En ce lundi matin, j’avais le choix entre deux options pour ma chronique… Une première orientée vers un hommage aux deux enfants terribles du triathlon mondial, Johnny et Ali, encore une fois superbe de détermination et d’abnégation hier pour aller récolter le doublé sur leur terre de Leeds avec la manière. Quelle classe et quel spectacle ! On dit souvent que seule la victoire est belle… Mais quand même, quand vous y mettez la manière, c’est encore autre chose !
L’édito d’Alex m’aura coupé l’herbe sous le pied… C’est donc l’option deux que je vous livre. Je préfère vous prévenir tout de suite, elle est beaucoup moins glamour mais le questionnement me parait vital pour nous élites…
La faillite des Français.
Tout est dans le titre. Les tricolores se sont présentés avec l’équipe la plus forte depuis longtemps. Une équipe de cinq athlètes taillée pour contrecarrer les plans british avec des profils de nageurs et la venue de Raoul Shaw en plus, pour, justement mettre le trouble dans les esprits de nos meilleurs ennemies…
À l’arrivée, Pierre Le Corre est 8e, Vincent Luis 10e, Dorian Coninx 15e et Aurélien Raphael 17e. Des résultats plus que moyen, car la manche anglaise, il faut bien le reconnaitre, n’était pas la plus dense de l’année avec l’absence de Javier Gomez, Mario Mola et Richard Murray, soit 3 athlètes du big 5.
Alors la faute a quoi ? La faute à qui ?
Stratégie collective impossible ?
Raoul Shaw a bien mené les débats en natation… Repoussé dans le groupe de chasse par la faute d’une T1 mal maitrisée, il va s’appliquer à rouler sur le groupe tête qui comprenait les deux Brownlee certes, mais aussi Aurélien Raphael et Pierre Le Corre !!
Dans cette entreprise, Dorian Coninx et Vincent Luis viendront aussi jouer les gros bras… absolument incompréhensibles du point de vue du téléspectateur… Malheureusement, si on attendait une meilleure natation de ces deux Français, ils arrivent quelques fois des agressions aquatiques…
Dans les faits, si nos tricolores dans le second groupe roulent, c’est avant tout parce qu’ils ne savent pas où les Brownlees sont.
Avec Richard Varga et Raoul Shaw qui ne s’envolent pas avec les Brownlee, certains ont eu le malheur de croire qu’ils étaient dans le coup. Leeds a cette configuration atypique puisque ce n’est pas avant 15 kilomètres que les athlètes retrouvent un circuit. Il est donc nettement plus difficile pour les staffs techniques d’informer leurs athlètes. D’ailleurs, les Britanniques (femmes) se sont aussi faites piéger sur le même aspect. Learmonth qui ralenti parce qu’elle s’imagine une Non Stanford dans le groupe de tête… Au final, cette information manquante lui coute sans conteste son premier podium en WTS.
Dans le second acte de cette dramaturgie britannique, on voit Le Corre et Raphael perdent le contact avant l’entrée sur le circuit urbain. Parce qu’il y a alors un contact visuel entre les deux groupes et que l’écart était de moins de 10 secondes à ce moment-là, plusieurs scénarios étaient possibles. Comme, ils ont la sagesse de couper leur effort sachant que le retour des poursuivants est certain ou l’équipe technique fait ce choix stratégique. Oui, avec les deux Brownlee tout juste en avant, on a nous-mêmes cru que les contrôler à distance était l’opportunité parfaite de les user. Un groupe de 20 athlètes devraient être nettement plus fort que deux, non ? Peut-être qu’on regarde trop le vélo…
Malheureusement pour nous, il faut avoir l’humilité d’admettre que les Brownlee sont tout simplement trop forts et intenables pour Pierre Le Corre et Aurélien Raphael. Cela n’est pas leur décision de laisser partir les Brownlees, ils sont tout simplement trop fort à un point que même garder leurs roues est trop difficile.
Alistair et Johnny en 20 km prendront ainsi 1minute 15 jusqu’à T2 alors que la jonction était quasi effective au vingtième kilomètre…
Évidemment, dans ce bilan, on cherche les explications. Les Brownlees ont dessiné le parcours à Leeds. Ils l’ont clairement créé pour les favoriser… Pour que le vélo ne soit pas neutralisé, cela prend des relances, des virages techniques et des roues serrés. Leeds partage toutes ses caractéristiques.
Dans cette configuration, la poursuite paye la mauvaise entente. Dès lors qu’un athlète ne prend pas parfaitement les virages, elle vient ralentir l’intégralité du groupe. L’athlète se bat alors pour son positionnement et l’on n’est plus en situation pour relayer…
Le génie des Brownlee, c’est encore de gagner avec un scénario (échappé à deux) qui paraît pourtant improbable pour les autres…
Pas assez fort, pas assez complet ?
C’est mon dernier point « collectif », peut être le plus inquiétant finalement. Se rater sur la stratégie, ça peut arriver, la course des filles l’a montré avec le choix anglais de sacrifier Jessica Learmonth au profit de Non Stanford… Une erreur qui coutera le podium à Jessica…
Hier, il y avait deux athlètes au-dessus du lot et qui continue à contrôler la course sans réellement être inquiété. Dans les faits, la domination des Brownlee n’est pas née hier. On a oublié à quel point ils ont dominé le circuit. On y revient toujours au même fait, lorsque les deux sont en santé, ils sont imbattables.
Dans les dernières années, on se demandait d’ailleurs si la concurrence pensait vraiment en leur chance de pouvoir les battre….
