Sur un plan personnel, je dois avouer que je n’aimais pas Jean-Luc Brassard tout simplement parce qu’il avait battu Edgar Grospiron lors des Jeux olympiques de Lillehammer en 1994 en ski acrobatique. Si dans certains cas, le titre de champion olympique permet à une personne d’obtenir un statut éternel, Jean-Luc Brassard a su garder le flambeau allumé et partager son expérience à d’autres athlètes en devenant chef de mission pour le comité olympique canadien.
Mais, la sport canadien fait face à un paradoxe devenu impossible à ignorer. Alors que les athlètes montent sur les podiums mondiaux dans de nombreuses disciplines, et que le Canada souhaite devenir la première nation en sport d’hiver aux prochains JO, les disciplines olympiques à la télévision canadienne n’a jamais été aussi faible.
Face à cette situation, Jean Luc Brassard a récemment lancé un crie du coeur afin de changer une situation qui persiste déjà depuis trop longtemps. Puisque ces préoccupations rejoignent celle de Trimes, on a sauté sur l’occasion afin de débattre avec lui sur la situation actuelle.
Dominick Gauthier (olympien ski acrobatique/coach/B2ten) et toi, vous êtes selon moi, les deux personnages les plus actifs et préoccupés par l’avenir et le sort des athlètes canadiens dans leur cheminement olympique, c’est presque ironique parce que venant du ski de bosses, on vous voyait pourtant comme une discipline de rebelles et de déjantés! Finalement, vous êtes très impliqués dans la politique sportive, non?
Étant compétiteur, nous avions beaucoup de latitude, notre équipe était en surnombre, et complètement disproportionnée quant au ratio nombre d’athlètes/budget. Nous avons beaucoup déboursé, avons été témoin d’injustices (Dom en sait quelque chose!) Mais aussi nous avons essayé de changer des choses étape par étape, surtout avec les médias, entre autres à essayer de faire connaitre notre sport. C’était l’avantage d’être un « nouveau » sport. Peut être ce passé nous suit encore!
Mais, comment cette vocation s’est imposée à toi?
Ce n’est pas une vocation, en fait ce qui me surprend le plus, c’est que personne ne fait rien, ou alors très peu! Nous, ça fait 20 ans qu’on veut que ça change! Mais rien n’a changé!
Alors quand j’en ai ras le bol, ça sort ! Il faut par contre que ce soit cohérent, expliqué, que ça fasse du sens, et que ce soit basé sur du concret.
Après plusieurs olympiades, lorsque tu as décidé de quitter le comité olympique canadien, un aspect m’avait marqué, tu avais révélé que la fédération de triathlon était en pleine difficulté financière causée par des coupures importantes et que le comité olympique ne faisait absolument rien, avais-tu conscience que même dans le milieu, et même maintenant, si le personnel a changé, cela n’a jamais été évoqué.
J’en suis renversé, estomaqué ! Je me rappelle très bien l’entrevue d’Éric Miles, alors nouveau chef au bureau de Montréal a l’émission de Michel C Auger à Radio Canada le midi, qui répondait à la question de l’animateur qui lui demandait pourquoi triathlon Canada était si mal au point alors que le COC était riche, ce dernier a répondu que ce n’était pas vrai que le triathlon n’était en difficulté! (J’avais dit ce fait à l’animateur lors d’une entrevue précédente) j’étais en fusil, et je le suis encore contre lui, et j’ai ce vilain défaut que quand je n’aime plus, je n’aime plus pour longtemps!
D’ailleurs, même si les athlètes profitent toujours du programme de sport Canada et du fond Next génération, selon les bruits de couloirs, Own the podium aurait décidé de ne plus financer le triathlon… (Own the podium est un programme dont la mission est d’investir dans les sports qui démontrent un potentiel à médaille).
Je suis certainement déçu du comité olympique, et de « Own the podium ». Le Comité olympique canadien, malgré le nom canadien, c’est une entreprise privée qui ne doit de compte à aucun Canadien! La richesse du COC s’est un peu forgée en brillant comme leader du sport au pays, attirant de nombreux commanditaires. Le COC est riche, et les fédérations vont au gré des résultats olympiques et des volontés de « À nous le podium ».
Own the podium, organisme bien géré, mais au mandat douteux, soit le droit de vie ou de mort sur de nombreux sports, et du coup, de nombreux athlètes! Une carrière sportive, ce n’est pas un cycle olympique, c’est l’histoire d’une vie. Lorsque le 8 de pointe en aviron au jeux de Rio fut coupé de moitié pour en faire deux embarcations de quatre de façon à avoir deux médailles olympiques plutôt qu’une, ce fut certainement bien triste! Les athlètes y ont laissé leurs carrière, ceux qui ont pris cette décision ne vivent qu’avec la déception d’un mauvais choix.
Mais au final, les athlètes doivent aussi performer pour obtenir du financement, a quel point ils peuvent se dire victime?
