Petit cours d’histoire
Au début du siècle dernier, les personnes souffrantes ou fragiles devaient absolument rester au repos en particulier dans des sanatoriums. Bouger le moins possible, prendre du soleil et rester au chaud, telles étaient les secrets de la bonne santé…
Avoir une pratique physique « sans but », c’est à dire, sans être associé à un travail, était perçu comme quelque chose d’inutile et étrange. Les quelques personnes qui s’adonnaient à tout cela étaient montrées du doigt et passaient en général pour des hurluberlus… Seule la préparation physique militaire avait un sens… Quitte à se fortifier, autant que cela serve à défendre la patrie… Et à cette époque trouble, Dieu sait que cela était primordial…
Ce n’est que grâce à quelques penseurs un peu pris pour des « fous » au départ que, petit à petit, les vertus des pratiques physiques sont devenues incontournables. Georges Hebert et sa méthode naturelle sera un des premiers à tenter de conceptualiser tout cela. Ce bon vieux Georges prendra le contre-pied des croyances de l’époque en proposera des exercices physiques et au-delà une hygiène de vie tendant à renforcer le corps sans crainte du froid et de la dureté des efforts. En t-shirt même en hiver, les hébertistes n’hésitaient pas à se laver au gant de crin et à l’eau froide pour revigorer leur enveloppe… Le terme « méthode naturelle » n’était pas anodin… il fallait se rapprocher de l’état de nature pour être plus fort et plus résistant !
Nous étions dans la 1re moitié du vingtième siècle… mais les médecins, dépositaires jusqu’alors de la bonne santé de tous, n’entendaient pas se laisser faire et abandonner leur part du gâteau aussi facilement. Ainsi, l’histoire du vingtième siècle sera un peu celle d’une lutte de pouvoir entre les médecins et les théoriciens et autres éducateurs. Les premiers cherchant à garder le contrôle en préconisant ce qui est bon ou pas, et les seconds, voulant sans cesse s’émanciper du dictat médical.
L’avènement de la civilisation dite « de loisir » et le développement des sports modernes, changeront quelque peu la donne à partir des années soixante : on ne pratiquera plus des exercices physiques seulement pour être en meilleure santé ou pour faire « de bons soldats », mais avant tout parce que cela est source de plaisir et d’accomplissement… Le sport, « qui se suffit à lui-même » en quelque sorte…
Et les sportifs comme les éducateurs de se retrouver enfin « presque totalement libres » des hygiénistes…
Début des années soixante-dix… Les babas cool prennent le contrôle de la musique, de l’art, de la culture et… des pratiques sportives ! I C’est la recherche de la liberté, le refus des contraintes, la quête de la jouissance… Tout est permis : il n’y a plus de limite ni de règle… Les sports californiens explosent… Et, à côté des plages de surfeurs, on commence à entendre parler de triathlon…
À San Diego, les triathlètes se baladent en maillot de bain et ont les cheveux longs. Ils s’entrainent un peu « à l’arrache », ne sont pas vraiment raisonnables. Ainsi, les premières épreuves sont de véritables défis…
Pendant que les surfeurs recherchent les plus grosses vagues avec un engagement dépassant l’entendement, les triathlètes se lancent dans des épreuves démentielles… Hawaii, dont la 1re édition aura lieu au printemps 1978, symbolise tout cela : un truc fou… impossible… donc fun !
On est bien loin du contrôle et de la recherche de santé par le sport… C’est exactement l’inverse en vérité. Ou plus exactement, les pratiquants n’ont que faire de leur santé, ce qu’ils veulent c’est du défit, du dépassement de soi et des sensations fortes ! Ce qui les fait « triper », c’est de sortir des conventions et de leurs carcans…
Le triathlon doit rester du triathlon…
Mon préambule était un peu long… En fait, je ne voulais pas « dézinguer » comme cela une initiative aussi louable soit-elle, sans prendre le temps d’étayer mon point de vue… J’avais trop peur d’être mal compris…
Cette initiative qui me fait frémir, vous l’aurez deviné, c’est : « le coaching triathlon santé. »
Ça parait bête à dire comme cela, mais mon point de vue engage un vrai positionnement philosophique… et même identitaire en sens premier du terme…
Je sais que je ne vais pas faire l’unanimité, mais tant pis : je pense qu’à trop vouloir simplifier, notre discipline risque de se perdre… C’est ma première réserve au regard du dernier projet fédéral.
