Le sac est bouclé, je pense n’avoir rien oublié, il est temps de dormir ou tout au moins d’essayer… À force de tourner et virer dans mon lit, je finis par sombrer enfin.
Après plusieurs heures de route et un peu de « jardinage » à la fin, j’arrive enfin à destination. Sur la parking, j’aperçois quelques têtes connues… Des « potes », des « moins potes » (souvent, ceux-là sont devant moi à l’arrivée, allez savoir pourquoi !). Tout le monde à la banane… Je les trouve tous vachement affûtés…
J’ai des papillons dans le ventre : le lieu est superbe, le temps magnifique… Ça met presque la pression, il va falloir être à la hauteur de l’évènement. Étrangement, je me sens tout petit et un peu faiblard tout à coup !
Pas d’attente aux dossards, je jette un coup d’oeil à la start-list et calcule me place « théorique ». Au jeu des pronostics, je constitue aussi le futur podium…
La reconnaissance et l’échauffement font du bien… Mon corps est un peu comme ces vieilles locomotives à vapeur : la pression et le stress se dispersent avec la lente et progressive mise en route de la machine. Il est alors temps d’aller « toucher l’eau », elle est un peu fraiche, mais tellement claire qu’on pourrait y boire directement dedans. En levant les yeux, tout autour, c’est la grandeur des sommets qui domine. La reconnaissance du parcours a livré un verdict sans appel : c’est à la montagne avant tout que nous allons nous mesurer aujourd’hui… Elle sera le juge de paix et c’est sur ses pentes que vont se créer les écarts…
À peine plus de deux cents au départ, chacun à suffisamment de place dans cette aire de transition à taille humaine. J’ai pu tranquillement arranger mes affaires comme bon me semblait et étendre une grande serviette devant mon emplacement. Elle sera mon repaire tout à l’heure lorsque j’arriverai dans le parc à vélo à T1, « un peu dans le gaz » à l’issue du premier acte…
Je parcours au moins à dix reprises les trajets sortis de l’eau / vélo et vélo / sortie du parc… et je mets, boucle la jugulaire et enlève mon casque autant de fois ! Avant de mettre ma combinaison et de partir vers la plage pour le départ, je vérifie la position de chacune de mes affaires au millimètre près. C’est l’ensemble de ces petits rituels qui me permettent de rentrer « pour de bon » dans la course.
Le départ natation est large, il n’y aura pas de bagarre ou si peu… peut être aux passages des bouées. C’est le niveau et les qualités intrinsèques qui feront la différence dans l’eau, naturellement… tout comme en vélo : pas de triche, pas de drafting, les plus forts se détacheront ou reviendront dans le jeu « à la pédale » avant que tout ne se décide enfin en course à pied pour déterminer la hiérarchie du jour.
À l’arrivée, le ravitaillement sera copieux, il fera bon s’y attarder pour parler et reparler encore de la journée avec mes « meilleures ennemies ».
La natation ne faisait pas exactement la distance… Certains diront qu’elle était trop longue et d’autre l’inverse, impossible de savoir, mais peu importe ! En vélo, c’était superbe, un parcours technique et varié… Bien dur ! « Ouai… mais quand même un peu dangereux par endroit dans les descentes… » Eh oui, le triathlète adore les parcours bucoliques, mais aimerait y voir partout le plus bel enrobé… Vous avez dit exigent ? 😉
Il manquera peut-être une zone d’épongeage ou deux en course à pied… Juste au moment où c’est dur et où on se rend compte qu’on a sans doute un peu négligé les ravitos et l’hydratation dans notre précipitation cycliste…
Comme d’habitude, je me montrerais un peu déçu… J’aurai largement pu faire mieux à tel ou tel endroit… en faisant plutôt comme ceci ou comme cela… Mais tout cela ne sera qu’une façade, un peu comme un jeu de rôle : celui d’apparaître toujours comme quelqu’un d’insatisfait… Peut-être que c’est cela qui permet d’avancer en définitive ? Quatre-vingt-dix pour cent de mes « collègues » sont comme moi, ça n’est sans doute pas un hasard… Si le résultat final sera un peu moins bon que celui que j’avais calculé / espéré avant la course, ma prédiction du podium s’avèrera exacte, comme souvent !
Le retour au parc pour récupérer mon tas d’affaires « dans tous les sens » sera une énième occasion de refaire la course avec mes voisins de l’aire de transition… Le temps écoulé depuis l’arrivée aura permis à mon cerveau de mettre en place quelques mécanismes de défense pour mon ego… essentiellement basé sur ma mémoire qui a une fâcheuse tendance à s’altérer, associé une bonne dose de mauvaise foi : c’est vrai, je n’étais pas vraiment bien préparé pour cette course… elle n’était pas un objectif… (Tu parles… j’y pense depuis des mois !)
Mais au fond de moi, comme tous mes camarades de jeu, au moment de reprendre la route et malgré le long retour qui m’attend, je serais le plus heureux des hommes…
Juste l’image du bonheur simple d’un être reconnaissant d’avoir pu pratiquer une fois encore sa passion dans un cadre magnifique pour une poignée d’euros…
Le choc est brutal : c’est en sursaut que j’ouvre les yeux au bruit strident de ce satané réveil… Il m’arrache à Morphée et mes fantasmes et autres délires triathlétiques… Ceux d’un paradis perdu que j’ai connus jadis et que je ne retrouverais sans doute jamais plus. Un temps où tout le monde prenait le même départ, ou le terme « groupe d’âge » n’existait pas, ou il ne fallait pas s’inscrire six mois avant une course sous peine qu’elle soit « sold out », ou mon vélo pouvait se ranger au côté des meilleurs d’entre nous, où les parcs à vélos regorgeaient de trouvailles et guidons plus biscornus les uns que les autres, ou les épreuves coutaient 15 francs, ou les athlètes arboraient des fringues floues et avaient un look improbable…
J’avais les cheveux long et blond… Ce matin, devant la glace de ma salle de bain, je me trouve soudain un teint bien terreux, quelques cheveux blancs ça et là sur les tempes et le regard un peu fatigué…
J’ai vieilli… Le triathlon, lui, a changé… C’est la vie…
Tant pis…
En photo : Danilo Palmucci. Incroyable athlète qui m’a inspiré dans mes jeunes années…