Si l’industrie du vélo nous rend de plus en plus sceptiques avec des argumentations marketing très fréquemment exagérées et où la performance a forcément un prix plus élevé, c’est ironiquement un ancien ingénieur en Formule 1, Jean-Paul Ballard qui offre les plus belles initiatives de dissidence. Ce fondateur de Swiss Side n’a pas peur de partager son savoir et publie intégralement les résultats de leurs recherches. Le talent de Swiss Side s’est rapidement imposé. Depuis l’élaboration de leurs premières roues aux performances des plus grandes marques à un prix coupé en deux, ils accumulent les collaborations avec des institutions comme Cube ou encore Dt-Swiss. Trimes s’est entretenu avec Jean-Paul Ballard afin d’en savoir plus sur les raisons de leur succès.
Vous avez quitté Sauber (formule 1), pour démarrer Swiss Side, pourquoi?
La Formule 1 devenait plutôt ennuyeuse, enfin au point de vue de l’ingénierie. Les règles sont devenues tellement restrictives et complexes, et puis les couts tellement haut, alors il n’y avait plus réellement de place pour l’ingéniosité et la créativité.
Après 14 ans, et même si dans ma dernière année, j’étais intégralement responsable du design de la voiture au complet, j’ai décidé que c’était le temps d’un nouveau challenge. Étant passionné par le cyclisme et le triathlon, je me suis rapidement rendu compte de l’énorme potentiel pour améliorer les performances en cyclisme en utilisant les méthodes que j’utilisais en Formule 1. Alors, j’ai décidé de créer Swiss Side comme une plateforme afin de transférer ce savoir à l’industrie du cyclisme.
Mais à quel point le savoir de l’automobile se transfère bien au cyclisme?
En fait, il se transmet parfaitement! Les processus de développement et les outils que nous utilisions sont identiques. Que cela soit dans la course automobile ou le cyclisme, la trainée aérodynamique est notre plus grande résistance et donc le plus important paramètre de performance. Alors pour nos études en aérodynamisme, on utilise aussi des outils comme le CFD (Computational Fluid Dynamics), la soufflerie, mais aussi des essais dans les conditions du réel avec notre vélo équipé de capteurs. Tout cela, c’est l’adaptation directe des méthodes de la formule 1 au cyclisme.
Swiss Side a rapidement gagné la confiance de la publication allemande et indépendante, Tour. Elle a attribué à vos roues des performances équivalentes à celle des 404, avec un prix divisé par deux. Cela parait presque surprenant que la performance ne soit pas dépendante du prix, non?
Étant moi-même un cycliste, j’étais justement fatigué par des prix exagérés pratiqués par les plus grandes marques. Alors avec Swiss Side, on s’est fixé comme objectif de démontrer à l’industrie qu’il était possible de développer et de délivrer un produit au top en utilisant les technologies pertinentes tout en le proposant à un prix significativement plus bas que les grandes marques.
Actuellement, pour moi, c’est clair qu’il y a beaucoup trop de produits sur le marché, trop cher et qui offrent des performances très faibles! À l’époque actuelle, il n’y a pas nécessairement un lien entre prix et performance.
Mais, on a aussi l’impression que l’industrie du cyclisme a atteint un certain plateau en termes d’aérodynamisme? Est-ce une erreur?
En fait pas du tout! J’étais justement très surpris par la faible connaissance en matière d’aérodynamisme dans l’industrie du cyclisme. Malheureusement, pour la plupart des cas, tout est une question de marketing.
Pas juste avec notre propre marque de roues, mais aussi avec notre partenariat avec DT Swiss, Cube et d’autres, nous avons vu un potentiel d’amélioration énorme! Les nouveaux produits que nous proposons via notre programme « Aerodynamics by Swiss Side » sont en train de créer de nouvelles références dans la performance aéro.
Je veux revenir là-dessus, est-ce que l’on doit être sceptique avec les chiffres énoncés par l’industrie? À force de se faire dire qu’il y a des gains significatifs, il est difficile de comprendre pourquoi les temps ne baissent pas à Kona.
Oui, tu as raison, les vraies performances sont facilement mesurables en temps et donc les améliorations se manifesteront par des temps plus rapides. En 2015, avec Andreas Raelert, nous avons développé un nouveau vélo avec Cube et nous avons prédit une amélioration de performance de 10 minutes en comparaison avec les années précédentes.
Il a délivré et cela s’est vérifié, c’était mesurable. Même avec une puissance moins importante cette année-là, il était significativement plus rapide que les années précédentes. Cela lui a permis de conserver plus d’énergie et d’avoir une excellente course à pied pour lui garantir une seconde place.
En 2016, malheureusement, des problèmes musculaires l’ont forcé à abandonner la course. Sinon, on espérait faire à nouveau des gains significatifs puisqu’il utilisait un vélo prototype (Cube) que nous avons développé spécialement pour lui qui était encore plus rapide!
Mais si l’on prend les pros, est-ce qu’il y a des écarts importants en termes de performance due à leur matériel? Où tout cela est finalement marginal?
Il y a effectivement des différences importantes en termes de performance en raison de leur matériel. Avec un équipement et un «setup» du vélo au top, un athlète peut facilement gagner 10 minutes avec la même puissance. Tout cela vient d’une baisse du drag (trainée) et donc d’un gain en efficacité aérodynamique. Les pros doivent absolument faire plus de tests dans ce domaine pour être plus compétitifs et surtout s’assurer qu’ils utilisent le bon équipement.