Ce sport n’est pas né pour aider nos gouvernements à lutter contre l’obésité ou la sédentarité. Le triathlon n’a pas de vocation hygiéniste : c’est et cela doit rester fun et subversif… et surtout, ne pas devenir une batterie d’exercices psychomoteurs validés par des médecins… Imaginez un peu un type qui a des problèmes de santé et qui va chez le docteur. Celui-ci lui dit : « et bien, il y a un truc super, faites du triathlon ! » Où est la réelle motivation de la personne et son intérêt pour le sens profond de ce qu’est notre sport ? Là c’est le culturaliste qui parle : aucun ! C’est vers une pratique complètement inconsistante qu’il va se précipiter… Et ce qui me choque réellement, c’est la justification donnée par notre fédération lorsqu’elle s’appuie sur le fait que des études démontrent que nager, faire du vélo et courir sont trois des pratiques sportives les plus efficaces pour améliorer sa condition physique… Honnêtement, on s’en fou ! Ce n’est pas ça qui m’a fait me mettre à ce sport… On est à des années-lumière de ce qui fait raison d’être du triathlon !
Je suis peiné parce que je me dis que nos responsables se sont précipités sur des évidences… qui n’en sont pas en réalité, au point de passer complètement à côté de l’essentiel… Un truc qui ressemblerait à cela : « Natation, vélo, course à pied… Bon sang, mais c’est bien sûr ! Le triathlon !!! Nous sommes les mieux placés ! Fonçons, il y a un créneau à prendre, ça va intéresser plein de gens, c’est dans l’air du temps : la santé tout ça… Jackpot pour nous !».
Sauf qu’affirmer cela, c’est ne pas savoir ce que c’est que de faire du triathlon… C’est ignorer son histoire, c’est faire fi de sa dimension culturelle… C’est le renier en définitive…
Notre sport n’est pas de la natation, du vélo et de la course à pied… Notre sport : C’EST LE TRIATHLON et ce qui lui donne du sens, et en fait une pratique à part entière dans laquelle nous prenons un plaisir fou, est justement que cela n’est pas simplement de la natation, du vélo et de la course à pied…
Bien sûr, on est en 2016, j’imagine qu’il est normal aujourd’hui pour un sport « fédéré » de contrôler la bonne santé de ses pratiquants… Je m’y plie d’ailleurs « bon gré mal gré » chaque année afin d’obtenir cette satanée licence… Mais à mon avis, c’est une erreur fondamentale de mettre cet aspect en avant pour attirer les pratiquants vers notre discipline. Chaque année, mon plaisir d’entraineur, c’est de voir « débarquer » tous azimuts, des personnes avec des profils de toutes sortes qui se trouvent attirés par mon sport parce que cela les titille et les intrigue ! Au bout de quelques mois, certains arrêtent et d’autres « se piquent au jeu ». Et ceux-là, en général, se développent et améliorent leur condition physique naturellement non pas parce qu’ils cherchent à maigrir ou à se bouger, mais parce qu’ils pratiquent et ont du plaisir à le faire ! Avec cette initiative, la fédération confond le but et les moyens : Le but doit rester le triathlon dans son aspect autotélique, en aucun cas, il ne doit devenir « le moyen de… ».
Attention, tout le monde peut essayer, quelque soit le niveau physique, au contraire même ! Mon propos n’est pas élitiste au sens « athlétique du terme ». L’un des enjeux de notre discipline est d’ailleurs d’arriver à respecter sa complexité tout en la rendant accessible ! Compliqué… Mais tellement passionnant au quotidien pour nous autres éducateurs !
Non, mon propos est d’essayer de faire preuve d’un peu plus d’exigence lorsque l’on cherche à didactiser les contenus pour nos licenciés… Et la didactique, ça commence toujours par une connaissance aigüe d’une pratique, d’une discipline ou d’un art en particulier au travers de son histoire…
Soyons eidétiques !
