Si le triathlon est parfois considéré comme un sport de niche, que dire de son format ultraman (10 km/410 km/84.4 km) ? Arnaud Selukov, 3ème du championnat du monde la semaine dernière à Hawaï, nous a fait le plaisir de participer à un ultra-entretien au cours duquel il nous raconte son épreuve… tellement bien que ça donne sacrément envie d’y aller.
Le site The Obsessed Triathlete répertorie 2 Arnaud Selukov, un Français et un Singapourien, chacun ayant fait plusieurs ironmans. Est-ce-toi derrière ces deux athlètes ?
Oui, j’ai participé à 31 ironman mais ayant habité 12 ans à Singapour, j’ai parfois porté le drapeau singapourien ce qui explique ces 2 nationalités.
L’île de Singapour étant surpeuplée, n’était-il pas trop difficile de s’entraîner en vélo ?
Au contraire, c’était très facile : il suffit de se lever à 4 heures du matin. A ce moment de la journée, il y a moins de trafic sur les routes et moins de chaleur. En plus, la petite taille de l’île est très pratique : quelque-soit le point de départ, on s’y retrouve rapidement pour rouler en groupe. En fait, c’est plutôt le surentraînement qui y arrive facilement : les 12 mois de l’année sont semblables au niveau météo ; il fait beau et chaud. Par conséquent il faut prendre garde à couper un moment dans la saison, sinon c’est un coup à le payer l’année suivante.
Combien y a-t-il d’ultramans à travers le monde ?
Peu. L’ultraman est avant tout une distance mais les épreuves sont présentes sous différents noms : Ultraman, UM , Ultra 515, etc. Depuis le premier en 1983, il y a tout d’abord eu celui d’Hawaï qui fait office de championnat du monde tous les ans ; puis sont venus ceux du Canada, d’Australie, d’Espagne mais ce dernier apparait puis disparait. Selon les années il y a eu également des courses au Mexique, Angleterre, etc. Au total, seuls 784 athlètes ont pris le départ de l’Ultraman d’Hawaii depuis 1983.
Comment se qualifie-t-on pour un ultraman ?
Le système est différent des courses classiques. On ne s’inscrit pas classiquement ; il faut demander l’inscription et c’est l’organisation qui revient vers les candidats sachant qu’il y environ 40-50 participants de retenus.
Pourquoi un si faible nombre de participants retenus ?
Cela s’explique par le fait qu’il n’y a pas de ravitaillement, que chaque participant a son team support chargé de le suivre et de le ravitailler en le suivant avec une voiture. Les distances étant également importantes, les routes restent ouvertes ; avoir un trop grand nombre de véhicules suiveur créerait des problèmes de sécurité évidents. C’est aussi pour cela qu’il y a des cut-offs, des temps éliminatoires tout au long de l’épreuve, sinon les écarts deviendraient trop importants et ingérables en terme de logistique. Par exemple, cette année à Hawaï, 5 participants ont été éliminés sur cut-off dès le premier jour. Chaque jour doit être complété en 12 heures max.
Et comment se qualifie-t-on pour l’UM d’Hawaï ?
Il faut être invité par l’organisation. Pour ma part, j’ai été invité car j’avais gagné l’UM Australie l’année dernière pour ma première participation à ce format de triathlon.
A quoi ressemble un ultraman en comparaison avec un ironman, toi qui a fait les deux ?
L’ultraman est confidentiel mais très rafraichissant. Il n’y a pas de ravitaillement permis mais tout est fait pour encourager les participants à s’entraider pendant la course, l’aide extérieure étant encouragée. Par exemple, à un moment je n’avais plus d’eau et c’est la team du triathlète placé en 2ème position qui m’a ravitaillé ! Le soir, on mange ensemble… Au final tout le monde finit par se connaître.
Quel est le niveau requis pour qui voudrait faire un ultraman ?
Quiconque est prêt pour un ironman est prêt à réaliser un ultraman. Enfin, je crois qu’il y a un temps max de 14h sur ironman qui est requis.
Quelles sont les différences et/ou similitudes avec un ironman en terme de préparation ?
Une très grosse préparation natation et vélo. Pour la natation, quelques grosses sorties dont une de 8-9km car contrairement à la natation d’un ironman il faut apprendre à s’alimenter durant la nage sinon gare à la déshydratation et à 3 jours compliqués. Ma prépa spécifique sur la natation a été essentiellement d’augmenter le volume jusqu’à environ 25 km/semaine. Pour le vélo, quelques grosses sorties de 250-270 km ou alors en back-to-back sur le week-end. J’avais un volume d’environ 20 000 km l’année dernière en vélo. Pour la course à pied, je ne fais pas plus de volume que pour un IM, environ 100 km/semaine, mais les exercices changent en conséquence (ex: un exercice de fractionné devient un 5x5000m). C’est également ce que je planifie pour les athlètes – parmi la quinzaine que je coache – qui veulent participer à un ultraman sachant que l’objectif se prépare sur 2 ans. Une grosse partie est la préparation de l’aspect mental.
Y-a-t-il d’autres point clés à surveiller ?
Bien-sûr ; il faut aussi apprendre à bien se reposer et à s’alimenter. Par exemple, à la fin de la première journée, la première chose que j’ai faite est de manger un premier repas, puis un autre 3 heures plus tard et un 3ème avec une salade au milieu de la nuit. C’est un peu celui qui mange le plus qui ira le mieux ; mais ce n’est pas difficile à mettre en oeuvre, il suffit d’essayer d’avoir les yeux ouverts et d’écouter ce que ton corps te dit. Sur un ultraman, il faut aussi veiller à ne pas arriver “sec comme un coucou” sur l’épreuve. Sur l’ironman d’Hawaï on peut voir des athlètes à 2% de matière grasse mais sur ultraman en revanche, mieux vaut un peu de “lard autour du ventre” car les intensités de course sont relativement basse et le corps brûle beaucoup de “fat”. Il vaut mieux donc avoir un maximum de réserve.
