Le triathlon est un sport qui doit continuer à gagner en diversité. Le journaliste Vivien Fortat nous permet de découvrir l’un de ces fameux personnages. On vous présente Nurbek Toichubayev, un Kirghizes qui s’est mis au paratriathlon après la lecture du livre des Brownlee…
Pourrais tu te présenter pour nos lecteurs?
Je m’appelle Nurbek Toichubayev, j’ai 40 ans et viens du Kirghizstan. J’ai 3 fils (8, 6 et 2 ans) et je suis marié depuis 10 ans.
Je pratique le triathlon depuis 2014 et j’ai participé à des compétitions internationales en para triathlon, catégorie PTS4 (handicap physique ne nécessitant pas de prothèse). J’ai plusieurs podiums à mon actif, sans avoir réussi à gagner l’or jusqu’à présent.
En parallèle, je suis co-propriétaire et chef de la direction d’une grande entreprise de diagnostic médical, employant plus de 2500 personnes en Asie centrale.
Pourquoi as-tu décidé de commencer le triathlon? Comment se sont passés les débuts?
En 2014, j’ai décidé de perdre du poids (je pesais près de 100 kilos !!). Avec mon épouse Kamilya, nous avons décider d’aller à la salle de sport par défi. Après un mois, j’ai commencé à m’ennuyer. À la recherche de nouveau challenge, je suis tombé sur une présentation du triathlon et j’ai lu le livre des frères Brownlee. J’ai tout de suite accroché ! Heureusement j’ai pu trouver rapidement un entraîneur qui accepta de me guider dans mes premiers pas et j’habitais dans un endroit propice à la pratique du triathlon : un magnifique parc à proximité pour courir, avec même une piste d’athlétisme, quelques bons parcours pour faire du vélo avec des bosses pour tous les goûts, et une piscine.
Et tu es finalement devenu rapidement international… Quand l’idée a commencé à germer ?
Cela s’est également produit tout à fait par hasard. Quand j’ai commencé à pratiquer le triathlon, je ne savais pas que le para-triathlon existait. Mais début 2015, j’ai vu que le sport allait être représenté aux jeux paralympique de Rio. Après de nombreuses recherches, j’ai vu que le para-triathlon était peu développé dans les ex pays de l’URSS en dehors de la Russie et de l’Ukraine. J’ai donc voulu devenir le premier para-triathlète dans mon pays et en Asie centrale !
J’ai décidé de me tester sur le triathlon d’Abu Dhabi. Avec mon coach nous avons décidé qu’en cas de résultat satisfaisant je poursuivrai cet objectif, ce qui a été le cas puisque j’ai terminé en 2h31.
Tu as également dû créer la fédération de triathlon dans votre pays, raconte nous.
Nous avons contacté l’ITU qui nous a soutenu activement et expliqué étape par étape ce que nous devrions faire pour obtenir avoir le droit de participer à des compétitions internationales. Il existait une fédération kirghize mais elle n’était pas reconnue par la fédération asiatique et par l’ITU. Notre projet nous a valu quelques inimités de la part de l’organisme existant et au final nous avons dû recréer une fédération qui a été reconnue par les instances internationales grâce au travail de mon ami Chyngiz Alkanov (actuel président de la fédération kirghize de triathlon) ! On peut dire que c’est de « ma faute » si la fédération de triathlon a été créée !
Puis viennent les premiers pas un peu chaotique en para triathlon lors d’une manche en Italie…
Ma première compétition à Iseo, en Italie, ne s’est pas très bien passée. En raison du manque d’expérience et de connaissances, j’y suis allé sans vérifier que j’étais sur la start list ! C’est une fois sur place que j’ai appris je n’étais pas autorisé à prendre le départ. Bon, cette expérience m’a quand même permis de sentir l’atmosphère et de faire connaissance avec les gens du milieu. Le départ suivant a été aux Championnats d’Asie aux Philippines, où j’ai pris la 5ème place.
Comment t’entraînes-tu? Arrives tu à concilier entrainement et vie professionnelle?
Je m’entraîne tous les jours dans les trois sports. Cela représente chaque semaine environ 10km de natation, 70km de course à pied et 300km de vélo. Comme j’étais encore en surpoids important quand j’ai commencé, j’ai appris à nager, car je ne savais pas nager avant ! Heureusement, j’ai eu des entraineurs patients (il éclate de rire).
J’ai de la chance d’avoir une famille qui partage également ma passion. Ma femme participe activement au triathlon, mon fils aîné a déjà participé à plusieurs courses et je suis sûr que d’autres mes garçons adoreront ce sport à l’avenir, mais pour l’instant ils sont trop petits.
