Nous vous disions la semaine passée qu’une des qualités que l’on apprécie avec Lionel Sanders c’est sa transparence vis-à-vis de son entraînement et de ses courses. Ceci est à nouveau confirmé avec la publication de ses données vélo dans la foulée de l’Ironman d’Hawaï. C’est l’occasion d’y jeter un coup d’œil et d’essayer de les commenter.
Avant tout, rappelons que le logiciel utilisé ici par Lionel Sanders pour analyser ses données est TrainingPeaks. Celui se base sur le nombre de watts maximum que peut tenir l’athlète sur 1 heure, la FTP. Elle permet d’aider à estimer 3 valeurs intrinsèques à une séance:
- L’intensité d’effort par rapport à la FTP, appelée Facteur d’Intensité (IF)
- ex: IF=0,5 (50% de la FTP) pour séance peu appuyée
- La régularité d’effort, appelée Indice de Variabilité (VI)
- ex: VI=1 si exactement le même wattage tout au long de la séance
- ex: VI=1,10 si plein d’à-coups – et donc de cartouches grillées – durant la séance
- La quantité d’effort réalisé, appelée Score de Stress de la Séance (TSS)
- Le TSS sera d’autant plus grand que la durée et l’intensité d’effort seront grandes.
[Pour plus de détails sur les termes FTP, IF, NP et TSS, ainsi que les formules qui les relient entre eux, n’hésitez pas à lire le livre « Training and Racing with a Power Meter » d’Hunter Allen et d’Andrew Coggan (en anglais).]
1/ Données publiées le 14 octobre
Alors voici quelques mots sur les données publiées par TrainingPeaks dans la soirée suivant Kona.
A partir du km 140, Lionel Sanders semble relâcher son wattage. Réaliser le meilleur temps vélo, voire battre le record vélo n’était donc certainement pas son objectif. Il a néanmoins réalisé la 2ème performance de tous les temps à Hawaï avec un temps vélo de 4h13’45 [soit en secondes durée=15225s].
Il a roulé avec un Facteur d’Intensité (IF) de 0,81 de sa FTP. [Vous pouvez retrouver un IF plus précis si vous souhaitez refaire les calculs avec la formule IF = √((TSS × 3600) / (durée × 100)) ]. Ayant soutenu une Puissance Normalisée (NP) de 313 W sur le parcours vélo, on peut retrouver sa FTP du moment devait être égale à NP/IF soit 385 W.
Son Indice de Variabilité (VI) de 1,03 indique qu’il a roulé de manière très régulière. Il semblait difficile de faire mieux d’une part à cause de certains dépassements qui exigent d’appuyer plus que ne le souhaiterait la théorie, mais aussi de par la dynamique de course où il a préféré rouler plus fort que prévu pour suivre Sebastian Kienle et Cameron Wurf qui tentaient un coup.
Son effort TSS est de 279. [Vous pouvez le vérifier vous-même avec la formule TSS = (durée × IF² × 100) / 3600]. Cette valeur paraît légèrement élevée si l’on suit une extrapolation de la table de Friel.
2/ Données mises à jour ultérieurement
Un peu plus tard, TrainingPeaks a réalisé une mise-à-jour de ces données en les modifiant légèrement. La petite différence est l’utilisation d’une nouvelle FTP de 405 W, d’où l’IF et le TSS baissant respectivement à 0,77 et 252. Une explication pourrait être que Lionel Sanders utilise deux FTP, une pour ses entraînements en intérieur (385 W) et une autre lorsqu’il roule en extérieur (405 W). En effet, certains triathlètes ont systématiquement une FTP plus basse quand le test vélo se déroule sur home-trainer par rapport à un test en extérieur. Utiliser deux FTP, l’une pour l’indoor, l’autre pour l’outdoor leur permet d’estimer une quantité d’effort (TSS) plus proche de la réalité, chose intéressante, notamment en période d’affûtage où il faut éviter d’en faire trop. Or le logiciel TrainingPeaks ne permet de configurer qu’une seule FTP, ce qui oblige l’athlète à jongler en configurant manuellement une valeur de FTP intérieure avant les entraînements indoor et une valeur de FTP extérieure avant les sorties outdoor. Lionel Sanders aura probablement utilisé TrainingPeaks après un dernier entraînement en home-trainer et oublié d’y reconfigurer sa FTP extérieure avant la première publication de ses données, d’où la mise-à-jour.
De ce fait, après correction, son TSS vélo décroît à 252, une valeur très conservatrice selon la table de Friel. Mais cela n’a pas été suffisant pour performer pleinement sur le marathon ; il donnait l’impression d’être gêné par un gros grain de sable, le comble pour un sand’man. Il confirmera cette impression dans un interview post-course en disant qu’il avait éprouvé petit à petit de plus en plus de mal à courir, qu’il se sentait faible, perdait en amplitude de mouvement et n’arrivait plus à commander son corps comme si certaines fonctions ne répondaient plus, que par exemple un de ses pieds restait traîner au sol. Il pense que c’était probablement dû à un problème d’hydratation et d’électrolytes car après la course, boire du coca et manger des chips lui ont tout de suite fait retrouver ses forces et il n’avait presque pas de courbatures le lendemain ; mais bon, là nous nous éloignons de l’observation des données vélo.
Il sera intéressant de voir comment il adaptera sa course l’année prochaine : essaiera-t-il de consommer moins d’efforts en natation (car il dit avoir mené le second pack cette année) ? De partir moins vite en course-à-pied ? De rouler avec moins d’à-coups (i.e. d’avoir un VI encore plus faible) ? Voire de diminuer davantage son TSS vélo ?…
3/ Comparaison avec son Ironman Arizona en novembre 2016
L’observation des données de son précédent Ironman (Arizona, novembre 2016) indique un TSS de 254, identique à celui de Kona. Ayant réussi sa course-à-pied en Arizona (2h42), il y a fort à parier que Lionel Sanders a voulu reproduire exactement la même dose d’effort à vélo sur Hawaï. A noter, que l’effort en Arizona avait été encore plus régulier avec un VI incroyable de 1,01 ; sans doute parce que moins de concurrence à vélo.
4/ Comparaison avec les données de Pete Jacobs (Ironman Hawaï 2012)
En observant les données du vélo de Pete Jacobs vainqueur à Hawaï en 2012, et en les comparant à celles de Lionel Sanders, il avait appuyé 20 W de moins sur les pédales (temps vélo de 04h35), son VI était quasi le même, mais son effort était néanmoins plus important avec un TSS de 285. Ce dernier chiffre indique que, proportionnellement à ses capacités vélo, il aurait mis plus d’engagement que Lionel Sanders (TSS=254). Alors comment a-t-il enchaîné un marathon de 2h48 ensuite ? Plusieurs pistes non-exclusives sont possibles : peut-être était-il tout simplement bien plus fort en course-à-pied, peut-être avait-il avait moins dépensé d’efforts en natation, peut-être avait-il sous-évalué sa FTP du moment…