Face à toutes ces pratiques, est-ce que c’est ce phénomène qui vous encourage a publier le plus de données…
Oui! Totalement, les données ne mentent pas! Les vrais gains en performance peuvent être mesurés et prouvés. On s’est muni d’une politique de transparence en publiant toutes nos données.
D’ailleurs, est-ce qu’il faut vraiment croire à l’arrivée du frein à disque en triathlon?
Non! Il n’y aucune raison valable pour utiliser des freins à disque en triathlon. Il augmente le drag sur le vélo, et surtout, dans la plupart des triathlons, le freinage n’est pas important. Les étriers classiques resteront la solution la plus rapide pour le triathlon.
Si Swiss Side est avant tout une compagnie qui souhaite développer des produits performants et accessibles, on voit que vous mettez vos services à contribution d’autres marques comme Cube et vos concurrents, Dt Swiss, c’est plutôt étonnant, non?
En fait, notre coopération avec DT Swiss est stratégique. Ils sont tout simplement les meilleurs dans la production en masse de roues. On ne veut pas seulement développer les produits avec les meilleures performances, mais aussi ceux avec la meilleure qualité possible. La production en masse est pleine de challenges alors pour cela, il faut un excellent partenaire.
Ce partenaire est donc DT Swiss et en échange dans notre accord, nous faisons la recherche et développement aéro pour eux. C’est une relation qui est extrêmement fonctionnelle, les deux parties en sortent gagnantes et au final, c’est le consommateur qui en sort gagnant.
En ce qui concerne les projets vélos, à ce moment, Swiss Side n’a aucune intention de produire un vélo au complet. Les coûts associés sont tout simplement trop importants! Alors nous travaillons avec quelques marques spécifiques qui partagent notre volonté d’offrir la meilleure performance possible à un prix juste. Cube est l’une d’elles et d’autres sont à venir!
Comme tu le mentionnais, lors de Kona 2016, vous avez présenté un vélo spécialement conçu pour Andrea Raelert gardait le concept classique du double losange… Pourtant les autres marques ne semblent plus y croire…
Durant le développement du prototype Cube pour 2016, nous avons considéré tous les concepts possibles dont les « beam bikes ». Nous ne sommes pas seulement concentrés sur l’aéro, mais aussi les autres aspects comme le poids et la rigidité.
Sur une perspective aéro, le vélo de triathlon doit être vu comme un voilier. En retirant le tube pour le poteau de selle, cela n’aide pas l’effet voilier… À Kona, où il y a toujours du vent, avec le vent de travers, on vient perdre un aspect significatif qui permet réduire le drag. Alors, nous croyons toujours dans cette forme traditionnelle comme celle qui permet d’obtenir globalement la meilleure performance.
Vous avez aussi commencé à travailler avec Daniela Ryf en tant que conseiller aérodynamique, est-ce que vous pouvez nous expliquer vos interventions avec elle?
On vient tout juste de commencer cette collaboration avec elle et en partenariat avec DT Swiss. Comme nous l’avons mentionné, un pro doit aborder sérieusement l’aéro afin de maximaliser la performance. Notre objectif avec Daniela est dans la rendre encore plus rapide et tout semble nous permettre de croire que l’on va y parvenir. Elle souhaite réellement mettre la main sur de nouveaux records et elle aura tout notre support pour le faire.
Mais avant toutes ces discussions sur le matériel, il reste la position du cycliste et l’importance de rester stable… non?
Absolument. La stabilité du cycliste demeure le facteur le plus important pour l’aéro et c’est d’ailleurs notre focus quand on développe nos roues. Dans nos recherches, nous avons découvert ces dernières années que la stabilité de la roue avant était primordiale.
Si elle offre une bonne stabilité dans des conditions plus venteuses, nos produits sont d’ailleurs conçus pour cela, le cycliste sera alors en mesure de garder sa position aéro. Sachant qu’il compte pour 75% du total du drag, cela permet d’obtenir une grande amélioration en termes de performance et donc en gain de temps.
Quels conseils donnerais-tu au triathlète pour être plus efficace?
Investir dans une tenue de triathlon une pièce et avec des manches courtes. Elle doit être très ajustée et surtout avec le moins de plis possible.
Il faut travailler pour baisser votre position du corps et si possible placer plus étroitement ses bras. Ces deux étapes demandent une certaine flexibilité, alors faire du yoga peut s’avérer une bonne aide.
Aussi, acquérir un bon casque aéro, les nouveaux modèles avec les visières intégrées sont généralement très bons. Et évidemment, investir dans des bonnes roues. Pour toutes les raisons mentionnées plus tôt, elles peuvent faire une grande différence!
Pour finir que nous réserve Swiss Side pour 2017?
Nous allons lancer des nouvelles roues pour 2017. Elles seront disponibles à l’achat en ligne. On a aussi plusieurs projets très intéressants avec notre programme ‘Aerodynamics by Swiss Side’ et nos partenaires qui sortiront plus tard cette année. C’est vraiment une période excitante pour nous et nous espérons continuer nos efforts afin de créer des nouvelles connaissances et placer les références dans l’aéro encore plus hautes.