Conjuguer ce volume d’entrainement et ma vie de famille m’a amené à revoir mes priorités. Je fais beaucoup moins la fête et perd moins de temps en futilité. Je fais également très attention à préserver un équilibre familial en passant beaucoup de temps avec eux.
Au final, conjuguer ma famille, les entrainements et mon travail m’apporte un équilibre qui me plait.
Quel genre de triathlète es-tu?
Je ne suis pas le meilleur physiquement mais j’ai un bon mental et me donne les moyens d’atteindre mes objectifs. Je n’ai pas besoin d’être forcé pour m’entraîner, je fais tout de mon propre gré et avec plaisir. Par ailleurs, j’ai déjà 40 ans et j’ai donc une bonne connaissance de moi même.
Question points faibles, je récupère sans doute moins vite que mes concurrents plus jeunes.
As-tu des soutiens tels que des sponsors ?
Toutes les dépenses sont couvertes par moi-même, y compris les voyages, le salaire des entraîneurs, l’accès aux infrastructures, etc. Malheureusement, mon pays n’est pas riche et, pour le moment, il n’a pas de possibilités de soutenir le triathlon. Avec mes amis de la fédération, nous essayons d’abord de viabiliser la situation financière de la fédération avant de chercher un soutien de l’État.
De nombreux événements de triathlon sont organisés dans le pays. Nous parvenons à attirer de plus en plus de sponsors sur ces courses. A mon niveau, je soutiens personnellement et finance le développement du para triathlon dans le pays. Aujourd’hui, je finance deux athlètes à handicap visuel, et l’un d’entre eux vient de terminer 3ème aux Championnats d’Asie. Le prochain départ de cet athlète devrait être à Iseo en Italie. J’espère qu’il fera une bonne course et aura l’opportunité de participer aux Championnats du monde à Rotterdam.
Comment s’est passé le début de saison?
Plutôt bien ! J’ai obtenu le 2ème prix aux Championnats d’Asie aux Philippines. En mars, j’ai couru un distance olympique à Abu Dhabi et j’ai pu améliorer mon chrono de l’année de dernière de 17 minutes, ce qui ne peut que me réjouir. Le travail paie !
Tu participes à la manche ITU à Besançon le 04 juin puis à celle au Canada. Quelles sont tes attentes pour ces deux courses?
Oui, je m’aligne à Besançon début juin. Ce sera d’ailleurs ma deuxième participation ici. En général, j’adore vraiment la France où j’ai beaucoup d’amis. Chaque année, je skie ici dans les Alpes, et maintenant je veux apprendre le français enfin, j’espère que je réussirai. Je prévois également de m’aligner à Edmonton en juillet, j’espère être en forme. L’objectif est de faire 3 top 5 pour assurer la qualification aux Mondiaux de Rotterdam.
Le Kirghizistan n’est pas encore Un endroit connu pour le triathlon, mais tu me disais que c’était un endroit idéal pour les sports de plein air. Pourrais tu nous en dire plus ?
Le Kirghizstan est un endroit idéal pour le triathlon: nous avons un cadre naturel idéal pour l’entrainement. Il y a de nombreux plateaux à plus de 1000 mètres d’altitude, les infrastructures routières sont correctes et il y a des bosses pour plaire à tous les niveaux de cyclistes. Surtout, le magnifique lac d’Issyk-Kul est parfait pour la nage en eau libre. Nous prévoyons d’ailleurs d’organiser des compétitions internationales, y compris Ironman.
Il y a beaucoup de choses en commun entre la France et le Kirghizistan. J’espère vraiment que nous pourrons trouver des opportunités pour le développement conjoint du triathlon et du para-triathlon. Nous avons beaucoup à apprendre de la France.
Est-ce que tu as noté des évolutions sur le paratriathlon depuis que vous avez commencé?
Le niveau des para-triathlètes s’améliore rapidement ! La concurrence est de plus en plus rude. Beaucoup de personnes handicapées commencent à faire du triathlon, et c’est vraiment très bien.
Qui sont les triathlètes qui t’inspire?
J’appréciais beaucoup Laurent Vidal dont la disparition m’a vraiment touché. Sinon j’aime beaucoup Mario Mola, Gomez et Kristian Blummenfelt.
Quels sont tes prochains objectifs?
Mon objectif principal est d’arriver aux Jeux Olympiques à Tokyo en 2020 et tous les efforts actuels sont orientés vers cela! Pour moi, bien plus que de gagner, ce qui est important c’est de représenter mon pays et d’être un modèle pour les gens. Cette saison l’objectif est évidemment la qualification aux championnats du monde.
Entretient par Vivien Fortat