Z3R0D a récemment fait les manchettes en devenant le fournisseur officiel de la fédération Françaises de triathlon. Derrière tout cela se cache l’histoire de deux frères et une marque en constante évolution. On s’est entretenu avec Pierre Dorez, pour en savoir plus.
C’est déjà loin… mais tu es un ancien champion de France junior (2001), 6e mondial en espoir en 2004, tu étais destiné au haut niveau et puis…
Et puis… des blessures, la poursuite de mes études (DEUG de Sciences Eco, un Bachelor en International Business et un Master à Montpellier Business School)… et aussi des athlètes qui étaient plus valeureux que moi. Après je pense que j’ai raté quelque chose en restant sur le circuit ITU alors que j’avais clairement un profil destiné au LD.
En 2005 j’ai été atteint d’un cancer, ce qui m’a mis hors circuit de ma passion et de mes études pendant quelques mois. À la suite de cet épisode, j’ai fait une belle saison en 2006 (3 podiums dont 1 victoire en Coupes d’Europe ITU), puis au lieu de ‘suivre les plans’ que je m’étais fixé à long terme dans ma vie, j’ai préféré ne plus attendre et en 2007 j’ai eu un petit garçon et j’ai lancé la marque Z3R0D, et j’ai stoppé complètement le triathlon.
Mais comment s’est créée cette idée de lancer Zerod avec ton frère?
J’ai découvert le triathlon en 1996, j’avais alors 15 ans et je venais d’un background ‘multisport’. C’était à Loriol, la ville natale d’Olivier Marceau. Je suis arrivé là-bas, et quand j’ai vu ces vélos avec roues bâton carbone, ces athlètes bronzés et bien fit, portant les dernières Oakley et Nike, l’ambiance un peu ‘frime’ au premier abord, mais en fait vraiment décontractée, j’ai eu un coup de foudre et je me suis dit, OK ce sport semble dément ! Et ce jour-là ce qui m’a frappé c’est l’absence de marque textile dédiée à ce sport.
En parallèle, je suivais mon père qui faisait beaucoup de planche à voile à l’époque, et les similitudes entre le windsurf et le triathlon m’ont interpellé : l’aspect très communautaire des pratiquants de ces sports avec déjà des codes vestimentaires et un langage spécifique, le côté hyper engagé, hyper passionné, l’importance donnée au matériel technique, les gens qui voyagent pour leur sport et en font un véritable lifestyle.
Autant on trouvait avait beaucoup de marques de textile funboard, qu’il n’y avait rien en triathlon. Je me suis dit : OK les triathlètes ont besoin d’une marque qui leur est propre et qui incarne leur lifestyle ! Quelques marques étaient disponibles en import, telles que Scott Tinley ou De Soto Sport, mais c’était en VPC (vente par correspondance, les lecteurs de moins de 25 ans ne comprendront même pas ce que c’est!) et assez compliqué. Donc à partir de 16 ans je commençais à dessiner, à penser à des concepts techniques, des noms de marques, mais sans vraiment me douter que je me lancerai un jour.
Au fil des années, plusieurs marques sont arrivées en France ou se sont lancées (Orca, Kiwami…), mais à chaque fois je me disais : ‘Wow c’est super, cela montre qu’il y a un marché, qu’il y a de l’intérêt, et je suis sûr que nous pouvons apporter quelque chose de différent’.
Les choses se sont concrétisées avec mes études, au cours desquelles j’ai consacré 2006 et 2007 à travailler sur mon projet et Z3R0D a été lancée en 2007, en y dédiant toutes les économies que j’avais pu mettre de côté grâce au triathlon. Je venais d’être diplômé de Montpellier Business School, et mon frère Frédéric y entrait. De ce fait, tous les soirs après les cours il venait m’aider à la maison. On a commencé dans une chambre d’étudiant !
