« La sécurité des coureurs est notre priorité. En raison de la température inhabituellement élevée en cette saison, et après des discussions avec les équipes médicales ainsi que la Ville et nos partenaires locaux, nous avons pris la décision d’annuler la distance du marathon. »
Le Rock N Roll marathon de Montréal, organisé par l’entreprise privée competitor group prend la difficile décision d’annuler son marathon (et de laisser la possibilité de courir le demi-marathon) pour la sécurité des coureurs, compte tenu de la chaleur annoncée dimanche.
Comment ne pas être d’accord avec ça ? Les décideurs ont décidé de préserver la santé des coureurs non préparés à la chaleur annoncée (28°C) au détriment du reste du peloton. Dans le débat qui s’enflamme sur les réseaux sociaux, il n’y a pas d’issue car présenté comme ça, tout le monde a raison : Oui il faut protéger la santé de ceux qui ont couru 4 fois dans l’été avant de se présenter dans ce marathon. Oui, ce n’est pas normal d’imposer cette décision à des athlètes qui ont couru 10 à 15h par semaine tout l’été, qui ont pris hotel et billet d’avion pour la semaine, et qui viennent d’un pays où courir des marathons à 28°C, c’est la norme. Pourtant, on peut trouver des éléments qui font grincer des dents dans cette histoire.
Competitor group est une compagnie qui est avant tout connu pour ses décisions impopulaires : Il y a quelques années, des toilettes payantes pour les coureurs détenteurs de pass VIP étaient apparues au départ du marathon de Montréal. Les bourses des élites avaient été supprimées quelques jours avant l’épreuve en 2013, avant que Competitor group ne rattrape le coup en les diminuant seulement. Cette même année, Competitor avait supprimé le support à ses élites en Amérique du Nord. Pire, la compagnie avait dû rembourser 344 000$ à la ville de San Diego (théâtre d’un autre Rock N Roll marathon) après que l’on se soit rendu compte que cet argent n’avait pas servi à organiser des courses, mais à engraisser des dirigeants.
Alors voilà, Competitor a travaillé cette réputation de compter chacun de ses centimes au détriment des athlètes, et dans chaque décision, on se pose la question s’il n’y a pas une histoire de sous derrière. Parce qu’annuler un marathon, ça ne coûte pas grand-chose si des assurances ont été prévues, surtout qu’on laisse la possibilité aux marathoniens de passer leur frustation sur le demi. En revanche, faire courir un marathon dans la chaleur implique de placer davantage de points d’eau, de glace, de personnel médical sur le parcours, etc… Et tout ça a un coût. De plus, en avançant le départ à 7h30 (comme c’est le cas pour le demi-marathon), les conditions sont loin d’être catastrophiques en début de matinée.
Il faudrait attendre 13h, 5h30 après le départ, pour que la barre des 28°C soit atteinte (et il n’est pas prévu que la température monte au-delà). Cette barre a quelque chose de symbolique, puisque c’est la température à partir de laquelle le maire de Montréal a décidé que les chevaux du Vieux Port ne peuvent plus tirer leur calèche. Si on force des chevaux à tirer des touristes sur le macadam chaud à 28°C et moins, pourquoi des humains consentants et raffraichis aux 3 km ne pourraient pas courir dessus aussi ?
Alors c’est sûr qu’en 5h30 c’est seulement 2/3 des coureurs qui ont rallié l’arrivée, et le tiers restant sera dans les 10 derniers kilomètres. Et oui c’est sûr, qu’en fin de marathon dans la chaleur, le risque pour la santé augmente. Mais quand tu t’inscrit pour un marathon, tu es au courant que la météo peut être de 15°C avec un vent frais à 10km/h, comme pluie avec 3°C, comme 28°C et soleil. Si c’est pas très clair qu’on peut pas prévoir la météo 6 mois à l’avance, alors que ce soit écrit en gros au moment de l’inscription, ça évitera les malentendus. Ainsi en 2015 lors de l’Ironman Tremblant, il a fait 30°C et les 3000 triathlètes ont couru leur marathon en plein après midi. En 2016, il y a eu un très grave accident dans la descente du chemin Duplessis du même Ironman, et ça n’est venu à l’idée de personne de supprimer les descentes des parcours de triathlons. En fait, on n’a pas vraiment besoin de chaleur pour voir un mort sur un évènement longue distance. Des décès par crise cardiaque, il en arrive sur les marathons et les ironmans, 1 pour 10 000 athlètes qui franchissent le fil, et même lorsque la température est idéale. Si on voulait vraiment protéger ce 1/10 000e, on interdirait tout simplement toutes les courses d’endurance. Sauf que rester dans son canapé est encore pire pour la santé à long terme que d’aller courir dans la chaleur.
Du coup, chez l’athlète préparé, il nait une inquiétude de voir son sport nivelé vers le bas. Ce gars-là, il s’entraine tout l’été par toutes les températures, il est prêt quel que soit le scénario. Auparavant, comme à Québec en 2011 ou à New York en 2012, ça prenait un ouragan pour annuler un marathon. Maintenant, ça prend 28°C en début d’après-midi. C’est comme si on essayait de contrôler toutes les variables, mais lorsqu’une d’elles n’est pas vraiment contrôlée, on préfère tout annuler. Ainsi, du fait de la présence d’une minorité de coureurs pas préparés qui ne savent pas dans quoi ils s’embarquent, on aseptise de plus en plus le sport. Cependant, ce à quoi la grande majorité aspire, c’est qu’au moins on leur demande leur avis et qu’une fois avertis des risques à venir lors de cette fameuse journée, on leur laisse le choix si oui ou non ça vaut la peine de le courir ce marathon. Ce à quoi la majorité aspire, c’est justement de sortir de ce milieu aseptisé, et ce n’est pas pour rien si les ultra trails de 160km ou les triathlons extrêmes gagnent en popularité.
Alors oui, c’est statistique, on vient de sauver la vie d’un ou deux types dimanche, parce qu’ils n’avaient aucune idée de ce dans quoi ils s’embarquaient. Ou peut-être que le drame serait quand même arrivé si le marathon avait eu lieu par une météo de 10°C. Personne ne le sait. Mais reste que de savoir que dorénavant, il y a des décideurs pour décider si oui ou non on va courir dimanche parce qu’il fait trop chaud, ça fait froid dans le dos.