(ou pas…)
La lecture de l’excellent article « La confiance en soi en triathlon, c’est quoi au juste ? » m’a récemment fait réagir : après des années à entendre qu’il fallait souffrir pour être performant, les choses prennent petit à petit une tournure différente. D’autres voix s’élèvent pour dire que la souffrance n’est pas forcément synonyme de performance et vice versa.
Coach pour dirigeants, spécialiste des Risques Psychosociaux et également préparateur mental pour sportifs, je croise souvent la souffrance. Si elle était un bon moyen d’atteindre nos objectifs, nous ne chercherions pas à ce point à l’éviter. Cette croyance si fortement ancrée du « no pain, no gain » est d’ailleurs une autoroute directe vers des conséquences néfastes comme la blessure, l’addiction (médicaments, dopage, etc.) ou la bigorexie. Symbole de l’appartenance à une culture de l’excellence, la douleur nous transcenderait : « il faut souffrir pour être beau, il faut souffrir pour être fort ».
Marc Bouvard introduit d’ailleurs le colloque de Psychopathologie du sport organisé à Bordeaux en 2008[1] de cette façon : « les sportifs sont soumis à des règles de vie et à des entraînements intensifs éprouvants. Mais quels rapports entretiennent-ils avec la douleur et la souffrance ? Faut-il souffrir pour être performant ? Les témoignages qu’apportent David Douillet et Serge Simon sont unanimes: de par ses valeurs et son idéologie, le milieu sportif intègre et banalise les sensations de douleur et de blessure. A force d’efforts et d’entraînements, la douleur devient même un indicateur de progrès : avoir mal, souffrir fait partie du contrat. Mais la banalisation de la souffrance rend difficile le repérage et la reconnaissance des pathologies psychologiques et physiques. Reconnues comme normales malgré le cadre légal, certaines blessures échappent à la prise en charge sanitaire alors que ce qui est urgence sanitaire chez le non-sportif l’est tout autant chez le sportif de haut niveau. Mais peut-on remettre en cause un système qui fonctionne ? »
Valorisation de la souffrance
« Se rentrer dedans », « avoir le goût du sang », « se faire mal » sont autant de mots qui m’alertent dans ma pratique lorsque j’écoute un sportif et je m’interroge alors pour savoir s’ils sont synonymes de violence contre soi-même. A ce titre, il est utile de rappeler la différence faite entre la douleur et la souffrance : si la première puise ses sources dans le domaine physique (j’ai mal à la clavicule) le second fait appel à la dimension psychologique (je me sens mal). Apprivoiser sa douleur, apprendre à l’évaluer, c’est déjà apprendre à mieux se connaître. Et cette connaissance de soi paraît être une condition sine qua non pour se développer et se dépasser.
Car si notre seuil de tolérance doit être franchi pour progresser, la frontière reste mince entre zone d’inconfort et souffrance. L’un nous fait grandir et l’autre nous conduit à la blessure. Tel un funambule, le sportif doit trouver son propre équilibre, en faire suffisamment, mais ni trop, ni trop peu.
Cette « zone », Michel Gadal (ancien DTN de la Fédération Française de Tennis de Table) la définit aussi pour la concentration : L’athlète doit faire un effort qui ne doit pas dépasser 4% de ses capacités selon lui. Au-delà ou en-deçà, il ne progressera pas. En clair, un sportif trop sérieux, trop concentré, n’a plus aucun degré de liberté et n’a plus la créativité qui l’aidera à se dépasser ou à gagner.
Éloge de la médiocrité
Tout ceci pourrait faire penser que nous recherchons une zone dans laquelle nous serions « moyen ». Ce ne serait pas totalement faux.
Une cliente m’a dit très récemment en souriant : « je cherche l’excellence, et j’entends dans vos questions un éloge de la médiocrité ».
Oui… mais c’est relatif. Non pas que je pousse à fuir la compétitivité (drôle d’idée pour un coach), mais en se recentrant sur une zone moyenne de performance tout à fait atteignable, on aide paradoxalement le sportif à se rassurer. Et cette confiance en soi est indispensable pour atteindre les objectifs ambitieux.
L’erreur serait de croire que nous pouvons arriver à une compétition et que, par magie, tout se déroule à merveille[2].
Le sportif a tendance à maximiser inconsciemment ses performances. Si je peux rouler 180 km en 5 heures, je dois pouvoir le faire en compétition sur un Ironman. Si j’ai réussi 45min en entraînement sur un 10km, je me fixe cet objectif pour mon prochain triathlon M. Et, oui, c’est possible. Si toutes les planètes sont alignées le jour de la compétition, c’est vraiment possible.