Mais même si l’idée était là, comment expliques-tu que la marque a aussi rapidement décollé? Est-ce que cela est dû à ton passé et tes liens d’amitié avec les athlètes…
Non, un athlète professionnel ne porte pas une tenue pour faire plaisir à un ami. Quand on fait du triathlon, quand on est pro, on veut juste avoir le meilleur équipement possible. Mais c’est vrai que cela a beaucoup aidé la marque à ses débuts. Une anecdote que peu de gens connaissent : nous sommes en avril 2008, à quelques mois des JO de Pékin. Mon téléphone sonne avec comme indicatif +49 (un numéro allemand donc), je décroche et là : ‘Salut Pierre, c’est Jan Frodeno’.
À l’époque Jan n’était pas encore la star telle qu’on la connaît aujourd’hui. Bref, il m’explique que les tenues des JO prévues par ASICS Allemagne ne lui donnent pas satisfaction, qu’il a entendu parler de nos produits et qu’il souhaite essayer.
Nous lui envoyons des échantillons, ASICS Allemagne sous la pression de Jan nous achète les tenues pour toute l’équipe, et… Frodo remporte les Jeux !! Un sentiment incroyable de voir les produits que l’on a conçus remporter la course la plus prestigieuse du Monde. Et cela s’est reproduit ensuite à Londres et Rio. Maintenant cap sur Tokyo !
D’ailleurs, as-tu l’impression que ton passé d’athlète change ton approche en termes de sponsoring, avec ce sentiment de croire dans l’éclosion d’un athlète…
Complètement. Maintenant que je suis ‘de l’autre côté’, je comprends mieux les prérogatives des marques. En outre les athlètes ne se rendent pas compte à quel point les sociétés sont sollicitées. À titre d’exemple Z3R0D reçoit environ 400 demandes de sponsoring par an, émanant d’athlètes, d’organisations, d’association.
C’est parfois frustrant, car nous souhaiterions supporter plus de projets, mais ces budgets ne sont pas un tonneau des Danaïdes ! Et même apporter une réponse personnalisée à chaque demande est difficile.
Trop d’athlètes ont une approche ‘one way’ d’un partenariat : ‘j’ai besoin de ci, de ça et occultent complètement ce qu’ils vont pouvoir apporter à une marque. Au final, les bons dossiers se comptent sur les doigts d’une main.
Il est important pour un athlète/ une orga qui réalise une demande de partenariat d’expliciter ce qu’il va apporter à la marque, en quoi sa candidature se démarque de celle des autres, que le fond soit aussi solide que la forme, et que les choses soient bien présentées sous la forme d’un ‘partenariat’ dont l’étymologie sous-tend ‘objectif commun’ et synergies. Une bonne base d’articulation de dossier peut être : 1. ‘voici ce que je peux apporter à votre marque, et les engagements que je peux prendre’ 2. ‘voici ce que j’attends de la marque’ 3. ‘voici notre objectif commun’ (i.e. vous/moi/nous)
Les grosses sociétés (Specialized/2XU/Oakley etc…) définissent un budget marketing/communication annuel, qui va comprendre un budget sponsoring. En général il s’agit d’un pourcentage de chiffre d’affaires, bien souvent autour de 10%, mais cela peut monter jusqu’à 20-30% pour les marques à très forte notoriété (pour le budget global marketing, donc le sponsoring tombera à 1-3%).
Pour les petites sociétés comme Z3R0D c’est très différent, les marques vont être plus attentives à leurs dépenses, et celles-ci seront toujours arbitrées en mettant dans la balance d’autres choix de dépenses plus ‘rationnelles’ : par exemple embaucher ou investir en R&D plutôt que de dépenser un budget sur une organisation ou un athlète. Les fruits de ces investissements plus raisonnables seront plus profitables à long terme, mais surtout tangibles, alors que mesurer le retour sur investissement d’un partenariat est quasi-impossible, surtout dans un petit sport. Raison pour laquelle une demande de partenariat en triathlon doit mettre en évidence une ‘win-win situation’.
Mais tout cela ne vous pas empêcher d’imposer votre tenue comme un classique sur le circuit… et pas mal copiée non, est-ce que cela vous dérange?
C’est le moins que l’on puisse dire… Au début cela nous dérangeait. À présent nous préférons nous concentrer sur notre travail et ne pas nous soucier du manque de créativité de certains fournisseurs.
