Comme pas mal d’entre vous sans doute, j’ai porté un regard attentif sur la vidéo postée par Jérémy Morel hier : « Dans l’ombre d’un homme ». Ça n’est pas si souvent qu’un travail d’une telle qualité nous est livré. Il faut savoir l’apprécier à sa juste valeur.
Sacrifice originel.
Au-delà du caractère publicitaire (parfaitement assumé d’ailleurs) de celle-ci, j’ai trouvé qu’elle questionnait beaucoup d’aspects intéressants de notre pratique. L’engagement, la souffrance, la solitude… et le plaisir un peu étrange que l’on peut éprouver parfois à jouer ainsi avec les limites que Jérémy évoque dès l’entame.
Ce « jeu aux limites* » est un parti pris intéressant et je considère que c’est un aspect fondateur de notre discipline : sans dépassement de soi et sans prise de risque, le triathlon perd cette raison d’être originel qui lui donne tout son sens.
Ce n’est pas nouveau, être triathlète, c’est aussi accepter dans une certaine mesure, d’avoir un vie d’ascète. Dans le cas d’un « semi pro » (j’avoue ne pas vraiment savoir comment définir quelqu’un qui s’entraine tant d’heures, mais n’a pas réellement le statut d’un vrai pro ), c’est encore plus important, car, à l’engagement sans retenue, se rajoute la précarité et une somme d’incertitudes sur l’avenir.
Je me suis posé un moment… La vidéo était belle, j’étais d’accord sur à peu près tout dans le discours. Aussi, la beauté brute des images et le choix assumé de traiter la lumière essentiellement dans des tons de gris et noir, donnait un relief supplémentaire et une lecture limpide au message de Jérémy. Pourtant, quelque chose au fond de moi me disait qu’il y avait un truc qui clochait… J’ai mis du temps, mais j’ai fini par trouver. Jérémy est seul, tout le temps, même lorsqu’il évoque la natation et le rôle de son coach. Du coup, même les superbes images où il trace un sillon avec son vélo sur la route encore enneigée, même le lever de soleil sur la mer, ont perdu un peu de leur saveur. L’impression générale étant que, en définitive, c’était « le dur labeur » qui l’emportait… La « valeur travail » si j’osais une analogie bien périlleuse en ces temps troubles !
Tout cela, étant assez loin de mon idée de ce sport…terriblement loin même du visage que nous montre Jérémy sur les courses, en particulier lorsqu’il encourage ses amis et/ou sa famille.
Chez lui, le personnage extraverti, fantaisiste et « fun » ne serait-il qu’une façon d’exorciser toutes ses heures de souffrances ? Une thérapie en quelque sorte ?
Psychologie à deux francs de ma part, je le concède volontiers… Mais plus profondément, pourquoi mettre autant de temps et d’énergie à faire une vidéo superbe… pour n’évoquer, mis à part le côté proche et en harmonie avec la nature, presque uniquement que les aspects durs de notre si beau sport ? Car cette représentation qui nous colle à la peau depuis plus de trente ans et les premiers reportages T.V qui faisaient leurs choux gras de la souffrance et de la folie des triathlètes, à la vie dure, et n’a jamais vraiment disparue. Nul besoin de l’entretenir.
Austérité ambiante…
Je ne voulais pas être injuste, ou trop critique… Car, il faut bien l’avouer, nous avons tous un peu ce côté « maso » qui sommeille en nous. Il me semble que, pour être tout à fait honnête, cette vidéo est complètement « dans l’air du temps » d’ailleurs. Elle colle à merveille avec bons nombres de produits marketing récents proches de la sphère culturelle du triathlon. Pour avoir visionné pas mal de vidéos ces derniers temps, j’ai presque l’impression que plus il pleut, plus il fait froid… et plus c’est « classe » de sortir sa monture pour endurer tout cela et se mesurer aux éléments…
Jérémy aurait raison et je serais dans l’erreur… La perméabilité du sport au contexte social est ainsi… Les images californiennes, le fluo et le fun prédominent dans un monde serein, et joyeux qui ne se soucie guère de l’avenir. L’esthétique elle aussi se durcit lorsque la vie en fait de même… Quoi de plus normal ?
Le triathlon que j’aime…
Je me suis alors rappelé d’un autre vidéo que j’avais visionné il y a quelques années sur internet. Chris et Matt Lieto en étaient les vedettes… Même professionnalisme dans la réalisation, mêmes soucis de l’esthétique… Cette vidéo m’avait transporté. Elle collait parfaitement à ce que je recherchais à l’époque… Par rapport à celle de Jérémy, tout était pareil, mais… rien n’était vraiment semblable. Je crois bien que je l’avais regardé presque en boucle pendant des heures… inspirées, exalté… envieux !
Après quelques recherches, je l’ai retrouvé et regardé à nouveau pour en avoir le coeur net… pour savoir si le frisson serait le même où si mon regard avait changé…
J’ai vite été rassuré. Cinq ans plus tard, Chris et Matt m’ont à nouveau transporté…
Merci Jérémy pour m’avoir fait réfléchir…
Merci Chris et Matt de me faire rêver…
- Pour un éclairage sur la notion de jeu aux limites : Griffet J. (1991), La Sensibilité aux limites, Paris, Éditions Société.