Conseil > Les dessous de la réussite

Article par Johan Rodriguez de triuman.fr

Lors de mon précédent article, je dénonçais les stratégies commerciales des grandes enseignes afin de valoriser le dépassement de soi comme unique moyen de progrès et d’accession au haut niveau. J’ai même cité pour exemple : Julien Wanders, coureur à pied helvète, depuis quelque temps expatrié au Kenya pour vivre et s’entraîner « comme les kenyans ».

L’actualité me faisant un petit clin d’œil, quelques jours après avoir fini la rédaction du premier article, le « kenyan blanc » a publié sur son compte Facebook deux semaines d’entraînements. Ces 2 semaines étant situées dans la planification, à 3 semaines du semi-marathon de Barcelone où ce dernier réalisera 60 minutes 9 secondes, soit le nouveau record d’Europe espoir et le nouveau record Suisse. Au-delà de la performance, absolument monumentale, d’un point de vue chronométrique, Wanders a pris ses responsabilités en courant pour la victoire durant toute la course. Même les commentateurs espagnols n’en sont pas revenus.

Vous l’aurez probablement compris, je suis de ceux qui respectent énormément ce que fait cet athlète et la manière dont il prend en main sa carrière pour réussir. C’est inédit, c’est osé.

Toutefois le propos n’est pas là.

J’ai décidé d’analyser la semaine du lundi 22 janvier au dimanche 28 janvier 2018. L’objectif est d’abord de découvrir ce que cet athlète de haut niveau pratique durant ses entraînements.

Le second objectif est de montrer que tout Julien Wanders qu’il est, ce dernier ne passe pas 100% de ses entraînements dans la zone rouge. Il ne passe même pas 50% du temps à très haute intensité. En réalité, il passe environ 14% de son temps (sur cette semaine-là) à très haute intensité.

Par souci de compréhension générale sur les différentes intensités, il semble intéressant de parler de physiologie humaine durant quelques lignes.

La course à pied est un effort à dominante aérobie, c’est-à-dire que la majorité des substrats énergétiques utilisés pour faire fonctionner les muscles permettant le mouvement lors de la course sont les lipides et les glucides. En fonction de l’intensité de l’effort, la part de consommation entre lipides et glucides va évoluer.

D’autre part, la physiologie moderne met en avant deux seuils caractéristiques permettant de schématiser la proportion d’un des substrats par rapport à l’autre.

En effet, avant le premier seuil, les lipides sont utilisés en grande majorité. A partir du premier seuil les glucides commencent à intervenir, on a alors deux substrats énergétiques. Plus l’intensité augmente, plus la consommation de glucides augmente ; jusqu’à arriver au seuil numéro 2 où les glucides sont utilisés en majorité par rapport aux lipides. La vma (vitesse maximale aérobie) constitue la limite du système aérobie, au-delà de cette intensité nous entrons alors dans des filières énergétiques très puissantes mais très couteuses avec une autonomie faible par rapport au système aérobie.

Si je poursuis, nous pouvons schématiquement isoler 3 zones d’effort (certains physiologistes en dénombrent plus, c’est une question de point de vue) :

  • Faible intensité (en dessous de SV1)
  • Intensité modérée (de SV1 à SV2)
  • Intensité élevée (au-delà de SV2)

Pour recontextualiser les choses, disons de manière très générale (cela varie en fonction des individus) que l’effort sur 10 km se trouve au-delà de SV2. L’effort sur semi-marathon se trouve à la limite entre SV1 et SV2. L’effort du marathon quant à lui est dans la zone entre SV1 et sv2.

A présent, revenons sur les entraînements de Wanders durant la semaine du 22 au 28 janvier.

Au cours de cette semaine, Wanders aura couru environ 178 km. Cela représente 16h30 d’activité physique, comprenant : course à pied, musculation, travail technique, vélo d’appartement (home trainer). En moyenne,  cela fait 2h20 d’activité par jour. Zéro est le nombre de jour de repos. On note la présence de séances de massage, non comptabilisées dans le nombre d’heures total.

Revenons maintenant sur la partie pédestre. Si l’on décortique ce programme d’entraînement on peut mettre en exergue trois plages d’allures différentes : nous avons une première plage d’allure se situant entre 4,51 min/km (12,3 km/h) et 3,55 min/km (15,3 km/h), une seconde plage entre 3,55 min/km et 2,55 min/km (20,7 km/h) et enfin une dernière plage d’allure se situant à partir de 2,55 min/km et allant jusqu’à 2,45 min/km (21,8 km/h), peut-être 2,40 (22,4 km/h) ou 2,35 min/km (22,6 km/h), ce qui à quelques secondes près doit correspondre à sa valeur de VMA.

Wanders étant un athlète de haut niveau je ne vais pas m’avancer sur ses zones physiologiques. Rappelons tout de même qu’un athlète ayant des capacités exceptionnelles en aérobie décale la courbe vers la droite. C’est-à-dire que les différents seuils vont intervenir plus tard dans l’effort. Ainsi il consomme moins d’énergie pour un effort donné. D’autre part chez les grands coureurs à pieds les capacités du système aérobie sont tellement développées qu’ils sont capables de pousser le premier seuil à proximité du second.

Cette précision me permet donc d’établir trois plages d’intensité, sans parler des seuils physiologiques, que je nommerai de manière suivante : faible intensité, intensité modérée, intensité élevée.

Si l’on découpe son temps passé à courir en fonction de l’allure, on constate qu’il passe environ 68,5% à faible intensité. Il passe alors 18% de son temps à intensité modérée et enfin 13,5% de son temps à haute intensité.

Ce qu’il faut retenir au travers de ces chiffres, c’est que presque 100% du travail à haute intensité est partagé sur les réseaux sociaux contre très peu de publication sur les efforts à faible intensité.

J’entends déjà certains me dire que cette semaine d’entraînement est sortie de son contexte et que l’on ne sait pas dans quelle période il se situe. Certes, et je pourrai même ajouter que les stratégies de Marco Jaegger, son coach, sont peu conventionnelles, donc difficile d’y voir clair sans avoir le programme dans son intégralité.

Néanmoins le semi se trouvant le 11 février 2018, la semaine décortiquée étant celle du 22 au 28 janvier, soit 2 semaines avant la course, je pense qu’à ce moment-là, Wanders était plutôt dans une période de diminution de charge se traduisant par une diminution du volume tout en maintenant une intensité plus ou moins équivalente, avec une tendance à diminuer jusqu’à l’épreuve.

Afin de conclure, je dirai que la progression physiologique passe inévitablement par le travail à faible intensité. Par ailleurs, je ne blâme pas ceux qui veulent aller toujours plus vite, toujours plus loin, et ce à chaque entraînement. Ils iront sûrement toujours au même endroit : à chacun son projet.

De plus dans la conception d’un champion on sait que de nombreux paramètres sont à faire évoluer. Durant sa semaine d’entraînement, Wanders travaille son physique au travers de la musculation. Il travaille sa technique aussi, cela se traduisant par des exercices de pieds et de foulées bondissantes. Il soigne son corps avec des exercices d’assouplissement et des séances de massages.

Enfin son mode de vie semble être une épreuve psychologique à lui seul tant la façon de vivre des kenyans est différente de la vie que ce jeune coureur connaissait en Suisse. Néanmoins, Il semble s’être très bien adapté.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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