À titre de marque et en tant que pratiquants, ce que nous souhaitons avant tout pour le triathlon, ce sont les avancées techniques et technologiques qui lui donnent de l’élan et permettent de faire avancer et évoluer la pratique. Z3R0D, ce sont des produits et une marque, mais c’est aussi et surtout une philosophie de vie, dans le quotidien de l’entreprise, ses interactions avec le public et l’image qu’elle véhicule. Z3R0 Drafting ce n’est pas seulement l’attitude à adopter en course, c’est aussi celle que nous suivons en nous efforçant d’être à l’initiative avant-gardiste de produits aboutis et performants. C’est vers ce type de produits que nous voulons tendre, à la croisée des tendances et des innovations.
D’ailleurs, on a un peu l’impression que la tenue pour ITU est un peu figé dans le temps et qu’il n’y a plus d’évolution technique. Est-ce que l’on fait erreur?
Oui et non. La difficulté dans une tenue de triathlon, c’est de maximiser le confort et la performance, sous contrainte de 3 sports différents et 2 transitions. En sachant que la notion de confort reste une donnée subjective, et que la mesure de performance de façon scientifique reste délicate. Mais c’est un sacré challenge pour la R&D, en sachant que par-dessus ça se pose le souci de l’esthétique et d’avoir une ‘belle’ tenue !
Au final, au gré des années nous avons développé plusieurs prototypes et testé beaucoup de choses des matières, mais surtout au niveau des techniques de confection (tissage en 3d, assemblage thermocollé). Ainsi sur l’Olympiade de Londres nous avons testé avec les Britanniques de nouveaux produits, mais ceux-ci ont préféré conserver la tenue portée sur les 3 années précédentes. Nous espérons pouvoir développer de belles nouveautés avec l’Équipe de France.
Ironiquement, on a aussi l’impression que certaines fédérations (ITU) ne donnent pas beaucoup d’importances à un produit de qualité… non?
Oui c’est vrai. Mais personne n’est complètement dupe non plus des intérêts que peuvent avoir certaines fédérations ! Ce serait trop beau pour les athlètes si ces intérêts se résumaient à la qualité des produits qu’ils sont ensuite amenés à porter sur leurs courses ! Les intérêts financiers que les fédérations trouvent dans certains partenariats peuvent se faire au détriment de la qualité des produits fournis, comme dans tous les sports.
Cela semble totalement opposé à la longue distance où les attentes semblent très grandes en ce moment…
Oui, mais attention encore une fois aux coups marketing. Sur LD il y a aussi une réglementation beaucoup plus souple qui permet d’être plus innovant tant dans le style que dans la fonction. Par exemple en ITU : zipper interdit sur le devant, manches interdites, très grandes limitations dans les marquages. On ne peut pas faire ce que l’on veut.
As-tu aussi l’impression qu’il y a beaucoup de mauvais gout en triathlon? Symptôme homme sandwich!
On ne peut pas discuter les goûts et couleurs. Mais je suis plutôt partisan d’une tenue sobre avec un nombre réduit de partenaires.
Avoir de nombreux sponsors sur une même tenue réduit la visibilité de chaque partenaire, au final on ne voit plus rien. Les partenaires n’ont pas ‘forcément’ besoin d’apparaître sur la tenue non plus.
Un bon exemple à ce titre c’est la communication réalisée par Stimium avec Pierre Le Corre : ce sponsor majeur de Pierre n’apparaissait pas sur sa tenue de course cette année, mais ils ont réalisé de super shootings vidéos et photos avec Pierre (cette fois-ci avec des tenues spéciales Stimium), des rencontres avec les utilisateurs, une excellente utilisation de contenu online.
Preuve qu’on peut communiquer de façon très efficace sans apparaître sur 15cm2 de tenue de course.
Récemment, vous avez fait la manchette en devenant l’équipementier de la FFtri, j’imagine que c’est une grande fierté pour vous… Cela devait faire des années que vous en rêviez non?