Et les 3 jours-J, alors comment s’est passé cette course ?
Le 1er jour consiste à enchaîner 10 km de natation et 145 km de vélo. Le départ natation a lieu au même endroit que celui de l’ironman, au Pier de Kailua Kona, puis l’on longe la côte précédé de son kayak qui donne le cap. La stratégie pour laquelle je m’étais entraîné était de partir le plus vite possible sur 1h30 pour faire maigrir le groupe, puis de me poser à un rythme plus stable sachant qu’au bout d’1h30 de course la marée baissait et devenait contraire. Et c’est ce que j’ai fait avec succès jusqu’au km7-8 où j’étais en 3ème position. Malheureusement, j’ai pris une mauvaise ligne. Je me suis retrouvé avec des courants contraires. Dans ces eaux super claires, je voyais bien que je n’avançais quasiment pas par rapport aux coraux dessous moi. A un moment, le 4ème et le 5ème m’ont dépassé en diagonale. J’ai réalisé qu’il fallait que j’en fasse de même pour se sortir de cette zone, mais au final ça m’aura coûté 10% de distance supplémentaire. J’ai pris cher en perdant 40’ sur le 1er et 24’ sur le second. Ensuite le vélo a été très très dur ; nous sommes montés au parc de Volcano, un trajet qui monte tout du long avec du vent en permanence “dans la gueule”… et pas un petit vent. J’étais ventre à terre tout ce temps. Le temps vélo en témoigne (5h16 pour ces 145 km contre 5h05 pour mes 180 km à l’Ironman d’Hawaï).
Le 2ème jour, j’étais prêt pour une grosse journée, c’est là que je voulais placer mon effort. Je suis parti à bloc dès le départ ; j’ai parcouru les 85,6 premiers km en 2 heures. A un moment le deuxième est revenu à 2’ mais dans la partie est de l’île il pleuvait – comme souvent sur cette partie de l’île – et j’ai refait un effort lors des 55-65 derniers km par un vent énorme… tellement énorme que j’ai dû m’arrêter et mettre pied à terre pour enfiler ma veste Gortex. Et même à pied à terre, c’était dur de tenir debout. Et d’ailleurs on peut le voir sur les vidéos de Bob Babbitt. Au final de la journée, j’avais repris 15’ au premier et 30’ au deuxième.
Le 3ème jour allait être décisif car les trois premiers se tenaient en 17’. Je suis parti vite en passant les 10 km en 41’30, le semi en 1h29 et le marathon en 3h21. Mais ce n’était que la moitié de ce double marathon où chacun est isolé, sans ombre entre les terrains de lave et sur une route bitumée ouverte à la circulation. Ensuite, je craque mais sans exploser… peut-être un manque de prépa en course-à-pied. Et puis je cherche aussi à assurer cette 3ème place car je sais qu’une défaillance peut vite arriver, je ne veux pas voir un autre concurrent me dépasser, chose qui peut arriver si je finis en marchant ; et je ne veux pas non plus finir en ambulance, chose qui peut aussi arriver après tant d’efforts. Là, c’est une course qui devient fortement émotionnelle, on se dépasse en particulier sur les derniers km, où chacun va au bout du bout. Des concurrents viennent te chercher et finissent avec toi. Humainement, tu te dis que tu fais un super beau sport.
Justement, avec tant d’années de pratique, que penses-tu du triathlon en général ?
En France, nous avons la chance d’avoir des courses extraordinaires mais il y a aussi de très belles courses à l’étranger. Je trouve que c’est bien de parler de ces courses et de faire “rêver” les gens. Je pense qu’il y a 2 choses qui intéressent les gens : les courses qu’ils ont faites et celles qui vont les faire rêver et leur donner envie de la faire. J’aime participer à tous les formats de distance, mais la particularité de l’ultraman est qu’on en revient avec de nouveaux amis, ceux avec qui on a partagé la course et ça c’est vraiment rafraîchissant car il n’y a pas cet esprit de partage sur les autres formats. Et ce type d’amis, tu peux vraiment leur parler de ta course, sans passer pour un extra-terrestre comme c’est souvent le cas si tu te risques à en parler avec les collègues de boulot ou avec la famille, ma femme étant une exception car nous participons presque toujours tous les deux aux mêmes triathlons. Cette notion de partage est aussi ce que j’encourage au sein de mon team d’athlètes : échanger entre eux au maximum.
Tu finis 3ème de ce championnat du monde. Est-ce le meilleur classement obtenu par un Francais ?
A ma connaissance oui car j’étais le premier Français à gagner un Ultraman lors de ma “qualif” en mai 2016 en Australie. Toujours est-il qu’il n’y a eu que 38 vainqueurs différents depuis 1983 étant donnés que certains en ont gagné plusieurs.
Après de tels derniers mois (6 IM + 1 UM en 2016 puis 4 IM en 2017 (Wanaka, + petite blessure au genou suite à chute VTT, Roth, Victoire à l’Evergreen, IM Hawaii) + UM Hawaï), quelle est la suite ?
Là, la saison est pliée. Il faut que je récupère car pour la première fois j’ai perdu quelques ongles aux pieds. Le vent soufflait tellement fort par le côté sur 40-60 km de la course-pied que c’était comme si j’avais couru en dévers tous ces kilomètres, une expérience nouvelle pour moi… Mais ensuite, le projet qui me tient particulièrement à coeur est de servir de guide pour un athlète aveugle sur un Ironman.
Crédit photos : http://ultramanlive.com