Dimanche dernier je mes suis retrouvé sur le quai d’une gare dans un bled perdu au Sud Ouest de Chartres avec quelques potes. Nous étions venus dans cet endroit improbable, rendre hommage à un ami trop tôt disparut. L’aller depuis Versailles en biclou « comme il se devait » par respect de notre compagnon qui fut un solide cycliste et qui avait pour habitude d’exécuter ce trajet. Le retour un peu plus feignant par les rails, personne parmi nous n’ayant la force pour 220 km par plus de 30°…
Un tableau digne des meilleurs westerns : une chaleur suffocante, personne à l’horizon et l’impression que la vie s’écoule au ralenti par ici… Nous disposions d’une bonne heure à patienter en attendant qu’une draisine veuille bien nous sortir de là,… et, sans doute, deux de plus minimum avec les arrêts et correspondances à venir… Une paille !
Mais j’ai une bonne étoile… Elle m’avait mis à disposition parmi mes compagnons du jour, deux véritables « anciens combattants » du triathlon. La longue attente n’en fut donc pas une… Nos récits et expériences partagées m’ont permis d’accepter de ralentir un peu à mon tour, pour me délecter d’une situation qui, d’ordinaire, aurait été bien pénible.
Tout y est passé : nos débuts respectifs, les grandes histoires comme les plus petites anecdotes, les matériels et leurs évolutions et, bien sûr, les personnages marquants de notre sport qui ne sont pas forcément toujours ceux qui ont le plus gros palmarès d’ailleurs…
C’est un sentiment à la fois rare et précieux : se sentir en communion avec des personnes autour d’une culture commune. Un truc qui vous fait souhaiter que le trajet dure et dure encore. Pourvu que les minutes soient des heures, qu’elles permettent à Yann ou à « Hugo l’asticot » de compter une histoire de plus, ou de se souvenir d’un nom supplémentaire qui nous échappait tout à l’heure…
Pourtant, je n’ai connu ces deux gars-là qu’à partir du début des années 2000, date de mon affectation dans le « Grand Nord » de la région Parisienne. Nous avions déjà les uns et les autres roulé pas mal notre bosse un peu partout… Sans doute nous étions-nous croisés sur des courses sans nous connaitre à l’époque.
Des trajectoires bien différentes, mais la même passion et, en définitive le même ciment autour d’un sport qui, dans ses origines, était vécu comme une aventure. Pas mal de repères communs aussi permettant de donner du sens à nos petites histoires. Je ne saurais dire si nous étions prédisposés à percevoir ce sport sous un angle si proche où si, finalement, c’est l’esprit du triathlon des 80’s qui nous a, de la même manière, façonnés de la sorte. J’aime à penser que c’est plus cela d’ailleurs : me dire que le triathlon des 80’s est encore vivant çà et là et que la flamme brule toujours en dépit de son évolution irrémédiable vers plus de maturité, plus de professionnalisme, plus de rigueur dans l’approche… Plus de fric aussi malheureusement…
Mon métier me met tous les jours au contact de pas mal de jeunes et le fait d’avoir une section sportive triathlon dans mon lycée me permet de rester « dans le coup » du triathlon 2.0 comme on dit dans le langage d’aujourd’hui. C’est une discipline en pleine évolution, tellement différente sportivement et humainement de ce que j’ai connu ! Je n’ai pas envie de dire que c’est moins bien, simplement, je trouve que la place pour l’indépendance et la débrouillardise a disparu. Chez les pratiquants adultes aussi, qui recherchent souvent, pour la plupart, du « prêt-à-porter » tant dans les entraînements que sur les courses auxquelles ils prennent part.
Moi, j’ai l’impression d’avoir participé à tant d’épreuves où l’imprévu était de mise. Des organisations pleines de failles, des trucs improbables mais personnes ne se plaignait et tout cela dégageait tellement de poésie. C’est ce qui est ressorti, je crois, de nos discussions de vieux grognards l’autre jour : les personnages hauts en couleur, les courses bizarres, les inventions un peu folles. J’ai pas mal réfléchi depuis ces quelques jours et j’en suis venu à la conclusion que c’était en grande partie cela qui me rendait heureux et que j’ai de plus en plus de difficulté à retrouver aujourd’hui…
Peut-être que je cherche mal… J’ai dû, moi aussi, devenir, à l’image de mon sport, un peu snob et consommateur. J’ai aussi, souvent, la critique acerbe… surtout envers la jeune génération c’est vrai. Mais franchement, j’ai l’impression qu’aujourd’hui, le triathlon est trop souvent « un prétexte à… » Et qu’il a perdu, de fait, en partie sa dimension profondément humaine. Celle qui fait nous rencontrer plus que nous montrer, échanger plus que chercher à briller… Bref, nous enrichir non pas du résultat, d’une perf ou d’une gloire bien éphémère, mais des autres avant tout.
Les critiques du sport ne sont pas nouvelles. Déjà, lorsque j’étais étudiant, on nous apprenait qu’il n’était que le reflet de tous les travers de la société dans laquelle il baignait. Qu’il pouvait même les exacerber parfois… Ma naïveté naturelle me pousse à croire que, suivant les disciplines, cette loi n’est pas aussi implacable. Que certaines portent en elles, presque de façon organique, plus de valeurs que d’autres ou, en tout cas, qu’elles restent, en partie préservées de tout ce qui peut les gangréner et que j’exècre au plus haut point. Je sais aussi que ce sont les participants qui impulsent les évolutions d’une pratique et je ne suis pas aveugle, j’ai bien observé que le creuset naturel de ce sport évolue lui aussi. Exit les « bas bas » au profit des « bobos », les doux rêveurs et les originaux ne sont plus légion et sont même parfois montrés du doigt… Moi même, dans ma grande faiblesse, je me plie volontiers à l’air du temps qui veut qu’on ne sache pratiquer sans disposer à tout prix d’un matériel dernier cri… J’ai honte parfois, car je sais bien qu’il y a un monde entre la qualité de mon vélo et les pauvres watts que je développe dessus… Mais la honte est un sentiment qui à la particularité de s’estomper très vite en général, surtout lorsque l’environnement à tendance à vous conforter dans votre bêtise…
Revenir vers un peu plus de simplicité, pour moi aussi… pour moi, d’abord ! Partager ce qui m’anime, ce qui fait sens à mes yeux, mais rester lucide et accepter aussi de faire le deuil de tout ce qui ne sera jamais plus comme avant. Essayer de faire vivre quand même une certaine idée de ce sport : le triathlon comme quelque chose d’aventureux, chaleureux, convivial, sans frime et libéré au maximum de tous ses artifices inutiles. Assurer le lien et transmettre, au-delà de mon rôle de coach et des contenus purement techniques, tout cela. Tout ce qui remplit en définitive mon espace vital de sportif et qui n’est pas directement connecté au chrono coûte que coûte…
Car ce qui reste à la fin, c’est la culture, aux sens le plus fondamental du terme et rien d’autre ou si peu…
Cette parenthèse hors du temps, vécue presque malgré moi l’autre jour, était-elle salutaire ? Je ne saurai dire, mais une chose est sûre, je suis certes rentré bien tard chez moi… Pas un instant agacé de la longueur du retour, mais au contraire apaisé et heureux.
La culture ? C’est un combat… Paul Goirand.
Ce texte est dédié à Jean Marc Lecomte.