En 2004 au Championnat du monde u23 je termine 6e ex aequo avec Laurent VIDAL. C’est depuis ce jour que nous avons rêvé d’aller aux JO. Le soir de la course, j’ai échangé ma veste France Adidas avec celle de Will Clarke, une Orca GBR que j’ai toujours avec moi. Au final Lolo est allé briller aux JO, moi j’ai poursuivi une autre voie, mais être devenu partenaire de la BTF sur l’Olympiade de Rio et maintenant de la FFTri pour celle de Tokyo est un petit coup d’œil de la vie qui me rappelle qu’avec du travail le rêve est à la portée de chacun.
Avec Frédéric nous sommes très contents pour toute l’équipe Z3R0D qui a œuvré dur ces dernières années. C’est une belle récompense pour nous tous. Voir une médaille à Tokyo sera un bel accomplissement. Nous faisons aussi le pari que la France remportera l’organisation des JO 2024 avec la candidature de Paris, en étant déjà partenaire de la FFTri cela nous mettra un pied à l’étrier pour la suite.
Mais dans les faits, vous étiez déjà dernière…
Oui, nous réalisions déjà les tenues de l’équipe de France pour Adidas depuis plusieurs années (ainsi que pour d’autres fédérations et d’autres grands équipementiers). Pour les athlètes le produit utilisé en course est le même.
Quelle est la signification de cette signature pour vous? Est-ce que l’on peut s’attendre à voir des nouvelles initiatives émergées…
Clairement. Nous souhaitons aider au développement du triathlon en France, et notamment à l’accroissement de la participation de nos compatriotes sur les épreuves à l’étranger. Certaines nations se déplacent en très grand nombre sur les différents Championnats AG, et sur les Ironman (le Mexique, la grande Bretagne sont en cela des exemples). En France nous sommes à la traîne pour ça.
Un site web dédié sera créé, dans le but de simplifier tout le process de commande pour les Age Groupers, et dégager la FFTri de toute gestion logistique. La collection France 2017/2018 est magnifique et nous espérons qu’elle plaira au plus grand nombre, l’offre sera plus large que ce qui était proposé avec Adidas jusqu’à présent.
Ceux qui te suivent sur Facebook le savent déjà. Tu es devenu un grand adepte du CrossFit, est-ce une avenue possible pour Zerod?
J’adore ce sport qui présente pas mal de similarités avec le triathlon, même si à d’autres égards il s’en éloigne fortement, et j’ai beaucoup d’idées pour du textile dédié au CrossFit oui !
Quand je considère ce marché et l’offre actuelle, je me revois 10 ans en arrière avec Z3R0D : j’y vois beaucoup d’opportunités dans la mesure où de nombreux besoins d’athlètes ne sont pas satisfaits, la présence de très grosses marques internationales, et d’une multitude de marques locales, la possibilité pour une marque challenger de faire sa place.
Mais Z3R0D restera toujours une marque dédiée aux passionnés de triathlon. Pour le moment, tout ça est dans un coin de ma tête, c’est tout !
À quoi faut-il s’attendre dans l’avenir pour vous?
2017 va être une belle année pour la marque : nous allons fêter ses 10 ans en mai. À cette occasion-là, nous réservons de belles surprises pour les fans de Z3R0D. Nous allons également lancer une toute nouvelle version de notre site web dans les semaines à venir. Et la collection capsule Ravenman marche très fort.
Est-ce que tu parviens toujours à t’entraîner, comment fais-tu pour gérer tout ça de front ?
Comme toi Alex je suis un adepte du multi-tasking, et j’essaie de profiter de tous les petits temps morts pour avancer sur certains dossiers de façon rapide. La technologie permet d’accroître la productivité en ce sens. Je travaille aussi beaucoup les week-ends, mais mon ‘secret’, c’est de ne jamais avoir eu et ne pas avoir de TV chez moi.
J’essaie de rester focus sur ce que j’ai à faire. J’adore m’entraîner, plus encore que lorsque j’étais ‘athlète’ et j’ai complètement revu mon rapport au sport, en m’affranchissant de tous plans d’entraînement et de ce que j’estimais être des ‘contraintes’. Et c’est aussi très important pour moi de tester, tester et retester tous nos produits, voir comment ceux-ci vieillissent dans le temps, envisager des pistes d’amélioration. Enfin les sorties longues à pied ou en vélo sont autant de moments privilégiés de réflexion et d’introspection professionnelle, j’adore ces moments-là.
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