Prendre part à une compétition avec le couteau sur la gorge n’est certainement pas la meilleure façon de s’épanouir en course! Et les victoires s’acquièrent quand les athlètes sont bien dans leur peau! Le merveilleux skieur de descente alpin Français, Luc Alphand, a connu ses plus belles années en fin de carrière +/- après 8 ans de galères. Si le système français l’avait laissé tomber, un des plus beaux descendeurs de l’histoire n’aurait jamais pu exprimer son grand talent. Plusieurs carrières et l’avancement de ce sport ont entre autres été calqués sur Luc Alphand.
Mais n’ont-ils pas une part de responsabilité en tentant d’être plus médiatiques et en partageant plus ?
Une médiatisation forcée produit un effet contraire à celui espéré. Les médias sociaux ne sont pas un barème exact sachant qu’on peut acheter des « likes ». Dans notre temps, nous prenions le téléphone et appelions les journalistes un à un, même s’il ne voulait rien savoir de nous et notre sport, et laissions des messages sur leurs boites vocales, espérant avoir trois lignes dans le papier du lendemain. Nous avons ainsi appris à parler de nous et de notre sport. Est-ce que ce fut frustrant, beaucoup! Mais aujourd’hui personne ne met la crédibilité du ski acrobatique en jeux. Là-dessus, nous avons de quoi être fier! Mais ce n’est pas tombé du ciel, et il y a eu des soirs ou c’était frustrant.
D’ailleurs, est-ce que le système de carding ne vient pas créer un faux sentiment de confort et de sécurité chez les athlètes?
Je ne l’ai jamais vu comme ça, je savais que le carding était temporaire, et renouvelable. Mais pour ma part, mon approche était de simplement toujours viser le meilleur résultat, sinon viser la victoire. Je ne me souciais pas des minimums à accomplir pour garder ma place en équipe. Avec cette approche, un bon résultat réglait tout le reste ! Mais le carding pour un athlète canadien, c’est une question de vie ou de mort !
Ce week-end, tu as démontré un certain raz le bol en évoquant le tiers monde sportif canadien par le fait que malgré le succès de nos canadiens/québécois dans différents sports d’hiver, les médias n’avaient rien diffusé en direct. Comment expliques-tu que l’on en soit arrivé là?
Les médias semblent convaincus que les gens ne sont pas intéressés par autre chose que le hockey, entre autre en disant qu’ils ont diffusé des courses de sport dit amateur, et que la réponse n’était pas bonne. La différence réside beaucoup sur l’heure de diffusion, et si le tout est en direct ! Une course de ski acrobatique diffusée en différé à 23h à de fortes chances d’être très peu populaire! Idem pour les sports présentés le samedi après midi, alors que le public cible est lui même à faire des activités en famille à l’extérieur!
Le ski alpin au Québec, c’est 1 461 000 personnes, près d’une personne sur 5 fait du ski de façon constante. Ce n’est pas vrai qu’il n’y a pas d’intérêt ou de public pour supporter le tout !
Et pourtant… on souhaite terminer à la première place aux prochains JO d’hiver… Moi, je me questionne d’ailleurs comment on fait pour générer autant de talents alors que ces sports n’ont aucune couverture médiatique…
Voilà ! La réponse est dans la question! Imagine si on avait la couverture médiatique en plus. Plus besoin de « à nous le podium » ! Les résultats viendraient tous seuls puisqu’on aurait la masse critique pour des champions régulièrement plutôt qu’aux décennies!
Le comité canadien avait comme projet de créer sa propre chaine, pourquoi cela n’a pas eu lieu?
J’avais entendu que le projet était bon, mais la suite…c’est un grand mystère!
La question peut paraitre étrange, mais est-ce que le manque de couverture médiatique ne vient pas profiter au comité olympique? Les sponsors choisissent alors de commanditer le comité et non plus l’individualité… Même les fédérations semblent presque être plongées dans une concurrence déloyale non?
Tout à fait! Mais comme le COC est une entité privée, un business, nous n’avons rien à dire, le gouvernement fédéral non plus ! Le système est ainsi fait!
Que faut-il espérer dans les prochains mois?
Dans mes rêves les plus fous, j’aimerais que le gouvernement reprenne la gestion du COC avec l’appui d’organismes privés indépendants comme B210, et que le financement ne soit plus aux médailles, mais plus dans une optique d’excellence a long terme, car l’athlète a l’Olympiade X du village de 3000 habitants du fin fond du Canada, va avoir autant d’influence sur les jeunes de sa région que le médaillé de Toronto qu’ils ne verront jamais ! Et en ce moment, ce que nous avons le plus de besoins dans ce pays, c’est de la perte de poids, et de l’exercice chez les jeunes…et moins jeune!
Erik Guay, Charles Hammelin, et autres Max Parrot, c’est de l’excellence, de l’excellence qui conduit au plus haut sommet, en motivant tout le monde sur son passage… À condition qu’on les voient … en direct!