Il en demeure que j’étais déjà agacé par la tournure des évènements à T2… Lorsque la quinzaine de coureurs du groupe de chasse quitte l’aire de transition, il ne faut pas plus de 300m pour que mes dernières illusions s’envolent.
Il y a tous ces détails qui font la différence… Les Brownlee sont évidemment très fort à vélo, mais comment expliquer une perte de plus d’une minute et quinze secondes en à peine 20 kilomètres ? Tout simplement parce qu’ils n’ont aucune faiblesse.
Si la concurrence n’est pas en mesure de rivaliser avec eux, c’est parce qu’elle lui manque toujours certaines pièces du puzzle. À Leeds, les Brownlee ont à nouveau démontré qu’ils avaient toujours cette fameuse marge.
Avant la course, la fédération affichait justement une volonté de changer sa manière de faire en étant plus stratégique et surtout en donnant des rôles à certains athlètes.
« Pour cette WTS, nous avons réfléchi à la meilleure stratégie possible. L’objectif est de créer les conditions pour provoquer une échappée dès le début de la partie vélo. Les frères Brownlee ont l’habitude de s’inscrire dans ce schéma et les Français doivent se donner toutes les chances de poser le vélo dans de bonnes dispositions pour optimiser le résultat à l’arrivée. Nous avons cherché à construire une délégation capable d’aller dans le sens d’une natation très rythmée et d’un vélo exigeant. Malgré les quelques contretemps que certains d’entre eux ont pu rencontrer dans leur préparation, Dorian, Pierre et Vincent, épaulés par Aurélien et Raoul, ont les capacités pour s’illustrer sur cette course.«
Malheureusement, ce que l’on a appris à Leeds, c’est que l’on ne peut pas rentrer dans un processus de stratégie quand on n’a pas les ressources physiques pour la suivre. Il ne faut pas se mentir, les Français SUR CE PARCOURS, n’ont pas les facultés à vélo pour suivre ou revenir sur les Brownlee. Un athlète ne peut pas se sacrifier pour le bien collectif s’il n’a pas les outils pour avoir un impact sur la course.
Un autre élément m’est venu à l’esprit hier en regardant la course : Si les Français ont déjà obtenu de bons résultats sur WTS, cela a quasiment exclusivement été les cas sur de manches disputées sur distance sprint… Je ne pense pas que cela soit anodin…
Malheureusement, on est toujours au même point de départ. Lorsque les deux Brownlees sont en rendez-vous, l’équipe de France est loin de prendre le contrôle de la course.
Si le modèle de Poissy en D1 pouvait donner des idées pour la WTS, le circuit mondial est très très loin et il faut oublier ce circuit pour tenter des expériences…
Le cas Vincent Luis…
On pensait tenir avec le sociétaire de Sainte Geneviève, l’arme absolue pour, pourquoi pas, surpasser la suprématie anglaise. Vincent cultive avec maestria le secret… On ne sait pas vraiment ce qu’il fait, comment il s’entraine et où il veut aller…
Cela avait un certain crédit encore l’année dernière du fait de sa superbe année 2015, mais aussi de son podium en début d’année à Abu Dhabi.
Aujourd’hui, il a encore tout à prouver et des athlètes comme Fernando Alarza semblent lui avoir passé devant dans la hiérarchie mondiale et démontrent une régularité enviable.
Vincent reste un incroyable coureur c’est sûr… Mais hier, il n’a jamais pesé sur la course, et ceci, dès la natation ou il sort, lui le super nageur, à prêt de vingt secondes de Jonathan. Comme on le dit souvent… en ITU, il y a des événements inattendus dans l’eau… Il en demeure que depuis ce début de saison, on voit des références dans l’eau perdent leurs rangs. Il ne survole plus la natation. À nouveau, les Brownlee controlent…
En course à pied, c’est avec un « nageur » justement : Richard Varga, qu’il va se battre pour arracher le top 10, c’est insuffisant, très insuffisant pour un athlète qui visait le titre olympique il y a encore un an…
Luis doit redevenir triathlète… Je ne parle pas de l’entrainement, je parle de l’état d’esprit… Il doit courir, mettre des dossards, plus souvent, et réinvestir le circuit pour redevenir le compétiteur qu’il était…
Dans son cas, les blessures semblent l’éloigner du circuit. Ses exigences de performances en course à pied semblent être devenues un frein. Nos attentes sont peut-être trop élevées. On préférerait un athlète qui passe palier après palier… qu’un athlète qui doit recommencer à zéro parce que ses objectifs à court terme sont devenus trop élevés.
Alors c’est vrai, nous sommes dans une année post olympique. Il n’y a pas le feu au lac et l’équipe de France dispose en plus de nos coureurs alignés hier, avec Simon Viain, Raphael Montoya et Léo Bergère, de trois belles cartes en pleine progression ces derniers temps.
Cependant, j’ai l’étrange impression qu’il n’existe aucun lien dans le collectif français. Ce petit quelque chose en plus qui fait la force d’une équipe même dans un sport individuel (qui ne l’est plus sur format olympique depuis longtemps, il faudrait que nos encadrants le réalisent enfin…).
Je discutais hier soir sur internet avec Tom Bishop 5e hier et battu par le « vétéran » Adam Bowden. Tom me disait à quel point il était admiratif et heureux pour son coéquipier… Il me disait aussi que les Anglais, avant la course, avaient peur des Français…
N’oublions pas que lors des championnats U23 et junior, nos Français dominaient nos voisins du Nord. Les choses ont bien changé.
Lorsque j‘ai demandé à Tom ce qu’il pensait de la stratégie tricolore hier, il n’a pas su quoi me répondre… Peut-être parce qu’il faisait justement partie d’un plan qui lui a marché…