Mais la plus grande erreur serait de se fixer cet objectif sans négocier. Cela reviendrait à croire que je peux être dans une forme optimale quand je le souhaite. Or il y a trop d’éléments que je ne maîtrise pas en tant qu’athlète pour être certain d’être dans cet état optimisé[3]. J’ai, par exemple, réalisé 45min pour 10km, mais il faisait frais, j’étais reposé, et en pic de forme. Si le jour de la compétition j’ai fait un long déplacement, qu’il fait 38°, je ne suis plus dans ces mêmes conditions, et je ne peux pas maîtriser la météo. Le risque est alors très élevé pour qu’au 5ème km de ma compétition je regarde ma montre, et que, constatant mon retard, mon moral s’effondre.
En recherchant une zone médiane, je limite ce risque. En étant réaliste, j’ai fait une seule fois 45min à l’entraînement. Je peux, sous le coup de l’adrénaline faire mieux, mais ma zone de maîtrise se situe plutôt vers les 46min. C’est ce qui m’a plu dans l’article d’Alexandre lorsqu’il dit qu’il faut « s’entrainer dur pour courir en contrôle ». Si je recherche un « bon » niveau « moyen » de performance, je suis en contrôle. Et il est aisé d’être en confiance dans cette zone de maîtrise. Je connais mon niveau technique et physique, j’ai travaillé ma capacité de concentration, j’ai donc de solides bases pour avoir confiance et ensuite seulement je pourrai me transcender.
En clair, si je vise le paradis, j’arrive 9 fois sur 10 en enfer. Mais si je vise le purgatoire et que je travaille mon argumentaire, je défendrai brillamment ma cause et je monterai au paradis.
Pas si médiocre finalement…
Quelles sont les clés du succès ?
Il faut toutefois noter qu’une fois sur 10 j’irai direct au paradis… Et c’est une stratégie tout à fait valable. L’athlète fait « all in ». Ça passe ou ça casse. Dans tous les sens du terme d’ailleurs.
On voit souvent en duathlon par exemple des coureurs partir très fort dès les premiers mètres. On constate aussi cela sur le trail (à l’UTMB 2022 par exemple), ce qui est nouveau.
« Pars à fond, accélère au milieu, et finis au taquet ! »
Mon propos n’est donc pas de dire : le « no pain, no gain » ne fonctionne pas. Je souhaite plutôt le nuancer. Les coachs ont souvent une approche orientée solution : j’ai testé la méthode X, elle a déjà fonctionné, je la duplique donc avec tous mes athlètes. Ce qui est plein de bon sens. Le problème, c’est que la solution des uns n’est pas valable pour les autres. Certains progresseront en faisant du fractionné, d’autres en faisant du long à faible intensité.
J’apprécie les entraînements de mon entraîneur de course à pied car quand je lui dis que je souhaite arrêter, il le respecte. Mais il sait aussi me piquer quand il voit que je peux faire plus. Deux comportements opposés, qui paradoxalement vont dans le même sens : celui du besoin du sportif.
Là réside tout le talent d’un coach : savoir féliciter ou recadrer quand il le faut, faire accélérer ou freiner, sortir de sa zone de confort sans se blesser. Et pour cela, il faut s’adapter à notre interlocuteur et l’écouter pour bien comprendre son besoin.
Le vaccin
Pour résumer et conclure, prenons le cas d’un vaccin : s’il est sous-dosé, il n’aura aucun effet. S’il est sur-dosé il rend malade. Il faut donc trouver le juste milieu pour renforcer l’athlète sans le blesser. Et c’est par une bonne connaissance de soi, de ses limites et de ses objectifs que le sportif peut travailler sa maîtrise et sa confiance en soi.
Sur ce, entraînez-vous bien !
Aurélien Fréret
Coach de dirigeants depuis plus de 15 ans, préparateur mental et passionné de sport, Aurélien a participé à 3 championnats du monde de triathlon et 2 championnats d’Europe en groupes d’âge malgré une grave discopathie. Aujourd’hui licencié au Club des Nageurs de Paris, il accompagne des sportifs de tous horizons dans la réalisation de leurs objectifs.
[1] https://www.canal-u.tv/chaines/univ-bordeaux/colloque-psychopathologie-du-sport-2008/sport-intensif-douleur-et-performanceinterview de David Douillet
[2] Cet état existe, il s’appelle le Flow. Mihaly Csikszentmihalyi, psychologue hongrois, l’a défini en 1975 comme l’expérience optimale
[3] Lire à cet effet l’interview de Laurent Vidal https://www.trimes.org/2015/05/le-jour-ou-jai-decide-de-me-concentrer-sur-le-process-plutot-que-sur-les-resultats/