Trimomètre #24 > Stratégies à vélo : une simulation

Doser son effort en vélo est une science et un art. Un art car chaque effort trop au-dessus de la moyenne est un pic de dépense physiologique qui risque de se payer tôt ou tard. La gestion du wattage est un facteur déterminant dans l’épuisement des réserves de l’athlète. Une science car toute stratégie cycliste présente un avantage chronométrique et un désavantage physiologique, ou l’inverse. Reste à savoir si l’un vaut bien l’autre.

Afin de simuler plusieurs stratégies à vélo, je suis partie de cette équation qui donne la puissance du cycliste en fonction de tout un tas de paramètres et de la vitesse. Mon idée est de l’inverser afin d’avoir la vitesse en fonction de tous ces paramètres et de la puissance. Ainsi, en changeant la puissance, on change la vitesse et on peut regarder comment sont affectés certains paramètres comme la vitesse moyenne sur un parcours donné, le temps final, etc… Un BestBikeSplit fait maison, quoi !

Afin de simplifier les choses, on peut prendre le cas d’un parcours sans vent. Mais la simplification s’arrête là et inverser ce truc est très compliqué à moins d’avoir un logiciel spécial pour le calcul bourrin, ce qui donne :

Avec   et .

Mais voilà, à partir d’ici, plus rien de méchant, car il suffit de se créer son parcours en indiquant le degré d’inclinaison de la pente à chaque kilomètre et la puissance désirée à cet endroit-là, et on peut avoir la vitesse sur le kilomètre en question. En répétant l’opération 90 fois sur 90km par exemple, on peut ensuite calculer une puissance moyenne, une puissance moyenne normalisée, un index de variabilité, une vitesse moyenne, un temps.

DEFINITIONS

Puissance moyenne La puissance moyenne fournie par le cycliste sur son effort : Exemple : 2h à 250W = 2h 250w de moyenne. 1h à 200W et 1h à 300W = 2h à 250W de moyenne.
Puissance moyenne normalisée (PN) La puissance moyenne « ajustée » pour tenir compte des pics de puissance qui demandent une dépense physiologique beaucoup plus importante (la dépense n’est pas proportionnelle à la puissance développée). Exemple : 2h à 250W = 2h 250w de PN. 1h à 200W et 1h à 300W = 2h à 264W de PN car l’effort à 300W est beaucoup plus taxant pour l’organisme.
Index de variabilité (VI) C’est la PN divisé par la puissance moyenne. Si vous ne faites aucun écart à la moyenne, PN = puissance moyenne, et VI=1, ce qui est très bon. Si vous avez fait beaucoup de pics de puissance, votre PN a augmenté et s’est éloigné de 1, ce qui indique une fatigue supplémentaire à cause d’une mauvaise gestion. Exemple : 1h à 200W et 1h à 300W = 2h à 264W de PN et 250W de moyenne, VI=264/250=1.056>1, la gestion est moins bonne. Un triathlète cherche à être le plus proche possible de 1 afin d’optimiser ses chances de bien courir.

 

Après avoir créé des parcours vélo, il faut décider quelles valeurs on doit choisir pour tous les paramètres. Voilà mon cycliste standard :

M=85kg Un cycliste de 75kg avec son vélo de 10kg.
g=9.81m/s L’accélération de la pesanteur terrestre.
θ Théta, l’angle de notre pente, mais je convertirai cet angle en pourcentage puisque c’est la mesure utilisé en général (exemple : une pente à 5%, qui signifie que l’on monte en altitude de 5m tous les 100m parcourus sur la route).
ρ=1.20kg/m3 La densité de l’air, dans des conditions météos normales.
CxA=0.3m2 Le coefficient aérodynamique Cx multiplié par l’aire frontale du cycliste A, aussi appelé CdA. Pour un cycliste qui tient sa position aéro, 0.3m2 est un chiffre dans les normes.
CR=0.0045 Le coefficient de frottements des pneus sur la route, à 8 bars de pression (116 psi).

 

A présent, la méthode proposée est la suivante : On part du principe que notre cycliste est capable de fournir 260W de PN sur un parcours de 90km. On peut changer la stratégie du cycliste (pousser fort au début ou dans les montées) et le parcours, mais cette PN doit toujours être égale à 260W car c’est la limite physiologique du cycliste.

Sur du plat

Commençons par un parcours tout plat fait à wattage constant :

Situation Puissance moy (W) PN (W) Temps Vitesse Moyenne (km/h) VI
Plat / P constant 260 260 2h21’54’’ 38.05 1

 

Notre cycliste roule alors à une vitesse de 38.05km/h pour un temps de 2h21. Evidemment, sa gestion parfaite lui vaut un VI de 1, il devrait avoir les jambes pour courir correctement. Que se passe-t-il s’il décide de se garder 30W sous la pédale sur la première moitié afin de pousser plus fort à la fin ?

Situation Puissance moy (W) PN (W) Temps Vitesse Moyenne (km/h) VI
Plat / P constant 260 260 2h21’54’’ 38.05 1
Plat / split – 255.5 260 2h23’14’’ 37.7 1.018

 

S’il roule à 260-30=230W sur 45km, il ne pourra pas rouler à 260+30=290W sur la seconde moitié, car cela représente une dépense bien plus grande que l’énergie sauvée sur la première moitié, ce qui ferait dépasser sa PN de la valeur 260. Pour avoir une PN exactement à 260, il ne peut pas soutenir plus de 281W sur la deuxième moitié. Economiser 30W pour en fournir seulement 21W de plus par la suite, est-ce une bonne stratégie ? Evidemment non, et il perd non seulement 2 minutes, mais en plus augmente son VI et hypothèque sa course à pied. La stratégie du « split négatif », contrairement à la course à pied, ne marche pas en vélo.