Revenons à l’essentiel… Et tant pis si dans l’aventure, nous perdons quelques pratiquants en route ! À titre personnel, je considère que c’est le prix à payer et que ce ne sera pas une grande perte pour notre communauté… De toute façon, ils seraient partis tôt ou tard…
Car le triathlon c’est la liberté, l’anticonformisme, le défi, la variété et le fun jusqu’au bout des ongles. Il faut gratter dans cette direction : vers où va notre sport… réellement et naturellement… Les multienchainements, swim / run, épreuves off road, les relais… Tout cela semble prendre du sens aujourd’hui, il faut s’y intéresser et ne pas perdre du temps et de l’énergie dans des combats qui ne sont pas les nôtres.
Notre sport, c’est un sport de glisse au même titre que le surf ou le skate… il a réussi la prouesse de se construire culturellement ainsi à partir de disciplines qui étaient séculaires et, disons-le, devenues quelque peu poussiéreuses : la natation, le cyclisme et la course…
Être triathlète c’est rechercher l’adrénaline directe en intraveineuse…
Mais comme tous les sports de glisse, cela nécessite du travail et une grande rigueur. Il faut du temps avant de vraiment s’éclater. Ça n’est pas « évident ». Mais, de mon point de vue, ça n’est pas un problème, bien au contraire, la richesse de notre sport est là justement !
Chaque année, on voit des apprentis surfeurs sur les plages l’été… Combien prennent leur pied dans le tube ? Combien sont encore là en novembre en période de grandes marrées ? Combien de skateurs se cassent les genoux et les dents avant de passer correctement des tricks ? J’envie les surfeurs et j’ai eu un skate-board jadis… J’ai « décroché »… tant pis pour moi… Tant mieux pour ceux qui ont persévéré, ils ne me pleurent sans doute pas ! ( et ils ont bien raison !)
Les pratiques digitales sont comme ça : l’espoir de toucher du doigt la jouissance, fait que l’on va accepter de s’engager « à cours perdu » dans la pratique ou alors abandonner… Pas besoin d’être poussé par quelque chose d’extérieur, de toute façon, ça ne marcherait pas sur le long terme… C’est une drogue…
Le triathlon en est l’exemple parfait : c’est difficile, parfois douloureux, mais le plaisir qui en découle est presque proportionnel à l’exigence que sa pratique nécessite… Et je peux vous dire qu’il n’y pas forcément de relation entre le degré d’implication et le niveau physique… J’en suis la preuve vivante !
Notre sport, ce n’est pas « de l’eau tiède », c’est un truc de « camé », de mec pas trop raisonnable et un peu barré… Ne tuons pas cet aspect-là, car nous deviendrions un sport terne, ennuyeux et banal…
Faites moi confiance messieurs de la fédération : toute personne qui se pique au jeu du triathlon améliore sa santé durablement… Pas besoin de chercher je ne sais quels protocole ou exercices… Juste s’assurer qu’il peut pratiquer sans danger : pour cela, un bon vieux Ruffier-Dickson devrait largement faire l’affaire…
Et ce qui est magique, c’est que lorsque qu’on fait quelque chose de façon désintéressée, tout le reste devient secondaire… Cela s’appelle la motivation intrinsèque. Ça tombe bien, il se trouve que c’est la seule garantie d’un attachement pérenne à un sport, un art ou un loisir…
Alors, non, de grâce, on ne fait pas du triathlon comme on va à la salle de fitness pour suer et se regarder dans une glace… L’épaisseur culturelle de notre beau sport vaut mieux que cela…
Pratiquez le sport / triathlon pour être en bonne santé… À trop regarder la chose par le petit bout de la lorgnette, on risque d’en oublier l’essentiel dans ce domaine : la dimension culturelle de la santé d’un individu et son importance cruciale dans son équilibre.
Un « sportif » aussi sec et affûté soit-il… n’est en pas « bonne santé » si sa pratique est désincarnée et si elle le lobotomise…
À méditer.