite et trop fort dans sa préparation, s’essoufflant et s’épuisant avant l’heure, contrairement à l’image affichée devant les média ? Le 18 août semblait être devenu la date de fin de calvaire pour Vincent, l’objectif était de tenir jusque là. N’est-il pas arrivé à Rio un peu usé, avec l’envie entamée ? Et surtout, n’est-ce pas le rôle de la fédération de ressentir l’engagement émotionnel de ses athlètes ?
La FFTri a en effet beaucoup communiqué sur la liberté qu’elle laissait à chaque athlète de gérer son entrainement, de choisir son coach. Force est de constater que pour une échéance telle que les JO il faut un cadre, un cadre dans lequel l’athlète peut s’exprimer mais avec néanmoins une attention de tous les jours, presque une intimité, pour savoir comment il se sent et où il se situe.
Dans son langage, Vincent exprimait déjà une souffrance, en opposition avec l’apparente assurance affichée devant les média.
Bilan fédéral
Le bilan fédéral n’a d’ailleurs toujours pas été dressé mais il est de toutes façons plus que mitigé. Déjà sur un test qui était là pour poser les critères c’est un double échec : celui qui avait fait 2 fait 7 et celui qui avait fait 4 n’est plus jugé apte par cette même fédération. Les 2 autres athlètes sélectionnés le sont sur pure discrétion du DTN et au final ne se sont distingués sur aucune des 3 disciplines et n’ont été d’aucun soutien pour celui sur lequel reposait le poids de la médaille.
En terme de résultats, la France s’en sort nettement moins bien qu’il y a 4 ans. Non seulement elle n’a toujours pas de médaille mais en plus elle a régressé (pour rappel Hauss et Vidal avaient fait 4 et 5, Luis 11).
Dans l’accompagnement de l’athlète et la stratégie de course, quelque chose a profondément échoué.
Attention donc de ne pas se tromper de débat. Vincent Luis est indéniablement un athlète hors normes, qui dès son retour des JO de Londres savait exactement ce qu’il voulait et a absolument tout mis en œuvre pour y parvenir. Au-delà de la gestion de sa course et de l’enjeu, on salue l’immense athlète qu’il est. Ses qualités exceptionnelles, alliées à la communication exacerbée de la fédération, ont fait qu’on avait toutes les raisons d’y croire.
Mais l’année qui était censée aider à sa préparation l’a écrasé. D’une certaine façon Vincent a été l’instrument de la FFTri : instrument médiatique, instrument pour valoriser une politique de la performance, instrument pour faire connaitre notre sport.
Vincent est forcément le premier puni. Pour un athlète ne pas remplir son objectif doit être extrêmement douloureux. On le comprend et on le respecte.
Par contre, on est étonné que la FFTri ne soit pas plus communicante dans sa réflexion et dans l’annonce de changements (staff ? méthodologie ? suivi ? sélection ?). Tout comme les athlètes (à l’image de la lettre de David Hauss), on attend toujours une analyse, une introspection et des actions pour l’avenir.
La machine fédérale s’est enrayée mais continue dans le même ronronnement anormal comme si tout allait bien.
« On ne sait jamais ce que le passé nous réserve ». Sauf si on l’analyse.
(Article écrit conjointement avec Quitterie Lanta et Cynthia Treger)