Intuitivement, faire la stratégie du split positif et partir 30W plus fort que sa moyenne devrait être encore pire !

Situation Puissance moy (W) PN (W) Temps Vitesse Moyenne (km/h) VI
Plat / P constant 260 260 2h21 38.05 1
Plat / split – 255.5 260 2h23’14’’ 37.7 1.018
Plat / split + 253.5 260 2h24’05’’ 37.48 1.026

 

En effet, pousser 30W au-dessus de ses capacités est une dépense énergétique telle, que le cycliste ne pourra pas développer plus de 217W sur la seconde moitié (donc 43W sous son potentiel). Avec cette stratégie, il perd 1 minute par rapport et la stratégie précédente, et en plus, il augmente son VI, donc diminue ses chances de bien courir. La conclusion est qu’idéalement, il faut se connaitre et partir sur les bons wattages, et que l’athlète qui ne connait pas ses capacités a tout intérêt à partir plus lentement que trop fort. A-t-on vraiment appris quelque chose ici ? En tout cas, on l’a confirmé avec des chiffres.

Sur un parcours accidenté

A présent, vallonnons ce parcours, car ce n’est pas tout le monde qui fait le 70.3 Floride. Rajoutons 3 côtes :

  • 2km à 10%, descente identique.
  • 4km à 5%, descente identique.
  • 8km à 2.5%, descente identique.

Avec trois longueurs de côtes et 3 pourcentages différents, on se rapproche un peu plus du parcours standard trouvé sur le circuit actuel. Que se passe-t-il si l’athlète décide de gérer son effort comme un artiste et de pousser exactement 260W tout le long (Remarque : la vitesse a été fixée à 60km/h dans les 2km à 10% pour coller à la réalité).

Situation Puissance moy (W) PN (W) Temps Vitesse Moyenne (km/h) VI
Plat / P constant 260 260 2h21’54’’ 38.05 1
Plat / split – 255.5 260 2h23’14’’ 37.7 1.018
Plat / split + 253.5 260 2h24’05’’ 37.48 1.026
Côtes / P constant 260 260 2h36’14’’ 34.56 1

 

Dans cet exemple, l’athlète fait le choix de s’en garder pour la course à pied avec un VI de 1. Les côtes du parcours lui coûtent 15 minutes par rapport à du plat. A présent, une stratégie répandue consiste à pousser plus fort dans les côtes, et récupérer dans les descentes. L’intérêt est que quelques dizaines de watts de plus en monté font une grosse différence, alors que des watts en moins dans les descentes font perdre peu de temps. Voilà deux stratégies possibles :

  • Côtes / + 20 à 40W : L’athlète pousse 40W de plus dans les côtes de 10%, 30W de plus dans les côtes de 5%, et 20W de plus dans les côtes de 2.5%. Sa puissance en descente est ajustée afin d’avoir au final 260W de PN. Ce cas correspond à ce que ferait inconsciemment quelqu’un non munis de powermeter qui essaie tant bien que mal de gérer son effort constant.
  • Côtes / + 40 à 80W : Ce cas correspond à l’athlète volontairement agressif en côtes. L’athlète pousse 80W de plus dans les côtes de 10%, 60W de plus dans les côtes de 5%, et 40W de plus dans les côtes de 2.5%. Sa puissance en descente est ajustée afin d’avoir au final 260W de PN.

Voilà les résultats :

Situation Puissance moy (W) PN (W) Temps Vitesse Moyenne (km/h) VI
Plat / P constant 260 260 2h21’54’’ 38.05 1
Plat / split – 255.5 260 2h23’14’’ 37.7 1.018
Plat / split + 253.5 260 2h24’05’’ 37.48 1.026
Côtes / P constant 260 260 2h36’14’’ 34.56 1
Côtes / + 20-40W 257.6 260 2h33’14’’ 35.24 1.009
Côtes / +40-80W 239.55 260 2h32’28’’ 35.42 1.085

Allez un peu plus vite en côtes, de manière raisonnable, permet de gagner trois minutes, tout en augmentant assez peu le VI. En revanche, une stratégie agressive ne permet de gagner que 45 secondes tout en faisant exploser le VI. Elle est donc à réserver pour les pros meilleurs cyclistes que coureurs qui veulent faire exploser leurs adversaires.

 

Conclusion

Les athlètes habitués à calculer leur VI trouveront surement les valeurs des VI assez basses ici, car en réalité, même dans un effort voulu constant, la puissance varie naturellement et oscille à +/-20W autours de la puissance recherchée. Il est donc plus pertinent de regarder les augmentations en pourcentage du VI plutôt que les valeurs elle-mêmes.

Finalement voilà la conclusion (dans les graphes suivants sont pris pour références les efforts constants sur les parcours):

Sur le plat, les stratégies de split négatif ou positif font augmenter le VI et perdre du temps. Un triathlète a tout intérêt à fournir un effort constant.

En côtes, il y a effectivement un gain à aller chercher en appuyant dans les montées. Tant que l’augmentation de l’effort reste raisonnée, le VI n’augmente pas trop. C’est cependant un jeu dangereux, car l’augmentation du VI peu vite s’emballer pour un athlète forçant de manière exagérée dans les montées, avec très peu de gains supplémentaires en retour.

 

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